Par Adelin Remy.1.
Marine Le Pen, qui pourrait devenir présidente de la République française, propose de « simplifier le droit fiscal et (de) lutter contre les paradis fiscaux au sein de l’Union européenne ».
Elle n’est pas la seule à droite à prôner la lutte contre les paradis fiscaux : tous les gouvernements occidentaux en ce compris les institutions supranationales et le Premier ministre de la Pologne dénoncent l’évasion fiscale ou l’optimisation fiscale agressive, devenues sémantiquement la fraude fiscale.
Elle a évidemment raison quand elle lie leur existence à la complexité du droit fiscal : ceci dit, c’est cette complexité qui permet aux citoyens aux revenus les plus faibles d’alléger, voire d’annuler le poids de l’impôt. Et à ceux aux revenus élevés, d’optimiser.
Si la complexité du droit fiscal est une des raisons, voire la raison, de l’allègement de l’impôt, comment expliquer le sentiment de l’opinion publique que l’allègement de l’impôt soit perçu comme contraire à l’éthique ?
L’opinion publique semble estimer qu’il faut payer les impôts, tous les impôts, pour financer les transferts, les pensions et les crises qui surgissent tous les cinq ans (les réfugiés d’Ukraine et de Syrie, la pandémie, la crise financière…). Même légal, l’évitement de l’impôt serait immoral.
Faut-il dès lors supprimer les paradis fiscaux ?
Des raisons économiques et politiques
Si les paradis fiscaux existent depuis si longtemps, c’est qu’ils doivent avoir une justification économique.
Le niveau de l’impôt
Les impôts élevés sont une réalité, heureusement pas dans tous les pays. Le taux d’imposition sur le revenu de 75 % annoncé par le président français François Hollande lors de son élection et le taux d’imposition de 100 % effectif payé par 8010 contribuables français après modification de la législation fiscale, parfois avec effet rétroactif, ne sont qu’un exemple pas si ancien d’impôts excessifs. Les impôts élevés qui existent en France depuis tant d’années n’ont pas entraîné une économie plus forte ou moins endettée, bien au contraire.
La complexité de l’impôt
Le Code général des impôts (CGI) en France ou les réglementations fiscales partout ailleurs sont très complexes. Par exemple, l’article 163, alinéa 25 : « Les dispositions du deuxième alinéa du 2° de l’article 83, des a bis, a ter, b bis du 18° et du 18° bis de l’article 81, de l’article 163 bis AA ainsi que du d du 1 du I de l’article 163 quatervicies ne s’appliquent pas à la part correspondant à des versements dans un plan d’épargne retraite mentionné à l’article L. 224-1 du code monétaire et financier au titre des garanties complémentaires prévues aux 4° à 6° de l’article L. 142-3 du code des assurances. »
Le CGI contient 2009 articles dont la simplification proposée devrait être longue, à moins que le code entier soit remplacé par un nouveau code.
Les activités mondialisées uniques et bénéfiques
Plusieurs pays épinglés comme paradis fiscaux ont des activités commerciales prépondérantes et uniques (les places financières de Hong Kong et Singapour, le canal de Panama, l’assurance captive aux Bermudes et aux îles Caïman…)
Dans la chaîne des coûts de la mondialisation, ces paradis fiscaux contribuent à ce que nos marchés2 proposent des produits plus abordables pour les consommateurs, comme par exemple pour le transport.
La sécurité politique internationale
Chose fréquemment oubliée, les paradis fiscaux offrent une sécurité politique. Si une entreprise d’un pays A veut investir dans un pays B et si le pays B déclare la guerre au pays A ou exproprie les actifs de la société du pays A, il peut être judicieux pour cette dernière de localiser son investissement dans le pays C. Le pays C peut être un paradis fiscal à la fiscalité réduite puisqu’il n’y a pas d’autre objectif pour la société du pays C que sécuriser l’investissement. C’est encore plus évident pour les navires traversant plusieurs eaux territoriales. Et ce n’est pas un risque théorique, la Russie soviétique en 1917 et la Chine communiste après 1949 sont des rappels de l’histoire. Et, aujourd’hui la guerre entre la Russie et l’Ukraine qu’on espère ne pas voir dégénérer pour plusieurs années.
Une autre complication est l’existence de mini-paradis fiscaux au sein des pays d’Europe occidentale qui, par ailleurs, veulent lutter contre les paradis fiscaux étrangers. Ainsi, les ports francs qui existent souvent depuis des siècles (le port franc de Trieste) : des zones économiques franches existent dans 29 pays européens. Sans évoquer les territoires d’outre-mer français et les États paradis fiscaux des États-Unis.
Impôts bas et économie saine
Des impôts bas ne sont pas toujours le signe d’une économie saine, mais une économie saine a toujours existé avec des impôts raisonnables.
