Législatives : la stratégie macronienne de l’hystérisation des débats s’épuise

L’hystérisation du débat, qu’il porte sur les législatives, le climat, les Gilets jaunes ou l’extrême droite est à la fois le signe d’une démocratie malade et d’une classe bureaucratique aux abois.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 5
shouting source https://unsplash.com/photos/MyjiS7C6Lxo

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Législatives : la stratégie macronienne de l’hystérisation des débats s’épuise

Publié le 2 juin 2022
- A +

Si on devait s’en tenir à la communication du gouvernement, il n’y aurait que deux camps aux élections législatives, le Bien, incarné par la majorité présidentielle, et le Mal, incarné par l’équipe de Jean-Luc Mélenchon. Toutes les autres factions politiques semblent avoir disparu dans le vortex médiatique, comme absorbées par ce nouvel affrontement manichéen où, une fois de plus, le président de la République se propose de sauver la France des griffes du populisme, du chaos, de l’irrationalité et de l’extrémisme (barrez la mention inutile).

Ce n’est pas la première fois que l’exécutif nous fait le coup : au moment de la crise sanitaire, puis avec l’élection présidentielle et même la guerre en Ukraine, la ficelle politicienne fut un peu la même. On hystérise le débat en désignant un ennemi absolu, que ce soit le complotiste antivax ou l’extrême droite, le tout pour tétaniser l’opinion, jouer sur les passions et surtout, surtout, éviter tout débat un peu rationnel sur les avantages et les inconvénients des programmes politiques, des propositions et des arguments en compétition.

 

Criminaliser toute discussion démocratique

Critiquer la politique sanitaire liberticide vous classe comme non citoyen, donc indigne d’être écouté, demander le programme du Macron deuxième version, c’est déjà faire un peu le jeu du RN, et enjamber la campagne présidentielle ne gêne personne si c’est pour répondre à la question ukrainienne. L’opération consiste à lisser l’opinion : vous êtes avec nous ou contre nous, camarade citoyen.

Dans tous les cas de figure, ce qui est évité avec plus ou moins d’habileté ici, c’est le débat public, l’acceptation du pluralisme politique, l’exercice de la raison publique même, si l’on suit John Rawls dans ce qu’il a écrit de plus authentiquement libéral1. La Macronie en pratique comme en théorie est averse à la discussion qu’elle prend toujours pour une agression et une menace. Ce n’est pas non plus un hasard si elle est à l’origine des lois les plus attentatoires à la liberté d’expression des 10 dernières années.

Ce n’est pas un hasard si la communication de l’exécutif, de Sibeth NDaye sur les masques jusqu’à Darmanin sur le fiasco du Stade de France, ressemble de plus en plus à la propagande d’un pays sovietoïde finissant. La moindre objection, le moindre appel à la responsabilité et à la modération sonnent comme une insulte pour la nomenklatura politique macronienne, qui a pris le parti depuis bien longtemps de s’adresser aux Français comme à des enfants. Et on ne discute pas avec des enfants.

Seulement, c’est une position intenable tant sur le plan des principes que sur le plan pratique.

Sur le plan des principes, la République française n’est pas une autocratie bureaucratique.

Le pronunciamento de technocrates élyséens n’est pas l’incarnation de la Science, de la Raison et du Juste, quoiqu’en disent les éditocrates et les astrologues de cour qui gravitent autour de l’Élysée et se répandent dans les médias. Discuter des idées, faire des compromis, rendre des comptes, voilà des pratiques ordinaires autrefois associées au gouvernement représentatif – au moins depuis le triomphe du modèle parlementaire libéral d’abord en Angleterre, mais aussi en France à la fin du XIXe siècle – qui ont pratiquement disparu de la mentalité politique illibérale française d’aujourd’hui.

 

Tyrannie technocratique

Chercher à éviter le débat en utilisant toutes les ficelles de la propagande par les images et les passions, la criminalisation de l’adversaire et l’usage immodéré de la panique morale n’est pas du registre démocratique, mais de celui de la tyrannie. Le mot est lâché, et il peut sembler excessif : Platon, Xénophon et Aristote mettaient en garde contre l’autocrate qui confond l’esprit de la Loi et celui de son bon vouloir, Tocqueville contre celle de la majorité contre la minorité. Ici c’est la minorité qui ne se sent responsable de rien et agit en tout, le tout en s’appuyant sur certaines factions de la population pour spolier le plus grand nombre.

Sur le plan pratique, hystériser le débat marche de moins en moins.

La corde est en train de s’user à vitesse grand V, comme en témoigne l’épuisement prématuré de la Macronie dans la campagne pour les législatives. Incapable de répondre politiquement à l’offensive médiatique et politique d’un Mélenchon pourtant clairement défait à la présidentielle, la voilà en posture totalement défensive face à un adversaire qu’elle croyait suffisamment faible pour la traiter en épouvantail à boomers.

Malheureusement pour elle, et pour nous, car le mélenchonisme est loin d’être un humanisme, la majorité présidentielle risque désormais d’être en minorité, à quelques sièges près. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Emmanuel Macron est sorti de sa réserve. Il ne peut pas compter sur ses lieutenants, qui ont fait preuve d’une nullité tactique et stratégique stratosphérique, pour gagner une élection pourtant impossible à perdre sur le papier. C’est que la politique est un art, et que la technocratie, qui se prétend science du Politique, n’en a aucune expérience pratique. L’illusion « rationaliste » qui prétend remplacer les praticiens par des gestionnaires est ancienne, et a déjà été pointée du doigt par Friedrich Hayek, Michael Polanyi ou encore Michael Oakeshott.

L’hystérisation du débat, qu’il porte sur les législatives, le climat, les Gilets jaunes ou l’extrême droite est à la fois le signe d’une démocratie malade et d’une classe bureaucratique aux abois. Réintroduire un peu de rationalité et de prudence, conformément à l’esprit du constitutionnalisme libéral qui n’aurait jamais dû quitter le pays, est urgent.

  1. Sur le sujet, on pourra comparer l’évolution raisonnable du célèbre philosophe de sa Théorie de la justice de 1971 à son essai sur le Libéralisme politique de 1993.
Voir les commentaires (3)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (3)
  • Il n’y aucune raison pour que les Français se réveillent lors des législatives, une bonne partie est complètement résignée, une bonne partie ne votera pas et une grosse partie a reçu des chèques en tout genre et considère que Macron a fait de son mieux.
    Rendez-vous dans 5 ans…

  • « la stratégie macronienne de l’hystérisation des débats s’épuise… »
    C’est vrai que les propos et ecrits, (sur plusieurs années et divers sujets), du nouveau ministre de L’EN, a eux seuls egalent et depassent les bons mots de Macron sur la cultyre française qui n’existe pas, le Crime contre l’humanité en Algérie, et ceussezesselles qui ne sont rien ….
    La démence verbale a de l’Avenir.

  • Vous avez parfaitement analysé la stratégie macronienne et, si elle s’épuise, alors, c’est encourageant. On peut quand même se demander comment tant de gens se laissent encore berner !

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Pour Frédéric Sawicki, professeur de science politique à l’Université Paris 1, la nomination de Michel Barnier au poste de Premier ministre signale la concrétisation d’une alliance entre Emmanuel Macron et Les Républicains, mais aussi la position de force du Rassemblement National. Entretien.

 

Michel Barnier vient d’être nommé Premier ministre. Que signifie ce choix d’Emmanuel Macron ?

Frédéric Sawicki : La première chose à souligner, c’est que Michel Barnier vient de la droite et qu’il a forcément reçu le soutien d... Poursuivre la lecture

Voilà, c’est fait : après deux mois d’atermoiements et de « consultations » aussi théâtrales qu’inutiles, Macron a fini par désigner Michel Barnier comme nouveau Premier ministre en remplacement du stagiaire Gabriel Attal qui venait pourtant tout juste de maîtriser la photocopieuse du rez-de-chaussée.

 

Comme on pouvait le prévoir depuis la dissolution et les résultats en demi-teinte des élections législatives de juin, la nomination de ce vieux cacique de la droite centriste a provoqué une cataracte de larmes de gauchistes ... Poursuivre la lecture

Dans son ouvrage Aux fondements de l'industrialisme, Robert Leroux plonge au cœur du débat qui oppose l'industrialisme libéral et l'industrialisme planificateur, en explorant principalement les idées de Charles Dunoyer et Charles Comte. Ce livre est une contribution précieuse à la compréhension des fondements de l'industrialisme libéral au XIXe siècle, une idéologie qui a marqué profondément la pensée économique et politique française.

 

L’aventure du Censeur

Charles Dunoyer et Charles Comte ont été les cofondateurs et pri... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles