La prostitution : sujet oublié de la présidentielle (II)

Au lieu de chercher la pénalité à tout prix, il faut réfléchir en termes de service pour offrir aux travailleurs du sexe un mode de vie digne au lieu de vouloir les exclure de la société.

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Prostitution - Pute Pride (10) - 22Mar08, Paris (France) - Credits Philippe Leroyer (CC BY-NC-ND 2.0)

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La prostitution : sujet oublié de la présidentielle (II)

Publié le 14 mars 2022
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Après avoir précédemment abordé la place de la prostitution dans l’Histoire, sa sociologie et son environnement législatif, il convient dans cet article de repenser la réflexion autour du fait prostitutionnel.

Disposer de son corps, un droit encore à conquérir

Le fait de disposer de son corps signifie en être le propriétaire, pouvoir en faire ce que l’on souhaite dans les limites de la propriété du corps d’autrui. Ce droit à la libre disposition de son corps a été le combat mené par le féminisme ayant conduit à la loi de 1975 sur l’IVG, qui donne la possibilité aux femmes de mettre un terme à leur grossesse.

Pourtant ce combat ne semble pas concerner le fait prostitutionnel et plus généralement les travailleurs du sexe. Comme l’affirme Daniel Borillo, « force est de constater que pour chacun d’entre nous la liberté de disposer de son corps et de sa vie demeure, du point de vue juridique, l’exception ». En effet, sous couvert du concept flou de dignité de la personne humaine, lui porter atteinte peut contrevenir à l’ordre public (cf l’affaire du lancer de nain).

En matière de prostitution, le même raisonnement semble s’appliquer.

La liberté ne devrait être limitée que si elle affecte négativement les autres individus. Toujours selon Borillo : « la liberté sexuelle implique la possibilité d’entretenir des relations sexuelles avec qui nous souhaitons et dans les conditions convenues avec nos partenaires ».

On ne peut qu’être d’accord quand il affirme que « la seule limite à une telle liberté consiste en l’existence de préjudice à autrui ».

Dès lors, « ce qui est condamnable ce n’est pas la prostitution mais les circonstances souvent dégradantes dans lesquelles elle s’exerce ».

Ainsi, « lorsqu’une femme décide de se prostituer, il ne faut pas l’infantiliser en la traitant comme une victime mais l’aider à conquérir les meilleures conditions de travail ». L’État « devrait garantir à ces travailleurs et travailleuses les mêmes conditions par l’application du droit commun (droits sociaux, droits sanitaires, sécurité, hygiène…) ».

Il convient aussi d’abandonner le préjugé selon lequel la personne prostituée vend son corps. En réalité, elle fournit un service avec son corps, ce qui est totalement différent. Le fait prostitutionnel peut s’apparenter à un contrat.

Le fait prostitutionnel comme acte contractuel

Analyser le fait prostitutionnel de manière contractuelle est peu commun et permettrait de remettre en cause un grand nombre d’arguments contre la prostitution.

Un contrat est un acte juridique bilatéral supposant un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes. Sans cet accord, il n’y a pas de contrat. L’expression de la volonté de deux parties permet la création d’obligations juridiques. Ici, au nom de l’autonomie de la volonté kantienne, la volonté se donne à elle-même sa propre obligation. Le contrat suppose la rencontre d’une offre et d’une acceptation consenties. Cette rencontre forme alors un contrat qui obligera les parties à exécuter leurs obligations contractuelles. Ainsi, en achetant du pain, un contrat implicite se forme entre le vendeur et le client. Dès lors que la baguette est sur la table, le client la paie. S’il ne le fait pas, il rompt ce contrat et sa responsabilité est engagée. Le fait prostitutionnel relève du même principe.

L’offre est très souvent du côté du travailleur du sexe qui propose un prix fixe ou variable contre un ensemble de prestations. C’est le client qui donne ou pas son accord. Aujourd’hui, cette rencontre des volontés se fait très souvent via internet ou un appel téléphonique. Dès lors que ce contrat est formé, chacun doit exécuter ses obligations.

Le consentement de l’un et de l’autre ne doit pas être vicié. Ici, le vice du consentement peut être élargi à l’ensemble de la relation contractuelle. Dès lors que le travailleur du sexe est blessé dans son rapport contractuel, notamment si le client l’oblige à ce qu’il n’a pas consenti, il est libre de refuser au besoin par la force, il est dans son droit. Mais si le consentement est librement donné, les obligations contractuelles exécutées avec respect et si aucun tiers n’a été atteint dans ses droits, il n’y a aucune raison d’interdire une telle pratique. Selon Walter Block, on pourrait d’ailleurs affirmer que tout ce qui touche de près ou de loin à l’activité sexuelle pourrait s’apparenter à de la prostitution, car nous payons toujours les relations sexuelles.1

Les conséquences néfastes de la loi de 2016

Le législateur de 2016 s’est beaucoup appuyé sur l’exemple de la Suède. Pourtant, loin d’être une réussite, le modèle suédois a montré de nombreux effets néfastes. En effet, en instaurant la pénalisation du client la loi a eu pour conséquences des violences accrues, un accès plus difficile à la prévention, aux soins médicaux, à la diminution des conditions d’hygiène, une soumission plus forte aux réseaux, des pratiques sexuelles plus risquées. Et cela n’a en aucun cas réduit la prostitution. Et ce n’est pas non plus en considérant le client comme un malade que l’on résoudra la question de la prostitution.

En effet, comme l’affirme Janine Mossuz-Lavau :

On annonce la suppression du délit de racolage public ce qui signifie en clair : nous rayons de la carte ce délit, la police ne viendra plus vous embêter. Mais les clients n’auront plus le droit de vous approcher, donc vous aurez le droit de vendre en paix des services sexuels mais les acheteurs potentiels seront passibles d’amendes s’ils tentent de les acheter.

Comment les policiers pourraient contrôler toute cette clientèle ?

Comme l’a démontré l’enquête de la chercheuse Hélène Le Bail,

La loi sur la prostitution met en difficulté les personnes qu’elle était censée protéger mieux.

Cette loi a entraîné une dégradation importante des conditions de vie déjà très précaires des personnes prostituées (des femmes dans 85 % des cas) : diminution des revenus, difficultés de logement, pour se nourrir, etc. Les clients qui respectent les règles établies au départ se raréfient et les mauvais prolifèrent.

Alors au lieu de chercher la pénalité à tout prix, il faut réfléchir en termes de service pour offrir aux travailleurs du sexe un mode de vie digne au lieu de vouloir les exclure de la société. Il faut donc abolir toute réglementation en matière de prostitution et protéger contre la traite et le travail forcé.

  1. Walter Block, Défendre les indéfendables, Les Belles Lettres
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  • Sujet tabou. Dommage que l’on en parle jamais quand on parle de violences faites aux femmes. Il y en aurait certainement beaucoup moins. Le sexe est une source de tensions et personne n’en parle.

  • L’objectif réel de toutes ces lois est de punir les prostituées (même si l’on dit le contraire!). Ce sont des personnes considérées comme des sous êtres humains, avec des problèmes psychologiques, qui ne devraient pas avoir le droit de choisir pour eux mêmes.
    Elles doivent être exclues, rabaissées, punies. Le pire c’est qu’au moins en partie, elles représentent justement l’indépendance des femmes. Elles proclament l’utilisation de leur corps pour gagner de l’argent sur le dos des hommes. C’est d’ailleurs peut être pour ça que les politiciens luttent contre, ils ne veulent pas l’indépendance des femmes.

    • @titi vous pensez vraiment qu’il n’y a que des femmes prostituées ? Vous pensez vraiment que gagner de l’argent de cette manière est une libération ? Essayez donc pour voir .. pour info quand on est prostitué on a 60 à 120 fois
      plus de risques d’être agressé ou assassiné que la population de
      base. Ca donne envie d’essayer , non ?

    • @titi suite : espérance de vie moyenne : 40 ans , quelle libération !

      • Avatar
        jacques lemiere
        14 mars 2022 at 17 h 18 min

        libération de la misère parfois.

        • @jacques vous trouvez vraiment que l’on se libère de la misère en faisant cela ?

          • « libération de la misère parfois »
            Parfois, Jacques a dit. C’est pas faux, même si très à la marge.
            Pour certains et certaines c’est synonyme d’argent facile à gagner. Tout le monde n’a pas les mêmes interdits vis à vis du sexe. Après oui, les boulevards des maréchaux ça pue le crack et la misère.
            Troll on\
            Si on devait interdire toutes les professions qui ne permettent pas de se libérer de la misère on deviendrait tous riches du coup ?
            Troll off\
            Sérieusement cette fois, je ne sais pas sonder les cœurs et les reins et je n’ai aucune raison de penser qu’une personne qui vend ses services ne soient pas consentantes sauf preuve du contraire ( et cela devient donc un crime pour celui ou celle qui contraint ?)

            • Il faut pénaliser la contrainte mais pas la liberté. C’est assez simple en fait.
              Avec un contrat de travail ou un statut de libéral, il serait assez facile de ne pas se trouver sous la contrainte et on s’assurerait du consentement. Il y aurait les tribunaux pour trancher les conflits. La vie normale quoi.
              Les jugements moraux on s’en tape sérieusement ou alors on applique les miens ?

      • Si on n’a plus le droit de faire des choix de vie que je juge déplorable où allons nous ?
        Et je rajoute que ce n’est pas une vie que je souhaiterais à mes enfants mais si ils la choisissaient, je préférerais mille fois que cela soit dans la légalité plutôt que dans la clandestinité.

  •  » aux travailleurs du sexe un mode de vie digne » : vous ne voyez pas comme une contradiction ? Petit indice , allez faire ce « travail » une semaine et on en discute .

    • Avatar
      LasciatemiCantare
      14 mars 2022 at 16 h 02 min

      Et vous, l’avez-vous fait ? La solution est donc d’interdire ? Comme dit dans l’article, la loi de 2016 est une catastrophe.

      Ah si, elle permet une « reconversion » des travailleuses du sexe qui peuvent monter un « dossier » qui mettra des mois à être traité par notre chère administration. Et pendant ce temps-là, elle ne toucheront pas un rond.

      • @Lascia ça ne risque pas puisque je suis contre . Et vous , puisque vous êtes pour , quand tentez vous votre chance sur les grands boulevards ? Vous viendrez nous raconter votre expérience .

        • Mais personne n’est « pour » la prostitution, disons plutôt que nous sommes « contre » la prostitution clandestine et voulons laisser le choix à celles et ceux qui seraient consentants pour exercer cette profession si ils le souhaitent.
          Il y des filles qui pourraient aisément faire autre chose vu leur plastique, leur niveau d’études, les différentes langues parlées etc.. ça existe aussi il ne faut pas se mentir , il n’y a pas que la misère il y aussi le luxe.
          Bref c’est compliqué, donc le mieux est de s’assurer de leur consentement et quoi de mieux qu’un contrat ?

          • @aero je comprends votre point de vue et j’entends bien vos arguments . Mon point est le suivant : ce travail détruit les gens qui le pratiquent . Le légaliser c’est l’officialiser comme travail normal , ce qu il ne sera jamais . Vous écrivez le contrat assurera le consentement : vous imaginez vraiment que le client signera un contrat avant chaque passe ? Vous imaginez la police et la justice trancher sur les litiges … Mon opinion sur le sujet : rien , ni pénalisation , ni légalisation : on tolère ; en revanche pénalisation ultra forte sur le proxénétisme .

            • Bah on est d’accord en fait.

            • Bah si il n’y pas consentement il y a viol donc oui je vois bien la justice s’en mêler.
              Et si il y a consentement, cela ne regarde pas la justice ni moi, comme pour toutes les relations sexuelles.
              Oui le truc du contrat c’est pas simple j’admets.

              • @aero  » il y a viol donc oui je vois bien la justice s’en mêler » : quand on voit le peu de violés qui arrivent à obtenir justice (pour tout un tas de raisons justifiées d’ailleurs) , on imagine les problèmes des prostitués pour y arriver … c’est un peu comme le maso qui va porter plainte pour s’être fait tabasser … bonne chance

        • Mais personne n’est « pour » la prostitution, disons plutôt que nous sommes « contre » la prostitution clandestine et voulons laisser le choix à celles et ceux qui seraient consentants pour exercer cette profession si ils le souhaitent.
          Il y des filles qui pourraient aisément faire autre chose vu leur plastique, leur niveau d’études, les différentes langues parlées etc.. ça existe aussi il ne faut pas se mentir , il n’y a pas que la misère il y aussi le luxe.
          Bref c’est compliqué, donc le mieux est de s’assurer de leur consentement et quoi de mieux qu’un contrat ?

    • La dignité est elle dans le regard qui juge ou dans le regard qu’on pose sur soi-même ?
      Je n’ai pas forcément la réponse, mais je ne trouve pas les personnes qui se prostituent indignes ( ni leur mode de vie )

      • @aero ce n’est pas mon regard , c’est celui qu’ils posent sur eux mêmes . Posez vous la question : pourquoi ne ferais je cela qu’en extrême limite vitale ? Les gens pensent toujours que ceux qui sont contre la prostitution ont un jugement moral sur les personnes qui la pratiquent pour vivre, c’est souvent l’inverse , on éprouve de la compassion pour des êtres qui se trouvent réduits (causes multiples , souvent incestes , viols , misère ) à pratiquer ce sinistre métier . J’ai par contre un regard dur vis à vis de ceux qui y ont recours , souvent il feignent d’ignorer le contexte de vie de ceux dont ils achètent les services , ça les arrange bien sûr . Et je leur pose la question : pourquoi achetez vous un service que vous pouvez obtenir gratuitement ? Que cherchez vous ? La réponse ne vient pas car elle est hideuse .

        • @val.
          J’éprouve de la compassion et je suis même révolté que des personnes soient contraintes de se prostituer pour survivre. Ca doit être très dégradant et insupportable à vivre. Mais je ne suis pas du tout choqué que d’autres personnes se prostituent par choix ce qui pour moi n’a rien d’indigne. Où est le mal et la gêne entre adultes consentants ?
          Les clients je m’en tape, ils sont forcément consentants ( même si ils peuvent être veules et sordides ).
          J’ai un ami handicapé, il me pardonnera de parler de lui. Il fréquente des prostitués car c’est le seul moyen pour lui de trouver une personne voulant avoir un acte sexuelle avec lui. Alors oui il pourrait se contenter de son triste sort et s’abstenir, mais désolé je n’arrive pas à le juger durement.
          Quant à moi, je suis un gentleman hein, si on ne me désire pas ardemment, je ne couche pas.

          • @aero une de mes cousines sans handicap avait épousé un tétraplégique , une autre de mes cousines handicapée a épousé un handicapé , so what ? Arrêtez de prendre les handicapés pour des handicapés sexuels .

  • Acheter un acte sexuel est interdit depuis la loi sur la pénalisation du client.
    Produire et diffuser des films pornographiques est autorisé.
    Donc si j’ai bien compris, il est interdit de payer quelqu’un pour une relation sexuelle,
    sauf si c’est filmé.

  • Les commentaires sont fermés.

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