L’Ukraine : le bras de fer entre les États-Unis et la Russie

Comment expliquer ce tragique scénario ukrainien ? Quels sont les multiples enjeux du conflit russo-ukrainien ? 

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L’Ukraine : le bras de fer entre les États-Unis et la Russie

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 12 mai 2022
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L’Ukraine connaît des combats limités depuis 2014 et une guerre inédite en 2022. Comment expliquer ce scénario tragique ukrainien? Quels sont les multiples enjeux du conflit russo-ukrainien ?

 

L’Ukraine champ d’affrontement entre la Russie et les États-Unis

L’aspect global du conflit est perceptible à travers l’affrontement indirect que se livrent d’un côté les USA et de l’autre la Russie.

Les États-Unis, chefs de file du camp occidental, ont les premiers violé le droit international avec d’abord la guerre du Kosovo en 1998 puis la guerre d’Irak en 2003, ce qui a à la fois mis en avant quelques précédents fâcheux de violations du droit international et a affaibli l’autorité morale de l’Occident en général et des États-Unis en particulier aux yeux du reste du monde.

La Russie s’est à son tour sentie décomplexée dans ses atteintes au droit international avec l’annexion de la Crimée et son intervention armée dans le Donbass en 2014. Ce sont donc les deux grandes puissances que sont les États-Unis et la Russie qui ont chacune à leur tour mis en cause à la fois le droit international et le système des relations internationales fondé sur le respect des traités. La preuve en est que dans le cas du conflit ukrainien en 2014 la Russie décida de ne pas respecter le contenu du mémorandum de Budapest de 1994 qui garantissait l’intégrité territoriale de l’Ukraine tandis que les États-Unis ne remplirent pas leur engagement à défendre celle-ci. C’est donc dans un univers déréglé des relations internationales que la Russie et les USA s’affrontent sur le sol ukrainien.

Les deux impérialismes se livrent à une guerre indirecte. Depuis le changement de régime ukrainien suite à la révolution de l’Euromaidan de 2014, les USA essaient de transformer l’Ukraine en marche avancée de l’alliance euratlantique tandis que la Russie a d’abord essayé de fragiliser l’État ukrainien avec la guerre hybride menée depuis 2014 puis de détruire l’État ukrainien avec la guerre ouverte déclenchée en février 2022. Cet affrontement russo-américain se traduisit sur le terrain entre 2014 et 2022 par l’affrontement entre des soldats prorusses des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk encadrés par des officiers russes et équipés de matériel russe et des soldats ukrainiens formés par des cadres américains, canadiens et britanniques et parfois équipés d’armes américaines et britanniques.

La confrontation russo-américaine s’est intensifiée avec l’attaque russe générale contre le territoire ukrainien à partir de février 2022 et a consisté en de sanglants combats entre soldats russes disposants de matériels plus ou moins modernes de facture russe et soldats ukrainiens ayant à leur disposition de nombreuses armes antichars américaines Javelin dès le début des hostilités et pouvant utiliser depuis début mai plus d’une centaine de pièces d’artillerie de fabrication occidentale, la majorité puisée dans les stocks américains et britanniques.

Le renseignement américain aurait aussi pu jouer un rôle décisif dans la fourniture d’informations à l’armée ukrainienne dans la neutralisation de certains postes de commandement de l’armée russe et dans  la destruction de navires de guerre russes.

 

L’Ukraine entre Russie et flanc est de l’OTAN

La dimension régionale du conflit se traduit dans l’opposition entre la volonté russe de maintenir une sphère d’influence et la volonté de nombreux pays de l’ancien bloc de l’Est d’échapper à cette tutelle russe dont en particulier l’Ukraine.

Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, la Russie n’a eu de cesse d’essayer de maintenir une zone d’influence dans l’ex espace soviétique. Cette attitude néo-impérialiste russe explique que dans les années 1990, une Russie quoiqu’affaiblie soit tout de même intervenue dans les conflits en Transnistrie, Tchétchénie, Abkhazie et Ossétie du Sud. La restauration impérialiste russe s’est concrétisée à partir des années 2000 sous la direction de Poutine avec la prise de contrôle de la Tchétchénie en 2000, de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud en 2008, de l’annexion de la Crimée en 2014, du contrôle d’une partie du Donbass à partir de 2014.

Il se trouve que l’Ukraine est au cœur de la vision poutinienne de la puissance russe, d’où les interférences russes auprès du pouvoir ukrainien à partir de 2004 puis l’intervention armée limitée en 2014 et enfin l’agression militaire ouverte en 2022, afin de maintenir dans l’orbite russe le voisin ukrainien à tout prix.

Il apparaît donc logique que de nombreux pays d’Europe de l’Est et de l’ex-URSS aient voulu intégrer l’Alliance atlantique afin d’avoir une garantie de défense collective en cas d’attaque russe. C’est ainsi que la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie ont intégré l’OTAN dès 1999, les États baltes, la Roumanie et la Bulgarie dès 2004. L’Ukraine et la Géorgie, deux pays frontaliers de la Russie, ont obtenu que le principe de leur adhésion à l’Alliance Atlantique soit retenu lors du sommet de Bucarest en 2008. Les interventions russes d’abord en Crimée en 2014 puis en Ukraine en 2022 ont été justifiées par la volonté russe d’éviter une expansion de l’OTAN dans l’ex-espace soviétique.

 

Nation ukrainienne contre monde russe

Le conflit russo-ukrainien est bien sûr un affrontement entre deux idées nationales.

Le nationalisme russe a pour ambition de mettre en œuvre le monde russe, à savoir le contrôle par la Russie de toutes les terres où vivent des populations russophones majoritaires. Durant le printemps 2014, la Russie a eu pour objectif de créer une Novorossiya dans le sud et l’est de l’Ukraine. Après l’échec initial de la prise de contrôle russe sur l’ensemble du territoire ukrainien entre fin février et début avril 2022, la Russie a eu pour objectifs plus limités de s’emparer des régions les plus russifiées d’Ukraine, à savoir les zones de l’est et du sud avec le maintien de la pression militaire sur le Donbass ukrainien et sur les villes de Kharkiv et d’Odessa.

Ce nationalisme russe s’accompagne de l’imposition de la langue russe dans le système scolaire, les communications officielles et la signalétique routière des territoires ukrainiens  passés sous le contrôle russe comme le prouve le récent exemple de l’oblast de Kherson occupé depuis début mars 2022.

Ce nationalisme russe s’inscrit dans l’héritage soviétique. La mémoire de la version soviétique de la Seconde Guerre mondiale dite grande guerre patriotique est mise en avant afin d’associer l’idée russe à celle du camp du bien, soit les alliés et l’URSS, face à l’idée ukrainienne associée au camp du mal, soit l’axe et l’Allemagne de Hitler. C’est ainsi que Poutine a pu présenter son attaque de l’Ukraine en février 2022 comme la volonté de dénazifier ce pays. Cette diabolisation du nationalisme ukrainien par les autorités russes s’explique par le fait qu’une  Ukraine  indépendante signifierait l’abandon des prétentions impériales de la Russie.

Or l’idée nationale ukrainienne n’a cessé de gagner en force. En Ukraine. Alors que le nationalisme ukrainien n’était présent que dans quelques oblasts de l’Ouest ukrainien en 1991, il a réussi à se répandre d’abord dans le centre de l’Ukraine jusqu’en 2014 puis jusqu’en 2022 dans le reste de l’Ukraine, en particulier dans l’est et le sud, ce qui explique les manifestations pro-ukrainiennes à Kherson en mars 2022 pour dénoncer l’occupation russe et l’apparition d’un mouvement partisan armée ukrainien dans la région de Melitopol en avril 2022. Ce nationalisme ukrainien n’est pas lié à la langue ukrainienne sinon à la défense d’un État ukrainien et il a tendance à s’associer à l’armée ukrainienne.

L’Ukraine essaie de définir sa propre identité en se soustrayant à la vision russe. Les élites ukrainiennes ont ainsi pris le parti d’une intégration euratlantique. Cette volonté d’émancipation ukrainienne soutenue par le camp occidental se heurte toutefois à la volonté du pouvoir russe de restaurer l’empire russe. Cette opposition russo-ukrainienne débouche ainsi en des affrontements de plus en plus violents et globalisés. La guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine n’est en aucun cas un accident de l’histoire sinon l’expression ultime de la volonté russe de gagner sur le champ de bataille ukrainien un combat décisif contre l’Occident et en particulier les États-Unis.

Mais ce sanglant calcul russe s’est sans doute révélé faux car il n’a pas pris en compte la détermination de la nation ukrainienne à résister à l’invasion russe et à exister dans son propre cadre étatique.

 

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  • Un bras de fer, pourquoi pas mais il semblerait que cela ne soit que le début d’un truc bien plus dangereux si j’en crois les deniers délires de la présidente de la commission, la Chine est la suivante et cela sera sans doute les dernières cartouches tirées pas l’otan et la fin de l’ue….

  • Petite rectification: la Crimée c’est 84% de russophone, 3,4% d’urkrainophones et l’Ukraine est une très mauvaise construction artificielle qui date de l’éclatement de l’URSS et un des pays les plus corrompu au monde.
    .
    C’est un état fantoche, cible idéale des manipulations américaine, les « Ukrainiens » de l’Est qui sont profondément slaves n’ont aucune envie d’être rattachés à une UE de plus en plus corrompue.
    Les visées nationalistes et violentes des Ukrainiens de l’Ouest ont naturellement poussé la Crimée à voter le rattachement à la Russie dans un référendum parfaitement valide qui a été le prétexte au déclenchement d’une guerre économique des USA contre la Russie. Une enième violation du droit international et des « valeurs » de l’occident.
    .
    Les mêmes raisons et la violence de Kiev ont poussé le Donbass à faire sécession et il y a zéro preuve d’une intervention de Poutine qui était extrêmement réticent et patient pendant 8 ans alors que la guerre que Kiev a menée dans cette région fera 14’000 victimes.
    .
    Les USA ont dès 2015 formés et armés l’armée ukrainienne, corrompu l’état en suscitant un nationalisme agressif pour arriver à la situation présente: un monde au bord de la 3eme guerre mondiale et une Europe qui se suicide.
    .
    Les USA corrompus par la gauche ainsi que les élites gauchistes européennes sont devenues le cancer du monde et les fossoyeurs des libertés.

  • A. del Valle disait il y a peu avoir rencontré l’ancien ministre russe des affaires étrangères, Sergei Primakov, il y a une vingtaine d’années, et que ce dernier ainsi que quelques autres Russes avec lui étaient fous de rage du fait de l’intervention de l’OTAN en Serbie en 99, sans mandat de l’ONU et contre un pays pourtant allié durant les WWI et WWII. Cela d’autant que la Russie, il y a 20 ans, était encore très affaiblie et n’avait pu défendre son allié de toujours, la Serbie.
    Il y a effectivement en toile de fond de la guerre actuelle en Ukraine, la rivalité Russie-USA mais aussi la remise en cause de l’interventionnisme unilatéral otanien. D’un autre côté, les sommes fabuleuses (40 milliards $) mises dans le juke-box tout récemment par Washington semblent clairement montrer que l’objectif est d’abattre la Russie.

  • Avatar
    jacques lemiere
    14 mai 2022 at 8 h 05 min

    le droit international devrait être le sujet..

    mais le droit doit reposer sur des valeurs communes..

    j’ai comme un doute..

    Je n’attends rien de poutine sur ce plan… c’est ce que fait MON camp.. libertés individuelle souveraineté des peuples toussa qui m’ennuie..

    guerres préventives recul constant de la liberté pour la sécurité… intervention dans des guerres « civiles »..

    ce n’est pas NOUS la bonne cause… c’est les valeurs..

    nous avons un problème à régler avant de faire la leçon au monde..

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