Prenons la Suisse, l’un des pays les plus stables au monde. Sa politique de sécurité monétaire à long terme et sa stabilité politique en ont fait un refuge sûr pour les investisseurs (et non le contraire).
La Suisse a une balance commerciale positive, un ratio dette publique/PIB inférieur à 50 %, des réserves de change de plus de 100 % du PIB résultant dans une monnaie forte, des notations AAA, un taux d’imposition global de 27,6% du PIB (OCDE) et une tradition de démocratie directe. Pas étonnant que l’argent international s’y sente en sécurité avec des investissements directs étrangers atteignant presque deux fois le PIB.
Le secret bancaire de 1934 en Suisse a été renforcé lorsque les autorités nazies ont tenté d’enquêter sur les avoirs détenus par les Juifs et autres « ennemis de l’État » 3. En l’occurrence, la Suisse, qualifiée fréquemment de paradis fiscal par des pays n’ayant pas le même bilan économique ou démocratique, a plutôt été une terre promise pour des victimes du nazisme.
Tous les gouvernements ont inscrit un poste de lutte contre l’évasion fiscale dans leur budget depuis un siècle ou plus, souvent pour l’équilibrer, avec bien sûr un résultat à vérifier lors du contrôle budgétaire. Cette mesure budgétaire est suivie de réglementations fiscales plus ou moins heureuses et, nous pouvons l’espérer, qui ne portent pas atteinte aux droits fondamentaux. Ceux de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et ses articles 4 (pas d’esclavage donc pas d’imposition directe et indirecte de 100 %), 12 (pas d’immixtions arbitraires dans la vie privée, la famille, le domicile la correspondance), 13.2 (droit de quitter son pays et de revenir), 17 (droit de propriété, donc pas de taxe confiscatoire).
Ajoutons aussi que les chiffres internationaux de fraude fiscale sont probablement gonflés par les ONG qui reçoivent de l’argent public comme le Tax Justice Network qui reçoit près de 50 % de ses revenus de l’agence du ministère norvégien des Affaires étrangères Norad en 2020. Le TJN évalue les actifs cachés dans les paradis fiscaux à minimum 21 000 milliards dollars jusqu’à 32 000 milliards en 2020, soit jusqu’à 37,6% du PIB mondial, ce qui paraît énorme.
Et finalement, nous retombons dans le vieux débat européen concurrence fiscale vs. harmonisation fiscale : l’Union européenne est un patchwork d’anciens pays membres avec un taux d’imposition relativement élevé et des salaires élevés et de nouveaux pays membres avec des taux et des salaires plus bas et une croissance parfois plus élevée. La concurrence fiscale est cependant une notion devenue peu pertinente. Et l’harmonisation fiscale progresse, notamment avec le Base erosion and profit shifting (érosion de l’assiette fiscale et transfert des bénéfices, BEPS) de l’OCDE, le taux minimum mondial des multinationales, avec l’échange d’informations et avec la coopération pour le recouvrement de taxes.
Si le président Macron est réélu ou si Marine Le Pen est élue, la suppression des paradis fiscaux européens paraît peu réaliste et ne pourrait être mise en œuvre que si la fiscalité est mise à plat.
- Éditeur, Agefi Luxembourg – Le Journal Financier de Luxembourg’ (s’exprime à titre personnel). https://agefi.lu// ↩
- Les marchés locaux ont été créés au Moyen Âge par les princes… Le commerce proprement dit s’est développé lors du Moyen Âge à partir du commerce extérieur (Wikipedia). ↩
- Nicholas Shaxson, Treasure Islands: Uncovering the Damage of Offshore Banking and Tax Havens, Palgrave Macmillan 12 April 2011, p. 157 affirme que « l’histoire de l’origine du secret bancaire suisse n’est qu’une séduisante fiction », confondant les circonstances de création du secret bancaire de 1934 avec les aménagements apportés auparavant suite aux tentatives de les autorités nazies. ↩
Comment supprimer les paradis fiscaux ? Supprimer les enfers fiscaux ! L’hypocrisie n’a plus de limites. Les taxes sont ouvertement présentées comme incitatives, mais on serait coupable d’optimiser en fonction d’icelles ?
Vous m’avez enlevé les mots du clavier!
Supprimer les enfers fiscaux: trop simple, pas moyen de monter une usine à gaz pour ça!
On va nous pondre un ministre de la planification écologique et on veut supprimer les paradis! Cherchez l’erreur!
Il y a effectivement des tentatives, de certaines ONG entre autres, mais aussi de certains politiques, à développer le sentiment de jalousie dans le public, afin d’attribuer au vol un caractère vertueux dans le cas où il est pratiqué par des bureaucrates. Voir par exemple OXFAM pour les ONG et certains discours de M. Mélenchon.
J’adore comment un article qui se dit libéral explique que simplifier la fiscalité du pays est une mauvaise chose… L’auteur va très certainement voter Macron pour “éviter l’effondrement de la France” 🙂