Par Johan Rivalland.
Il y a une vingtaine d’année, la journaliste Christine Kerdellant éditait un essai très intéressant et instructif intitulé Le prix de l’incompétence, dans lequel elle analysait avec brio vingt grandes erreurs de management commises par de grandes entreprises de rang international. Depuis, de multiples ouvrages auraient pu être écrits sur le même thème ou ont été écrits sur des thèmes avoisinants (je pense à la trilogie, que je n’ai toujours pas lue, de Christian Morel sur Les décisions absurdes).
Les décisions politiques à elles seules pourraient remplir des milliers de pages tant elles sont continuellement mues par un mélange d’incompétence et de démagogie. Mais le phénomène n’est ni nouveau, ni typiquement français, ni prêt à se tarir un jour.
Car comme l’écrivent Laurence .J Peter et Raymond Hull dans le célèbre essai que nous examinons aujourd’hui :
L’incompétence ne connaît pas de frontières ni dans le temps ni dans l’espace.
Chaque employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence
Tel est le sous-titre évocateur de cet essai et l’idée essentielle qui y prévaut. S’il porte en grande partie sur le monde de l’entreprise, il peut être de fait étendu à toutes les formes d’organisation. Et les conséquences de cette incompétence concernent la société dans son ensemble. Ainsi, les auteurs commencent par évoquer de nombreuses choses vues (et revues par nous tous depuis), montrant bien que l’incompétence est partout :
J’ai vu un pont d’autoroute de plus d’un kilomètre s’effondrer dans la mer parce que, en dépit de vérifications et de contre-vérifications, quelqu’un avait bâclé l’étude d’un pilier porteur. J’ai vu des urbanistes organiser l’extension d’une ville en zone inondable, au bord d’un fleuve, où elle ne pouvait manquer d’être périodiquement victime des crues. J’ai lu dernièrement que les trois tours de refroidissement géantes d’une centrale électrique britannique s’étaient écroulées ; elles avaient coûté plusieurs millions de dollars chacune, mais n’étaient pas assez solides pour supporter un bon coup de vent…
Tous ces maux ou catastrophes ont pour origine la négligence, la corruption, l’ignorance, l’indolence, l’imprévoyance, la bêtise, l’inertie, ou que sais-je encore. Et on les retrouve dans tous les domaines. Mais elles sont surtout le symptôme de l’incompétence.
Écrit sur le ton de la parodie, ce petit livre cherche ainsi à prendre le contre-pli de tous ces guides écrits par des consultants ou gourous de toutes sortes dans le domaine du management. Car, comme l’écrit Robert Sutton dans sa préface, « Le Dr Peter a peut-être compris que ces idées sortant de l’ordinaire n’auraient pas autant d’impact si elles figuraient dans un livre de management au style convenu, par trop sinistre ».
Un écrit satirique
Il cherche ainsi à montrer, par le procédé satirique, le principe qui peut expliquer pourquoi tant de fonctions importantes sont occupées par des personnes incapables d’assumer les devoirs et les responsabilités liés à leur poste.
Nous atteignons tous un jour ou l’autre notre seuil d’incompétence. Le tout est de nous en rendre compte. Et c’est pour cette même raison que certains ne souhaitent pas être promus, préférant continuer d’occuper leur poste actuel, privilégiant de la sorte un meilleur mode de vie, au lieu de s’égarer. C’est une décision sage dès lors que l’on a conscience de ses limites et du niveau auquel se situe son seuil d’incompétence, ce qui n’est pas toujours aisé.
La multitude d’erreurs observées dans son quotidien rendent à la fois comique et pathétique la description ainsi faite de toutes les petites et grosses bévues vécues régulièrement. Non moins comique est la manière qu’a Raymond Hull à juste raison de dresser l’inventaire des coupables désignés par chacun : l’école, les hommes politiques, les syndicats, le patronat, les athées, les hommes d’église, etc.
