Les vertus de l’échec, de Charles Pépin

Les vertus de l’échec. Ou comment changer notre regard suspicieux et négatif à cet égard, en France, là où d’autres y voient une force potentielle. Un ouvrage bienvenu, plein d’une sagesse qui doit venir nous inspirer.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les vertus de l’échec, de Charles Pépin

Publié le 11 juin 2022
- A +

Charles Pépin est un écrivain et philosophe dont j’ai eu l’occasion de lire plusieurs ouvrages, toujours écrits dans un style simple et abordable, pleins de bon sens, tout à fait agréables à découvrir et utiles à la réflexion.

Ici, il revient avec un essai au titre engageant, Les vertus de l’échec. Un thème, comme il le montre lui-même, très bienvenu lorsqu’on connait les difficultés spécifiquement françaises à admettre les multiples leçons que l’on peut en tirer et le fait que ces échecs peuvent tout à fait être porteurs et se transformer en facteurs de succès à venir.

 

L’échec pour apprendre plus vite

Les leçons à tirer des échecs se retrouvent dans tous les domaines, nous montre ainsi l’auteur :

–  dans le domaine sportif, avec les exemples opposés de Nadal et Gasquet, qui ont connu une évolution différente, le premier grâce à ses échecs, le second peut-être justement car les choses avaient si bien démarré, sans le moindre échec. Mais aussi l’exemple de Wawrinka, qui porte semble-t-il sur l’avant-bras la citation suivante de Beckett : « Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better. » (« Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. »). Lorsque l’on connait un peu le parcours du champion, sa persévérance, sa progression impressionnante et ses succès récents, un bel état d’esprit et une belle leçon.

– dans le domaine scientifique, avec l’exemple d’Edison et la persévérance inouïe dont il fit preuve avant d’aboutir à ses découvertes, ou de cet incroyable et courageux revirement d’un certain Mark Lynas (non développé dans le livre, mais dont j’ai pris connaissance grâce à la lecture de Contrepoints). Les scientifiques dépassent ainsi leurs intuitions primaires en procédant à des expériences qui, seules, peuvent mener sur le chemin de la vérité. « L’erreur est humaine, la reproduire est diabolique. », dit le célèbre proverbe. C’est donc elle qui permet d’apprendre, tout en évitant de s’enfermer dans l’ignorance.

– à l’école où, surtout à un certain niveau, Charles Pépin montre comment un échec rapide (« fast fail »), par exemple à un premier devoir de philosophie, vaut mieux qu’une note moyenne ou assez bonne évitant les remises en question.

– par le règne des diplômes en France, où le succès initial des grandes écoles (le fast track, idée selon laquelle il serait décisif de réussir vite et se placer le plus tôt possible sur les rails) peut ensuite conduire également à l’amoindrissement des prises de risque.

Alors que les Anglo-saxons et Nordiques sont davantage adeptes du fast fail.

– en entreprise où, de même, au fast track français s’oppose justement le fast fail américain qui veut que l’échec soit vu comme une expérience, un signe de maturité, une assurance que le même type d’erreur ne se reproduira pas. Et donc un gage de confiance. Y compris, pour un entrepreneur, pour l’obtention d’un crédit bancaire.

Comme le dit Charles Pépin :

Avoir échoué en France, c’est être coupable. Aux États-Unis, c’est être audacieux. Avoir échoué jeune en France, c’est avoir échoué à se mettre sur les bons rails. Aux États-Unis, c’est avoir commencé jeune à chercher sa propre voie.

 

Les différentes vertus de l’échec selon Charles Pépin

L’héritage de Platon ou Descartes, et le triomphe de la raison, est l’une des explications. Là où, nous dit Charles Pépin, les philosophes empiristes tels que John Locke, David Hume ou Ralph Waldo Emerson, entre autres, se réfèrent davantage au rôle de l’expérience. Et où un proverbe japonais énonce que « on apprend peu par la victoire, mais beaucoup par l’échec ».

Charles Pépin insiste ensuite sur l’idée selon laquelle il y a des leçons à tirer des crises. Quel que soit le domaine (sciences du vivant, économie, médecine, politique, vie intime, civilisation…), une crise est une faille qui révèle certes une forme de défaite, mais surtout une promesse d’un nouveau commencement, pour peu qu’on sache en tirer parti pour comprendre ce qui n’allait pas et comment basculer vers autre chose, synonyme peut-être de nouveaux progrès.

C’est aussi ce qui va permettre d’affirmer son caractère.

Ainsi, après avoir présenté une lecture épistémologique de l’échec (« l’erreur comme seul moyen de comprendre »), pour me calquer sur certains sous-titres de ses chapitres, puis de « la crise comme fenêtre qui s’ouvre », c’est à une lecture dialectique que Charles Pépin s’intéresse à présent. À travers notamment les cas de l’incroyable élan vital dont ont fait preuve la chanteuse Barbara, le Général de Gaulle ou le Président Lincoln pour surmonter leurs durs échecs respectifs et arriver là où ils sont arrivés. Ce qui a, en quelque sorte, forgé leur caractère.

L’échec peut aussi être vécu comme une leçon d’humilité, ou un moyen de mesurer ses limites.

Tel est le cas, par exemple, de Steve Jobs, renvoyé d’Apple et affirmant que c’est la meilleure chose qui lui soit arrivée. Un échec qui lui a permis de perdre son arrogance, puis de revenir plus créatif que jamais. Humilité aussi des savants, qui vivent avec l’échec et savent que les progrès du savoir passent par la correction permanente des intuitions fausses.

L’échec est ensuite une expérience du réel (lecture stoïcienne). « Ce qui dépend de toi est d’accepter ou non ce qui ne dépend pas de toi », nous dit Epictète. Attitude qu’un homme comme Ray Charles a su adopter en sachant accepter l’échec et rebâtir sans se lamenter (je continue de vous renvoyer à l’ouvrage pour découvrir ces exemples dans leur version développée).

Dans sa version existentialiste, il est aussi « une chance de se réinventer ». À l’instar de personnalités comme J.K Rowling ou Serge Gainsbourg, qui ont changé de voie grâce à l’échec, qui les a libérés et conduits à se réinventer.

Tandis qu’une lecture psychanalytique nous mène à le considérer en tant qu’« acte manqué ou heureux accident ». Avec pour illustration, cette fois, les cas de Charles Darwin, Soichiro Honda, Michel Tournier, ou Pierre Rey, dont on peut se demander s’ils n’ont pas désiré leur échec primitif, pour mieux se réaliser par eux-mêmes, en suivant un chemin bien à eux. Et d’autres exemples, dans le domaine de l’entreprise comme de la vie civile, qui ont eu des issues parfois inattendues mais heureuses.

 

Oser l’échec, ou les vertus de l’échec

Charles Pépin cherche ensuite à analyser les raisons pour lesquelles l’échec fait si mal (raisons culturelles, en particulier). Alors même qu’il doit être considéré comme un pont vers l’avenir, et qu’il faut donc l’assumer, sans nous identifier à lui.

D’où l’idée que « Oser, c’est oser l’échec ». À l’image d’un Charles de Gaulle partant pour Londres, d’un Richard Branson ou d’un Xavier Niel dans leurs entreprises folles. Des tempéraments audacieux et propices à la décision, sans lesquels on prend le risque de s’interdire toute réussite d’envergure et de se connaître vraiment. Un art, au sens d’Aristote. À rebours de la vision platonicienne de la science politique, qui a davantage inspiré la technocratie actuelle et ses hauts fonctionnaires, comme le déplore Charles Pépin, ne favorisant pas une vision humaniste de l’échec.

C’est en fait notre liberté qui nous effraie, nous dit Charles Pépin, et tout l’enjeu consiste à éviter d’être paralysé par cette angoisse :

Combien d’ambitions gâchées, de vocations ratées parce qu’au moment d’oser nous avons été terrassés par la crainte d’échouer ? La peur de l’échec nous tétanise lorsque nous voulons faire de notre vie une suite de choix rationnels. Mais elle devient insupportable dès lors que nous intégrons qu’une vie de décideur comporte son lot d’errements, d’espoirs déçus et d’occasions manquées.

Il s’agit donc d’apprivoiser cette peur, afin de suivre le précepte de Nietzsche : « Deviens ce que tu es », surmontant ainsi la soumission aux normes sans laquelle la société ne peut fonctionner, et retrouver ainsi sa singularité. Une situation qui devrait inspirer les cadres en entreprise, dont Charles Pépin dit en rencontrer beaucoup qui travaillent coupés d’eux-mêmes, voire sombrent dans le burn out, souffrant de l’emprise de la norme, qui brime leur créativité et la prise de risque pour leur préférer le respect des process.

Mais une audace qui, de manière plus générale, n’est pas favorisée, dans un pays où le principe de précaution a été intégré à la Constitution.

 

Changer les mentalités

On peut aussi « apprendre à oser », insiste notre auteur. C’est pourquoi, se basant là encore sur de multiples exemples, il propose quatre axes, que je ne reprendrai pas ici pour des raisons de longueur : accroître sa compétence, admirer l’audace des autres, n’être pas trop perfectionniste, et se souvenir que l’échec sans l’audace fait particulièrement mal.

Mais c’est aussi dans le domaine de l’éducation que les mentalités doivent évoluer.

Dans un chapitre particulièrement évocateur, il montre en quoi l’école en France est, hélas, un facteur d’échec. Trop tournée vers la massification, et encourageant insuffisamment la singularité, l’école développe cette culture de l’échec, au lieu de valoriser l’individu et l’encourager à développer son talent. Les classements PISA sont le reflet de cet état d’esprit d’un système relativement sclérosé, de même que la caricature de l’entreprise et l’incapacité à valoriser les savoirs « utiles » ne contribuent pas à favoriser l’esprit critique et le cheminement vers une vie réussie.

