Vers une régulation plutôt qu’une pénalisation de la prostitution en France ?

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) examine actuellement la recevabilité d’une requête contre la loi française de 2016 visant à pénaliser les clients de la prostitution. Cette remise en question met en lumière les débats sur la légitimité de la pénalisation des clients, tout en soulevant des questions cruciales sur les droits et la santé des personnes prostituées.

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Vers une régulation plutôt qu’une pénalisation de la prostitution en France ?

Publié le 3 septembre 2023
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La CEDH vient de déclarer recevable une requête contre la loi du 13 avril 2016 « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ».

Les juges de Strasbourg se prononceront sur le fond de l’affaire dans les mois à venir, mais cette recevabilité met d’ores et déjà en difficulté le dispositif français de pénalisation des clients.

L’article 611-1 du Code pénal (créé par la loi du 13 avril 2016 sur la pénalisation des clients de la prostitution) établit que :

« Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe » (1500 euros d’amende).

La récidive est punie de 3750 euros, complétée parfois par un stage de sensibilisation. L’esprit de cette loi pénale tient à une idée aussi simple que dangereuse : « Supprimons les clients et nous supprimerons du même coup la prostitution ! ».

En novembre 2018, des associations défendant les travailleurs et travailleuses du sexe ont saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la loi de 2016. Plusieurs arguments étaient invoqués, en particulier celui de l’intrusion exagérée dans la vie privée de majeurs consentants.

Le 1er février 2019 le Conseil constitutionnel a considéré que la pénalisation des clients est conforme à la Constitution en ces termes :

« Au regard du droit à la protection de la santé, résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences sanitaires pour les personnes prostituées des dispositions contestées, dès lors que cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate ».

Suite à cette décision du Conseil constitutionnel, 261 travailleurs et travailleuses du sexe et 19 associations ont décidé de saisir la CEDH invoquant que la loi française qui incrimine « l’achat de services sexuels », met dans un état de grave péril l’intégrité physique et psychique, et la santé des personnes qui, comme eux, pratiquent l’activité de prostitution.

En optant pour une criminalisation de l’achat de services sexuels, la France aurait poussé les personnes prostituées à la clandestinité et à l’isolement, les rendant plus vulnérables face à leurs clients, lesquels se trouveraient plus à même d’être impunément violents à leur égard, ou de leur imposer des pratiques à risques, les exposerait davantage au vol, aux agressions, à la stigmatisation et aux risques de contamination, et restreindrait leur accès aux services de prévention, de soins et d’aide à l’insertion.

Les requérants soutiennent que la répression pénale du recours, même entre adultes consentants et même dans des espaces purement privés, à des prestations sexuelles contre rémunération viole les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), et 8 (droit au respect de la vie privée en ce qu’il comprend le droit à l’autonomie personnelle et à la liberté sexuelle) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

Sans préjuger de ce que la CEDH va statuer sur le fond de l’affaire, l’annonce de la recevabilité de la requête signifie que les griefs sont fondés.

Et pour cause, en décembre 2019, après une évaluation de l’application de la loi, un rapport interministériel avait déjà mis en lumière à la fois une aggravation de la précarité des personnes qui se prostituent dans la rue, et un transfert du sexe tarifé vers le web.

En ce sens, loin d’avoir mis fin à la prostitution, comme le prétendaient les promoteurs de la loi, celle-ci a favorisé le développement des nouvelles formes de racolage articulées autour du web dans des sites d’escorting souvent hébergés à l’étranger.

Aussi, Médecins du Monde a pu constater :

« La santé des travailleuses du sexe s’est détériorée, non seulement parce qu’elles sont moins en mesure d’imposer le port du préservatif, parce que l’accès à la prévention et aux outils de réduction des risques est rendu plus compliqué par l’isolement, mais également parce qu’elles travaillent plus et plus longtemps pour gagner moins, ce qui les place dans une grande précarité économique et fragilité ».

L’étude effectuée par Théo Gaudy et Hélène Le Bail (CNRS, CERI-Sciences Po Paris) arrive aux mêmes conclusions.

La CEDH s’était déjà prononcée d’une manière générale en 2005 sur la liberté sexuelle dans un célèbre arrêt KA et AD contre Belgique en considérant que :

« La faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps ».

Il reste à savoir si ce principe s’applique aussi à la pénalisation des clients.

Depuis une perspective libérale, la reconnaissance légale du travail sexuel constitue la consécration du principe de la liberté de disposer de son corps, permet de mieux combattre la prostitution forcée, et surtout celle des mineurs, d’éliminer les situations d’abus et d’assurer des conditions dignes de travail aux prostituées en matière de sécurité et de santé.

Fruit de la croisade morale menée par les mouvements abolitionnistes de droite comme de gauche, la loi de 2016 a réussi à imposer aux autres, c’est-à-dire aux personnes prostituées et à leurs clients, une conception paternaliste selon laquelle la personne qui se prostitue est une victime à protéger des clients, mais aussi d’elle-même puisqu’on ne peut consentir à la prostitution sous peine de compromettre sa propre dignité humaine : le féminisme s’est découvert ainsi abolitionniste, et le conservatisme s’est passionné pour l’égalité des sexes, comme l’a bien montré le sociologue Lilian Mathieu.

Comme tout travail, la prostitution peut être libre ou subie.

Le seul moyen efficace de mettre fin à la contrainte d’un supposé « système prostitutionnel » est de rendre les prostitués, hommes et femmes, libres de leur force de travail. L’État devant être garant et protecteur de l’exercice de cette liberté, laquelle devrait avoir un corollaire : celui de la soumission de l’activité prostitutionnelle aux règles de droit auxquelles est assujetti tout acteur économique, comme nous l’avons proposé dans un rapport de Génération Libre.

 

Dans une approche pragmatique, libérée de tout a priori idéologique, l’appréhension du phénomène prostitutionnel par l’État appelle une régulation, et non une pénalisation au nom d’une victimisation supposée des travailleurs et travailleuses du sexe. La CEDH pourrait se prononcer en ce sens et demander à la France l’abrogation de la loi de 2016, au motif qu’elle porte atteinte aux droits fondamentaux des personnes prostituées.

Voir les commentaires (6)

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  • Avatar
    alline.francois@gmail.com
    3 septembre 2023 at 9 h 20 min

    Toujours aussi pertinent cher Daniel. J’ajoute en avoir connu (et non pratiqué) beaucoup puisqu’elles venaient le soir tard dans mon cabaret à Paris prendre un verre. Ce qui était drôle puisque j’avais aux mêmes heures de nombreux psychiatre de l’assoc ile de France qui venaient aussi. Je me suis toujours demandé si elles n’étaient pas plus utiles et efficaces qu’eux….

  • Ânerie hollandaise. Une de plus !
    Et tartufferie ! Quand Hollande promet qu’il mettra fin au délit de racolage passif – ânerie sarkoziste – beaucoup pensent qu’enfin les prostitué.e.s, qui paient leurs impôts, seront enfin des salariés comme vous et moi.
    Et mensonge. L’on prétend qu’aucune femme ou homme ne fait ça librement, soit happé dans un réseau de traite, soit totalement irresponsable, en dehors. L’on doit donc vouloir faire le bien, malgré elles, de ces pauvres « victimes », d’autrui ou d’elles-mêmes.
    Beaucoup de femmes socialistes se sont jetées, avec gourmandise, dans ce bourbier. Réglaient-elles des comptes, jalouses, avec la gente masculine, plus sensible à une courbe poitrine qu’à un esprit fourbe ?
    Et c’est ainsi que la gauche, dénonçant l’insécurité physique des prostitué.e.s engendrée par le méfait sarkoziste, en produit une pire. Comme n’ont cessé de le dénoncer les assoces qui savent de quoi elles parlent.

  • Sujet connexe.
    La bêtise des gens de pouvoir, pourtant instruits que leurs caprices législatifs sont parfois sans issue, m’étonne toujours.
    Ainsi est-il de la pornographie sur internet. Les rares pays (démocrates) qui se sont lancés dans la bataille du verrouillage des écrans aux mineurs ont foiré l’affaire.
    La France, à son tour, a succombé aux lobbys conservato-réactionnaires. Une loi est sortie il y 2-3 ans. Elle n’est toujours pas appliquée, du fait de l’absence de solution technique réelle, compatible avec un Etat de droit.
    Le politique croit toujours que sa seule volonté suffit pour que le rêve advienne. Il n’a jamais travaillé de sa vie, ou quoi ?

  • Payer quelqu’un pour des actes sexuels est désormais interdit en France,
    sauf si c’est filmé, dans ce cas c’est de la pornographie, qui elle est autorisée.

  • Les commentaires sont fermés.

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