Chacun accuse l’autre à tour de rôle selon ses idées ou ses a priori, sans oublier les explications données tour à tour par les psychologues, les philosophes, ou d’autres encore. D’où son idée de rencontrer le Dr Peter et de retranscrire son explication à travers ce livre à la fois amusant et criant de vérité.
Le style est original, Peter faisant preuve d’une certaine inventivité en s’amusant à imaginer toutes sortes de scénarios facétieux inspirés de ses nombreuses observations, donnant des noms farfelus mais évocateurs aux personnages qu’il imagine dans chacun des ses exemples illustratifs destinés à captiver son lecteur (ou auditeur, car pour l’essentiel il s’agit d’une retranscription de ses très nombreuses interventions publiques devant des auditoires variés). Mais aussi par ses concepts délirants et son vocabulaire créé de toute pièce, pour le plus grand plaisir du lecteur, non dénués de cruelles vérités.
Ne pas vivre l’absence de promotion comme un échec, mais comme une consécration
Si ce petit ouvrage se lit bien et a bénéficié d’un succès important, il n’en reste pas moins d’une portée relativement limitée, tout au moins de mon point de vue. Il constitue davantage une pièce utile à la réflexion qu’un ouvrage qui nous apprend plein de choses. Mais sans doute écris-je cela parce que j’ai toujours eu un peu de mal avec les ouvrages de management en général, que j’ai le sentiment de lire sans en ressortir grand-chose.
De même que, si le style américain est fait très souvent d’un mélange de pragmatisme, d’humour, de projections dans des situations concrètes ou imaginaires qui nous sont narrées de manière vivante, il ne correspond pas tout à fait à notre forme d’esprit ce côté-ci de l’Atlantique et j’ai donc toujours un peu de mal avec ce style-là , même si je lui reconnais une certaine pertinence.
S’il y a donc un message essentiel à retenir de ce principe de Peter, c’est bien l’idée que si nous sommes tous doués de certaines compétences, nous aurions certainement tort de nous montrer trop présomptueux et de chercher la promotion à tout prix.
Car nous risquons alors de nous apercevoir que nous ne sommes pas taillés pour la fonction à laquelle nous aspirons, ayant atteint tout simplement nos limites, ou plus précisément ne disposant pas des qualités ou de l’étoffe que requiert le poste à responsabilité de niveau supérieur. Sans que cela remette en cause nos qualités propres, qui se trouvent tout simplement ailleurs.
Éviter de s’élever à son niveau d’incompétence peut donc être non pas un échec ou une malédiction, mais bien plutôt une chance ou une consécration car alors nous pouvons nous épanouir plus certainement et sereinement là où nous sommes réellement le plus doué et accompli.
Et en extrapolant, cela évitera bien des déboires et des catastrophes au niveau collectif, le seuil d’incompétence de trop d’acteurs étant atteint, même là où on ne s’y attendrait pas, avec les conséquences néfastes que cela a sur la vie des autres.
Mieux vaut des personnes compétentes à leur niveau que beaucoup de personnes motivées par les honneurs ou l’argent qui nuisent aux autres en influant sur leur vie.
Des implications plus larges
Si s’élever à son niveau d’incompétence vire souvent à la tragédie individuelle (L.J Peter en retrace les syndromes physiques et psychologiques les plus courants) et qu’il convient d’adopter les bonnes parades pour tenter d’éviter d’en arriver là (il en dévoile un certain nombre, là aussi issues de ses observations), il aborde à la fin de l’ouvrage les méfaits à l’échelle d’une société de l’institution de formes de culture de l’incompétence.
On découvre ainsi notamment que ce que nous déplorons aujourd’hui lorsqu’est dressé le constat de la déliquescence du système éducatif était en germe depuis longtemps, puisqu’il analysait par exemple déjà les conséquences redoutables du renoncement au redoublement sur le développement de l’incompétence des individus.
Bien plus large et bien plus grave encore, il s’intéresse aux empires ou aux civilisations qui disparaissent, y voyant comme un syndrome de l’élévation à leur niveau d’incompétence.
Mais pour conclure cet article en revenant à nos politiques, je ne résiste pas à l’idée de citer ce passage très évocateur d’un cas de figure d’incompétence que nous connaissons hélas et dont le caractère est parfaitement pitoyable et scandaleux :
Voici un cas intéressant mettant en jeu plusieurs moyens dilatoires à la fois. Grant Swinger, directeur adjoint du Deeprest Welfare Department, était jugé extrêmement compétent en raison de sa remarquable capacité à convaincre administrations et organisations caritatives de se séparer de leur argent au profit de nobles causes locales.
On déclara la guerre à la pauvreté. Swinger fut promu au poste de directeur, chargé de la coordination du programme Deeprest de lutte contre les Handicaps Sociaux. L’idée étant que, puisqu’il comprenait si bien les puissants, il serait parfaitement compétent pour aider les faibles.
Aujourd’hui, Swinger est toujours en train de collecter des fonds pour la construction d’un immeuble de bureaux gigantesque destiné à abriter son personnel et à symboliser l’esprit de charité (commencer par le commencement).
« Nous voulons que les pauvres voient que leur gouvernement ne les oublie pas », explique Swinger. Il prévoit ensuite de convoquer un conseil consultatif Deeprest de lutte contre les handicaps sociaux (obtenir l’avis d’experts), de lever des fonds pour une étude sur les problèmes des personnes défavorisées (confirmer la nécessité) et de faire une tournée dans le monde occidental pour étudier des projets similaires en préparation et en application ailleurs (étudier les méthodes alternatives).
Il convient de souligner que Swinger travaille du matin au soir, qu’il est heureux dans ses nouvelles fonctions et croit sincèrement faire du bon travail. Il a modestement décliné la proposition de capitaliser sa bonne image en se présentant aux élections.
— L.J Peter et R. Hull, Le principe de Peter, Le Livre de Poche, novembre 2011, 224 pages.
Il existe, en Belgique, un système pervers qui institutionnalise l’incompétence : la nomination de personnel dont la seule qualification est politique – au nombre de voix de préférence – dans l’attribution de mandats d’administrateurs de sociétés publiques et para-publiques ( la société de téléphonie semi-nationale où ces administrateurs touchaient des jetons de présence sans participer aux conseils : au moins, ils n’étaient pas directement nuisibles ) ou de fonctions rémunératives mais inutiles ( p.ex., pour le PS, le fils Donfut promu « expert en énergie » au sortir de ses études en remplacemment de son père, tout aussi incompétent en la matière, au point que le commissaire aux comptes avait refusé de certifier les dépenses le concernant : en bonne logique politicarde, ce commissaire s’était vu décharger de sa mission ) ).
On a la même chose en France ( enfin! le même résultat avec BLM notre ministre des finanaces).
oupss! ….finances
On peut aussi considérer que le principe de Peter est une fatalité et que la solution est de limiter le pouvoir de chacun : moins d’état, moins de hiérarchie.
(Et à leur risque et péril pour les entreprises privées).
Tout à fait c’est ce je pense aussi, une organisation publique ou privée de par son fonctionnement peut ou non favoriser le principe de Peter. De fait elle se trouve elle-même alors à son niveau d’incompétence.
Oups !J’espère que je n’ai pas atteint, présentement, mon niveau d’incompétence comme commentateur.
En fait, je ver de l’incompétence est dans le fruit dès le départ.
Les grosses organisations publiques ou privées attirent des gens avides de pouvoir. Au départ ils ne sont motivés par aucun domaine ou aucun but en particulier et n’ont souvent pas développé de compétences spécifiques. Le but du jeu est de changer de poste tous les 2 ans pour s’élever.
Certains ont un « haut potentiel » qui leur permet de comprendre et maîtriser rapidement leur tâche, mais là encore le but du jeu n’est pas d’optimiser ou corriger mais de laisser son emprunte pour sa carrière. Et c’est autant une attitude individualiste qu’un système : personne ne veut qu’un individu (et surtout pas un subordonné) acquière une emprise trop importante sur un service et dicte ses règles aux autres services (ou à son chef).
He beh !!
(Commentaire incompétent…)