 

Réussir ses succès

Apprendre de ses échecs est une chose. Mais Charles Pépin nous invite ensuite à réfléchir à la manière de « réussir ses succès ». En effet, la difficulté réside dans la capacité à garder la tête froide et à savoir se renouveler afin de pouvoir connaître de nouveaux succès. Attitude qu’il illustre par l’état d’esprit de grands champions comme Rafaël Nadal ou l’entraîneur de l’équipe de France de handball, mais aussi des Nobels, entrepreneurs, ou grandes stars comme David Bowie, Prince ou Leonardo Di Caprio, pour lesquels seul un état d’esprit lucide a permis d’inscrire leurs succès dans la durée.

Et les succès sont d’autant plus appréciables que l’on a connu l’échec.

La joie de revenir de loin peut ainsi donner des sensations que l’on ne saurait éprouver en d’autres circonstances. « Trop peu d’honneur pour moi suivrait cette victoire, À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » faisait dire Corneille à l’un de ses personnages dans Le Cid, nous rappelle Charles Pépin. Avant de nous narrer comment André Agassi a connu une immense joie et un destin hors du commun, à travers son retour au premier plan, faisant suite à une période de lourde dépression et les échecs qu’il a connu dans sa vie, dont il n’avait pas auparavant trouvé le sens à cause de la tyrannie paternelle qui l’avait mené là où il n’avait pas choisi d’aller. Au point de n’avoir éprouvé aucune joie ni bonheur, dans un premier temps, lorsqu’il était devenu numéro un mondial du Tennis en 1995 à 25 ans. Une histoire émouvante dont je vous laisse, de même, découvrir les ressorts, qui m’avaient personnellement échappés.

Mais la joie, c’est aussi la joie de vivre, la joie dans l’adversité, la joie du « progrediens », ou encore la joie mystique. Toutes formes que l’auteur développe et lie aux échecs.

 

L’échec, lié à la nature de l’homme

Contrairement aux autres animaux – nous disent les plus grands philosophes – qui sont mieux assurés et naissent dotés d’un solide instinct, nous naissons quant à nous inachevés.

Combien d’échecs avant de savoir marcher ? (environ deux mille, apprend-on).

L’échec est donc associé à notre sort. Nous apprenons bel et bien de nos échecs, ainsi que de ceux de nos aïeux. C’est là le propre de la civilisation, nous dit Charles Pépin. C’est ce qui fait notre grandeur et notre perfectibilité, mais aussi, par nos hésitations, nous conduit à être libres. Tout en étant des héritiers et en étant fidèles à notre quête ; de sorte que notre capacité de rebond n’est pas non pus illimitée.

Article publié initialement le 9 février 2017.

Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)
  • Excellent, sans oublier Popper et La réfutabilité comme critère de la scientificité et les réflexions également Popperiennes sur la démocratie.

    Merci de cette incitation à la prise de risque en ce vendredi matin !

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

L’Institut économique Molinari a publié une étude inédite visant à comparer le rapport coût/efficacité des différents pays européens en termes d’éducation et de formation. Elle analyse 30 pays européens et effectue trois comparatifs : le premier sur l’éducation primaire et secondaire, le second sur le supérieur, et le troisième sur l’ensemble du système de formation.

 

Un manque d'efficacité global autour de 16 milliards d'euros

La France se situe à la 22e place sur les 30 pays d’Europe étudiés. Au titre du primaire, du sec... Poursuivre la lecture

Il y a 120 ans, par une froide matinée d’hiver, les frères Wright font décoller l’avion sur lequel ils travaillent depuis des mois. C’est une machine très complexe à piloter. Ce jour-là, ils réussissent à effectuer quatre vols de seulement 30 à 260 mètres qui se terminent chaque fois assez brutalement. Mais la boîte de Pandore est ouverte.

On peut tirer au moins cinq leçons de cet épisode.

 

Il est difficile d’estimer la portée d’une invention sur le long terme

Le 17 décembre 1903, personne n’imagine ce que d... Poursuivre la lecture

La question devient de plus en plus fondamentale, face aux assauts de violence vécus ces derniers mois, ces dernières années, dans notre pays et ailleurs. Des conflits géopolitiques aux émeutes des banlieues, les incompréhensions semblent aller croissant. Le sentiment domine que tous ne parlons plus le même langage, ne partageons plus les mêmes valeurs, n’avons plus les mêmes aptitudes au dialogue. Constat d’autant plus inquiétant que, comme le remarque Philippe Nemo, de plus en plus de pays non-occidentaux (Russie, Chine, Turquie, parmi d’a... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles