Poutine contre l’Occident : deux univers opposés

Entre Poutine et l’Occident, on assiste à deux modes de pensée différents et opposés.

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Vladimir Poutine (Crédits World Economic Forum, licence Creative Commons)

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Poutine contre l’Occident : deux univers opposés

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 15 mai 2022
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Vladimir Poutine pensait avaler l’Ukraine en quelques jours, mais la guerre dure depuis plus de trois mois. Elle ne s’achèvera pas avant longtemps. Car c’est désormais l’Occident tout entier qui soutient l’Ukraine. L’Ukraine indépendante voulait devenir libre, instaurer une démocratie. Pas question pour le despote qui règne à Moscou. La liberté des peuples est pour lui le danger suprême, l’ennemi à éliminer par tous les moyens.

La surprise est de taille pour la plupart des citoyens occidentaux et même pour de nombreux politologues. Ceux-ci envisageaient l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais ne pensaient pas qu’elle aurait lieu. Pourquoi ? Parce que la rationalité occidentale l’interdisait. Il n’y a rien à gagner, pensaient-ils, à entrer en guerre contre l’Ukraine et tout à perdre : image d’agresseur et désormais de criminel de guerre, récession économique, isolement diplomatique.

 

Rationalité occidentale et motivations des autocrates

Mais voilà ! Les tyrans n’ont pas la rationalité des démocrates. La puissance seule compte pour eux et il leur apparaît insupportable d’être défiés par des citoyens ordinaires se réclamant de la liberté. Il ne manquerait plus que cela ! Le chef commande et les autres obéissent. Voilà bien l’image que donne Poutine lorsqu’il s’adresse aux ministres ou aux généraux russes. Et comme certaines de ces rencontres sont diffusées par les médias internationaux, il est évident que le maître du Kremlin souhaite diffuser un autoportrait de tyran faisant trembler ses collaborateurs.

L’ancien officier du KGB, formé par les communistes, n’a probablement pas idée du caractère totalement négatif en Occident de cette représentation de lui-même. Vu d’ici, il apparaît comme un individu dangereux, menteur, violent, un véritable repoussoir. Mais pour beaucoup de Russes qui n’ont jamais connu la démocratie, Poutine se comporte tout simplement en dirigeant, ce qui explique la diffusion d’images si négatives. En passant du tsar de toutes les Russies aux dirigeants communistes, le peuple russe n’a jamais connu que l’autocratie et il reste réceptif à cet égard. Le conditionnement à l’obéissance passive à un individu considéré comme un chef et un guide, traçant le chemin de l’avenir, ne disparaît pas miraculeusement. Il faut pour cela une éducation à la liberté, il faut que dès l’enfance l’enseignement privilégie l’autonomie individuelle puis une approche critique. Il faut qu’au sein des familles, la libre expression de chacun soit admise.

Les Occidentaux savent à quel point cette liberté suppose d’ouverture d’esprit et même d’empathie. Pour comprendre un opposant, il faut être capable de prendre en considération non seulement son raisonnement mais aussi sa sensibilité. La montée actuelle des populismes en Occident permet d’apprécier la fragilité d’un tel édifice. Mais c’est de ce fragile idéalisme que la démocratie tire sa grandeur.

 

Les grands progrès historiques de la démocratie

La distance est donc considérable entre les peuples d’Occident, disposant déjà d’un ou deux siècles de démocratie, et le peuple russe, asservi depuis la nuit des temps. Beaucoup d’Occidentaux se demandent comment il se peut que des despotes puissent encore régner sur le monde. Il est en effet incontestable que la liberté a progressé depuis deux siècles et que le nombre de gouvernements démocratiques a considérablement augmenté. En 2020, le Democracy Index recensait 46 démocraties et 31 régimes franchement autoritaires sur 167 États. L’évolution est tout à fait satisfaisante puisque nous partions de l’omniprésence autocratique au XVIIIe siècle. Mais à ce rythme, il faudra encore des siècles pour chasser la tyrannie du gouvernement des Hommes.

Le besoin d’être guidé par un responsable est extrêmement répandu dans l’espèce homo sapiens. Le charisme individuel de certaines personnes les incite à exploiter ce besoin. Ce phénomène a conduit aux gouvernements autoritaires, appuyés par des religions, jusqu’à l’apparition de la philosophie des Lumières au XVIII siècle, mettant l’accent sur l’autonomie de chaque individu et la souveraineté populaire. Chacun sait que cette approche du politique n’est pas partagée par tous sur notre petite planète. Mais chacun sait aussi que lorsque les peuples ont goûté à la démocratie, il est extrêmement difficile de les en sevrer. Les fascistes, les nazis, les communistes ont été vaincus. Les Ukrainiens ne renonceront pas à la liberté.

 

Communiste ou fasciste, peu importe l’idéologie du tyran

Pour en revenir aux dirigeants russes, que représentent-t-ils désormais idéologiquement ?

La réponse est simple : le fascisme ou quelque chose d’approchant. Le totalitarisme ou l’autoritarisme ne connaissent ni droite ni gauche, ni conservatisme, ni progressisme. Il n’existe pas, comme on l’a fait croire au XXe siècle avec le communisme, de régimes totalitaires de progrès. Se réclamer d’une idéologie fasciste, marxiste ou même écologiste est équivalent si le résultat est la tyrannie. Les subterfuges politiques colportés au XXe siècle par des intellectuels, comme Jean-Paul Sartre lui-même, et des politiciens occidentaux et enseignés dans les universités dans les cours de sciences politiques ne peuvent plus aujourd’hui persister. Raymond Aron a été beaucoup plus clairvoyant que Sartre à propos de notre devenir historique, tout comme Tocqueville au XIXe siècle avait été plus clairvoyant que Marx. Le totalitarisme et la dictature sont le totalitarisme et la dictature quelles que soient les distinctions idéologiques fallacieuses cherchant à masquer les réalités par des concepts.

Il n’est donc pas surprenant que les anciens communistes qui dirigent la Russie soient devenus des fascistes ou des nazis. Tout le démontre : le nationalisme exacerbé, le culte du chef, la guerre comme moyen normal d’action, l’expansionnisme territorial, l’indifférence la plus complète à l’égard des exactions des soldats.

 

Les libéraux et les autres

En Occident, les droites radicales ou extrêmes, tout comme les gauches radicales ou extrêmes, font preuve d’une certaine retenue lorsqu’il est question de soutenir la liberté des Ukrainiens et de condamner l’agression russe. Le tropisme anti-américain, nationaliste ou archéo-marxiste, joue encore.

Entre les libéraux, au sens large du terme, ceux qui privilégient les valeurs de liberté, et les autres, un fossé subsiste. Les libéraux ne parviennent pas à concevoir in petto un comportement aussi primaire que celui des dirigeants russes. Pourquoi refuser la liberté à un peuple indépendant ? Pour le soumettre ? Absurde, un jour prochain, il se révoltera. Pour accaparer un territoire ? Idiot, la puissance réside désormais dans les innovations scientifiques et techniques et leur développement, le territoire a perdu de son importance. Rien ne justifie au regard du devenir de l’humanité du XXIe siècle une politique de conquête violente et de domination brutale comparable à celle des nazis allemands du XXe siècle.

Pour un libéral, la classe dirigeante au pouvoir en Russie n’a donc pas compris les éléments les plus fondamentaux de l’histoire du XXIe siècle en construction. Elle est motivée par un tropisme nationaliste archaïque. L’heure est à l’affaiblissement des États-nations par un processus irrépressible de globalisation cognitive (la science est mondiale), politique (le multilatéralisme se développe depuis la Seconde Guerre mondiale, avec quelques reculs transitoires), économique (le monde est devenu un marché), humanitaire (ONG).

La mansuétude des populismes occidentaux à l’égard de Poutine s’explique donc très bien. Le même refus de l’avenir en construction les anime. Le culte de la frontière, l’attachement aux traditions régionales, le goût des structures verticales de type staff and line, l’addiction aux jeux du pouvoir constituent l’arrière-plan idéologique commun. Pour les peuples libres, le danger politique intérieur est venu s’adjoindre aux risques géopolitiques toujours présents. Les tentatives d’intervention de la Russie dans le processus démocratique occidental par des financements accordés aux populistes ou par la manipulation des réseaux sociaux représentent incontestablement une autre forme d’agression contre la liberté.

Nous autres libéraux devons donc résolument choisir notre camp, aussi bien à l’échelle internationale qu’à l’intérieur de nos pays. La liberté des générations futures en dépend.

 

 

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  • Lorsque les peuples ont goûté à la démocratie, M. Aulnas, il est très facile de les en sevrer comme vous avez pu le constater lors de l’épidémie de Covid ou encore aujourd’hui en brandissant la terreur d’un désastre climatique imminent.

  • « Vladimir Poutine pensait avaler l’Ukraine en quelques jours… »
    Vous avez lu/entendu cela où? Sur le Monde? France 2? France Inter?
    Vous voulez dire que, en qq jours, Poutine pensait battre une armée de 250-300000 hommes entrainés et équipés par les occidentaux et encadrés par des ultranationalistes dont 100000 étaient massés devant de Donbass près à attaquer? Et tout cela avec seulement 150000 hommes pour occuper un territoire de 603000km² (alors que la France en fait 544000)?
    Cela présuppose une grave incompétence de Poutine et de son état-major.
    La campagne de France de la Wehrmacht en 1940 avait mobilisé presque autant de soldats allemands (presque 3 millions) que l’armée française et avant duré 6 semaines pour n’occuper que la moitié de la France…

    Mépriser et sous-estimer d’emblée son adversaire, c’est s’exposer à de graves déconvenues. L’Occident est en train d’en faire l’expérience sans pour autant en tirer les leçons adéquates.
    En tout cas voilà un article qui commence bien mal dès la première phrase.

    • Vladimir Poutine avait avalé la Crimée en 2014 en quelques heures / jours, malgré la présence sur la péninsule de militaires ukrainiens – le fait est que ceux-ci avaient refusé de se battre contre les russes.
      Partant de là, Vladimir Poutine pouvait être fondé à croire que l’invasion du reste du pays serait assez simple, surtout s’il était convaincu que l’Ukraine était gouvernée par un bouffon, et que son objectif était juste de remplacer ce bouffon « à la solde des USA » par un autre à sa solde. D’autant plus si ses officiers du renseignement ne lui ont pas remonté que le peuple ukrainien ne l’accueillerait peut-être pas avec des fleurs.

    • Il est clair que l’armée russe voulait prendre Kiev et qu’elle a dû reculer. En prenant la capitale, centre du pouvoir politique, Poutine pouvait nommer un gouvernement fantoche, entièrement contrôlé par la Russie. Mais cette stratégie a échoué. C’est actuellement la version dominante. Je pense donc que l’expression utilisée par M. Aulnas (avaler l’Ukraine) est assez proche de la réalité. Mais vous êtes peut-être un militaire de haut niveau disposant d’une capacité d’analyse supérieure à celles des généraux français qui s’expriment dans les médias (que visiblement vous méprisez).
      Les russes pensaient rééditer la conquête facile de la Crimée. Le mépris de l’adversaire est à imputer aux dirigeants russes. Ils perçoivent les occidentaux comme décadents. Nous les percevons les dirigeants russes comme des fascistes. Ce qu’ils sont, étant donné le sort de Marioupol, entre autres horreurs.

      -2
  • Le monde de Poutine est certes un repoussoir , celui décrit par Mr Aulnas après son envolée lyrique tout autant . Misère …

  • Pour l’instant Poutine fait une guerre à l’économie, il pourrait faire une guerre méthode USA en Irak, envahir un pays souverain avec leurs complices Britanniques, massacrer des civiles en quantité illimiter, pendre Zemlinsky après un faux procès.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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