Par Khalid Tinasti.
Fin janvier 2023, le Conseil économique, social et environnemental a rendu un rapport préconisant une commercialisation encadrée du cannabis. En 2021, une mission d’information de l’Assemblée nationale avait elle aussi recommandé une légalisation du cannabis sous contrôle de l’État.
Depuis quelques années, les débats sur le contrôle et la riposte au cannabis se sont multipliés en France. Face à l’augmentation de la consommation, du trafic et des saisies, ces travaux ont en commun d’appeler à abandonner la répression de l’usage récréatif, en suivant l’exemple de pays qui se tournent vers la légalisation et la régulation du marché.
Cette vague atteint doucement l’Europe. Au Luxembourg et à Malte, la production et la consommation personnelles sont régulées. En Allemagne et en Suisse, la légalisation de l’usage récréatif au niveau fédéral commence ses parcours législatifs. Certaines villes néerlandaises et suisses expérimentent la production légale pour fournir leurs coffee-shops ou leurs consommateurs locaux.
En France, avec une importante prévalence d’usage mais également un système plus répressif que chez ses voisins avec des résultats peu probants, le cannabis pose divers problèmes qui requièrent une stratégie de riposte lisible. Ces problèmes sont sécuritaires (du deal visible à la violence armée), économiques (le marché illégal offre des opportunités aux habitants des quartiers prioritaires), ou sanitaires (prévalence d’usage élevée parmi les mineurs et les adultes).
Le débat se divise avec peu de nuances entre les tenants de la répression et les partisans de la légalisation.
Quels arguments en faveur de la légalisation ?
La légalisation est en place depuis quelques années en Californie ou au Canada. En supposant que la société accepte la consommation de cannabis comme état de fait, elle se défend par son potentiel à remplacer le marché illégal et à mieux protéger la santé des consommateurs par des régulations concernant la qualité, et des restrictions sur les quantités. Elle offre de surcroît un cadre juridique pour régler les conflits entre les acteurs de ce marché (droit commercial, droit du travail et de la concurrence, par exemple).
En limitant l’accès aux mineurs, en améliorant la qualité des produits disponibles à la vente et en établissant des règles légales claires pour cette filière, la légalisation promet un meilleur contrôle de la substance, de ses différents usages et de ses conséquences sociales, économiques et sanitaires.
Mais compte tenu de son usage diffus, de sa présence dans différentes strates de la société et de son imbrication dans d’autres politiques publiques (de la sécurité, à l’éducation, au travail ou à la santé publique), la légalisation du cannabis peut-elle être considérée sans y intégrer d’autres dimensions clés pour la France ? Par exemple, la politique de la ville et l’effacement des casiers judiciaires pour des actes qui deviendraient légaux ? Ou encore la viabilité même d’un modèle économique d’un marché « nouveau » qui se superpose à un marché illégal résilient et bien installé ? Est-il possible, dans l’état actuel de polarisation du débat, de légaliser le cannabis mais aussi d’adapter en conséquence une myriade de règles durant les années qui viennent ?
Ces questions n’ignorent pas que le droit international interdit la légalisation autre que médicale ou à visée de recherche scientifique du cannabis. Nous nous focalisons ici sur les défis et les objectifs nationaux d’une éventuelle légalisation récréative du cannabis.
La reconversion des acteurs du marché illégal
Le modèle de légalisation californien, plus que les divers modèles provinciaux au Canada, est d’intérêt pour la France.
Ce dernier intègre des dimensions de riposte qui se concentrent sur les quartiers prioritaires et sur l’intégration dans le marché légal d’acteurs pénalisés dans le passé. De plus, la loi permet aux élus municipaux d’accepter ou non des dispensaires cannabiques sur leurs territoires. Elle permet également aux personnes avec des casiers judiciaires pour des faits non violents (incluant la consommation, le deal ou le transport de cannabis) de les faire effacer. Ainsi, des villes comme Los Angeles ou Oakland ont essayé de donner des permis de dispensaires en priorité aux anciennes petites mains du marché illégal, afin de leur permettre de s’intégrer dans le nouveau marché régulé.
Loin d’une image caricaturale et hormis la quasi-impossibilité de sa mise en place dans une économie de marché compétitive dans laquelle les investisseurs et entrepreneurs aguerris maîtrisent mieux les règles du jeu, cette disposition juridique est un cas d’études pour la France. Les problèmes visibles et les activités de trafic semblent se concentrer dans certains quartiers prioritaires et au sein de populations éloignées des opportunités de travail légal.
Toutefois, ce point central de la riposte au cannabis n’a été jusque-là mentionné par aucun responsable politique français tenant de la légalisation. Pourtant, le modèle d’une future industrie légale du cannabis dépend en grande partie de l’intégration dans le débat public de cette relation intrinsèque entre le marché illégal du cannabis et l’économie illicite dans les quartiers prioritaires. S’intéresser à cette question permettrait de déterminer la taille et les contours potentiels des marchés légaux et illégaux, d’en réduire les acteurs ou d’y augmenter la concurrence, et ainsi la violence. Cela participerait aussi à définir la qualité, la traçabilité et la puissance des produits disponibles dans le pays.
D’une panacée à une autre
Le débat actuel occulte également la difficulté de la mise en place d’un marché légal et de sa capacité à réussir. Comme la prohibition du cannabis qui a été présentée comme une solution pragmatique, unique et réaliste au début du XXe siècle, la légalisation est promue actuellement comme une icône et une solution définitive. De l’espoir que la prohibition serait en mesure d’éliminer l’usage du cannabis par la répression de ses producteurs, ses revendeurs et ses consommateurs, nous assistons à la promotion de la légalisation comme la panacée pour éliminer le marché illégal, son économie et ses acteurs.
Mais la légalisation est bien plus complexe à mettre en place qu’une série de règles édictées par le gouvernement et dont le non-respect est puni. C’est un effort collaboratif où une série d’acteurs et d’intérêts (acheteurs, industriels, agriculteurs, etc.) s’influencent les uns les autres et influencent les résultats du modèle de légalisation lui-même. Dans la chaîne d’approvisionnement de cannabis légal, par exemple, qui définit les standards de qualité que doivent suivre les agriculteurs ? Est-ce l’État qui établit des normes, les spécifications des revendeurs, ou les labels de standardisation privés ? Et qu’est-ce qui influence le plus les comportements des consommateurs dans un marché légal ? Les lois qui établissent les normes sanitaires et les limites de concentration des ingrédients psychoactifs, ou les boutiques qui disposent les produits selon leur valeur commerciale ?
La légalisation a besoin d’une approche graduelle, longue et construite autour des problématiques propres à l’économie illicite. En France, celles-ci relèvent de la sécurité et des affaires sociales pour répondre aux besoins nationaux et minimiser les conséquences inattendues pour les citoyens. La prohibition du cannabis a été un choix de facilité du début du XXe siècle. La légalisation, elle, est la réponse publique la plus exigeante et la plus compliquée à définir et à mettre en place pour contrôler le cannabis. C’est peut-être sur ce point que les stratégies diffèrent le plus. C’est aussi là que réside la plus grande incompréhension dans ce débat.
Khalid Tinasti, Chercheur au Center on Conflict, Development and Peacebuilding, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Je ne vois qu’un moyen de dissuader les jeunes de s’intoxiquer avec cette cochonnerie: rendre sa consommation obligatoire.
La consommation « récréative » est de fait en France une tolérance légale. Celle, moins récréative, en adjonction aux crimes et délits n’est de fait pas sanctionnée non plus par la justice. Donc à quoi bon faire des lois supplémentaires quand il s’agirait juste de formaliser l’existant ?
« La consommation « récréative » est de fait en France une tolérance légale. »
La consommation d’alcool est une tolérance légale puisque pour un conducteur, une dose limite est fixée légalement, et mesurée avec précision par divers moyens lors d’un contrôle.
Par contre un conducteur positif au cannabis, c’est tolérance zéro ( je n’ai jamais entendu dire qu’après détection, on mesurait la dose de drogue dans le sang par un quelconque moyen?)