Classement Forbes des milliardaires : capitalistes contre capitalistes

Le classement des milliardaires de Forbes reflète des choix de société différents entre la France et les États-Unis.

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Sheyene Gerardi spacex ELon Musk BY Telenovela Foro (CC BY-NC-ND 2.0)

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Classement Forbes des milliardaires : capitalistes contre capitalistes

Publié le 13 avril 2022
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En 1991 Michel Albert, alors patron du groupe des Assurances Générales de France (AGF) constatait qu’à l’issue de sa victoire contre le communisme « le capitalisme n’est pas homogène, mais qu’au contraire il s’est différencié en deux grands modèles qui s’affrontent » (Capitalisme contre capitalisme, Éd. Le Seuil, 1991, page 12).

Celui qu’il qualifie de « néo-américain » est fondé sur la réussite individuelle et le profit financier à court terme. L’autre, centré sur l’Allemagne et qu’il nomme « rhénan », valorise la réussite collective, le consensus et le souci du long terme. Entre ces deux incarnations du capitalisme dont la seconde lui parait bien supérieure, cet ancien Commissaire général du plan annonce un combat idéologique féroce, « une guerre de frères ennemis armés de deux modèles issus d’un même système, porteurs de deux logiques antagonistes du capitalisme au sein d’un même libéralisme » (op. cit pages 25, 26).

Avec trente années de recul on voit plus clairement ce qui différencie ces deux paradigmes et lequel a pris le dessus. Le premier structure toujours une formidable machine à innover alors que le second s’est ankylosé. S’il a contenu la montée des inégalités, il apparaît de plus en plus fragile face aux immenses défis qu’il doit relever.

Classement des milliardaires : capitalistes contre capitalistes

Une façon simple d’appréhender ce qui différencie aujourd’hui ces deux idéaux-types est de cerner le profil des détenteurs de plus grosses fortunes au sein de chacun d’eux.

Comparer la trajectoire de Bernard Arnault, troisième fortune mondiale et celle d’Elon Musk qui occupe la première place du classement que vient de publier le magazine Forbes est de fait riche d’enseignements.

Un empire conservateur

Premier Européen, le Français, président-directeur général du groupe de luxe LVMH détient une fortune estimée à 158 milliards de dollars (contre 150 en 2021).

Il la doit au succès d’un groupe qu’il a façonné de toutes pièces, un groupe qui a réalisé 64,2 milliards d’euros de ventes en 2021 et qui fait travailler 175 000 personnes dans le monde.

Parmi les six secteurs d’activité qu’il couvre, celui de la mode et de la maroquinerie joue le rôle de vache à lait en assurant près de la moitié du chiffre d’affaires. Les 14 maisons qui le composent ont pour chef de file Louis Vuitton, une marque fondée en 1854. Dans les vins et spiritueux il fédère notamment Château d’Yquem (né en 1593), Dom Pérignon (1688), Moët et Chandon (1743), Hennessy (1765) ou Veuve Clicquot (1772). Le vignoble le plus ancien qu’il détient a été créé en 1365.

En son sein, montres et joailleries sont devenues un autre poids lourd en réunissant sous une même bannière des marques comme Chaumet qui existe depuis 1780 ou Tag Heuer fondée en 1860. Quant à la parfumerie, LVMH en est aussi un acteur mondial avec des enseignes aussi prestigieuses que Guerlain (1828) ou Parfums Christian Dior (1947).

Cet ensemble a été construit par son architecte en capitalisant sur le passé, en optimisant et en développant l’existant. La toile en a été patiemment tissée par voie de fusions-acquisitions comme seul pouvait le faire un grand financier animé du génie de la conservation.

Le monde selon Elon

Nous sommes aux antipodes de l’univers d’Elon Musk, provocateur, disruptif, visionnaire, risk lover dont la passion est de créer de toutes pièces de nouvelles activités.

Il est à l’origine de la firme Tesla qui est en voie de reconfigurer toute la filière automobile et, plus encore, de transformer toutes les approches de la mobilité.

Il s’est aussi imposé dans l’industrie spatiale avec Space X, dans la production d’énergie avec Solar City, dans les infrastructures internet avec Starlink et dans l’intelligence artificielle avec Neuralink.

La fulgurante valorisation de Tesla en a fait le détenteur de la plus grande fortune de tous les temps. À la mesure du pouvoir qu’il a acquis sur la marche de l’économie, elle est passée de 24,6 milliards de dollars en 2020 à 219 milliards en 2022 sans que cela change grand-chose au mode de vie de ce bourreau de travail.

Provocateur, il a aussi montré un sens très poussé de la mise en scène lorsque le 6 février 2018 une de ses fusées Falcon Heavy (70 mètres, 1500 tonnes, 27 moteurs) a propulsé dans l’espace un roadster tesla rouge avec à son bord Starman, un personnage né de l’imagination de David Bowie : « J’aimais l’idée d’une voiture errant pour l’infini dans l’espace et qui pourrait être découverte par une race alien dans des millions d’années », a-t-il alors avancé pour justifier ce qui était en fait le premier vol d’essai du nouveau lanceur lourd de Space X devenu depuis un concurrent très sérieux d’Ariane Espace.

En ayant accepté de fournir aux Ukrainiens les terminaux Starlink que fabrique une de ses firmes, Musk permet aujourd’hui à l’armée ukrainienne de guider avec précision ses drones de combat. Par ce geste il modifie l’équilibre des forces en présence et montre qu’il est de fait devenu un acteur géopolitique de premier plan.

La Tech ou le luxe

Si on considère l’ensemble du classement, on constate que parmi les dix premiers, huit sont américains. Outre Elon Musk on y trouve le créateur d’Amazon qui a révolutionné toutes les activités de distribution et les fondateurs des plus grands groupes technologiques de la planète (Microsoft, Google, Oracle) qui ont transformé nos modes de vie.

Si en revanche on considère la liste des plus grandes fortunes hexagonales on voit qu’elles ont un lien fort avec l’industrie du luxe.

Le groupe LVMH qui survole le palmarès est suivi à la quatrième place par François Pinault et sa famille, à la tête de Kering (Gucci, etc.) et de la firme de vente aux enchères Christie’s. Les frères Wertheimer, propriétaires de Chanel, occupent les cinquième et sixième places, et dans le top 20, on trouve encore Nicolas Puech, patron d’Hermès. C’est un tir groupé qui met en évidence la solidité des positions françaises dans ces activités traditionnelles mais, par contraste, souligne aussi leur faiblesse dans les secteurs d’avenir.

Stocks vs flux

Si on considère que les activités économiques sont toujours en tension entre tradition et innovation, nos plus grands entrepreneurs campent résolument près du premier pôle et n’utilisent les ressources du second que pour les mettre au service d’activités éprouvées, en lançant par exemple des solutions d’e-commerce.

Cela illustre le rapport très différent à l’innovation qui prévaut de part et d’autre de l’Atlantique. Dans le même sens on relève que la moyenne d’âge des entreprises qui composent le Nasdaq est de 25 ans et celle des sociétés du CAC 40 légèrement supérieure à 100 ans.

Cet indicateur confirme l’ampleur du fossé qui sépare les deux modèles identifiés par Michel Albert pour ce qui est de la création de richesse. Dans un cas c’est le poids du patrimoine qui domine, un patrimoine qu’il faut chérir et valoriser. À cette forme de misonéisme éclairé s’oppose la passion d’Elon Musk et de ses semblables pour l’innovation qui ouvre de nouveaux chemins à explorer. À une vision conservatrice de l’économie en termes de stocks s’oppose une vision dynamique en termes de flux.

Ces deux visions antinomiques du monde semblent également convenir à la déesse de la fortune mais n’ont pas le même impact sur l’avenir de l’humanité. On devine aisément de quel côté il faut se tourner pour espérer vaincre les formidables obstacles qui entravent la marche de nos sociétés.

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