État de droit : clé de voûte de la démocratie libérale

L’État de droit est la condition fondamentale de la démocratie libérale. Néanmoins, l’État de droit peut renvoyer à plusieurs objets juridiques ou politiques.

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État de droit : clé de voûte de la démocratie libérale

Publié le 26 septembre 2021
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Par Raphaël Roger.

Rares sont les notions qui, au fil des ans et des aventures politiques ont été autant attaquées que la notion d’État de droit. Au centre de tous les débats à l’occasion des actes de terrorisme ou des jugements clivants, l’État de droit est alors remis en cause par la classe politique et plus généralement par les citoyens.

Ces deux corps, qui pourtant s’opposent de plus en plus, avec d’un côté le corps peuple-civique fondé sur l’égalité politique et de l’autre le peuple-corps social fondé sur les manifestations et les expressions sociales, s’unissent temporairement pour dénoncer l’incapacité de l’État à agir, à prévoir et à sanctionner en conséquence.

Pourtant, loin d’être un frein à l’action du politique, en agissant sous couvert de l’habilitation juridique, l’État de droit permet au contraire d’opter pour un comportement pro-actif sur les questions sensibles. D’un autre côté, en fondant notre critique uniquement sur l’État de droit, notre regard est détourné des véritables problèmes de fond notamment le manque de moyen dans la justice, la désorganisation des services régaliens, le poids de l’administration qui pèse sur le fonctionnement des services publics régaliens, la multiplication des agences diverses et variées au sein de la police et de la gendarmerie, etc.

Un État qui néglige autant le régalien est-il encore un État ?

Dès lors, cette série d’articles visera à définir, expliquer et prendre en compte l’importance de l’État de droit qui est la condition fondamentale de toute démocratie libérale.

Ainsi, le présent article visera à définir l’État de droit et évoquera à la fin les piliers qui le composent : principe de légalité, sécurité juridique, hiérarchie des normes et droits et libertés fondamentaux.

Chacun de ses piliers fera l’objet d’un article et un dernier article montrera les dangers qui pèsent actuellement sur l’État de droit en se concentrant principalement, dans ce dernier chapitre, sur la justice.

L’État de droit comme système garantissant la démocratie libérale

L’État de droit peut renvoyer à plusieurs objets juridiques ou politiques. Mal défini, il devient l’objet d’interprétations les plus diverses et polémiques.

L’État de droit renvoie d’abord à une conception limitée du pouvoir, et donc libérale. Le pouvoir est limité du fait de sa soumission à la règle de droit.

Ainsi, comme l’annoncera Hayek :

« Le fondement essentiel de l’État de droit est cette confiance dans l’action des règles abstraites régissant les relations entre les individus […], l’État de droit est visiblement une limitation des pouvoirs du gouvernement et en particulier des pouvoirs du législateur ».

Concluant plus loin, il ajoute :

« L’État de droit n’est pas une règle de droit mais une règle sur le droit, une doctrine métajuridique ou un idéal politique. Et pour être effectif, le législateur doit se sentir tenu de s’y conformer. En démocratie, l’observance de l’État de droit dépend donc de son acceptation par l’opinion publique, c’est-à-dire, en réalité, du fait qu’elle fasse partie ou non du sens de la justice prévalant dans la communication ».

Ainsi, dans ce passage, Hayek1 identifie bien ce qu’est l’État de droit. Le principe fondamental est que les gouvernants ne sont pas placés au-dessus de la loi, mais agissent au contraire conformément à celle-ci. C’est le principe de l’habilitation juridique. L’action ne peut se faire qu’en vertu d’une loi, évitant ainsi l’arbitraire d’une mesure réglementaire qui serait par exemple dénuée de fondement légal. En quelque sorte, l’État de droit peut être défini premièrement comme un État qui s’auto-limite par son propre droit.

Plusieurs conceptions historiques

Cependant, cette définition ne peut suffire, et plusieurs conceptions de l’État de droit apparaissent historiquement, bien distinctes les unes des autres.

Outre celle évoquée que l’on pourrait qualifier de conception matérielle, deux autres conceptions existent :

  1. Une conception formelle où l’État agit au moyen du droit
  2. Une conception substantielle où l’État garantit des droits au travers notamment de procédures juridiques et judiciaires

En France et en Allemagne au début du siècle dernier, l’État de droit est vu et pensé comme un « régime de droit », autrement dit un État soumis au droit :

« Le pouvoir ne peut utiliser que des moyens autorisés par l’ordre juridique en vigueur, tandis que les individus disposent de voies de recours juridictionnelles contre les abus qu’il est susceptible de commettre2 ».

Ainsi, l’administration doit agir en vertu d’une habilitation juridique, une règle de droit doit lui donner compétence, c’est-à-dire la possibilité d’agir, d’user de sa puissance matérielle, mais toujours en respect de la norme d’habilitation.

Cela sous-entend deux choses.

Premièrement, dire que l’administration doit agir en vertu d’une habilitation juridique ne suffit pas. Il faut veiller à ce qu’elle reste dans son champ de compétences et la sanctionner le cas échéant. Pour ce faire, il faut un pouvoir juridictionnel, qu’il soit un tribunal ordinaire ou un tribunal spécial.

Le juge est alors un agent de la légalité.

Deuxièmement, l’habilitation juridique issue d’une loi ne doit pas non plus violer les principes fondamentaux de la Nation circonscrits dans un texte, la Constitution. Dès lors, pour en assurer son respect il faut, non plus contrôler les actes administratifs au regard de la Constitution mais contrôler directement la loi eu égard à celle-ci.

Dès lors, un juge spécial (ou non) sera chargé d’assurer ce contrôle de la constitutionnalité de la loi. Matériellement, l’État étant le seul créateur du droit, dès lors, c’est dans sa volonté et sa puissance que se trouve la source du droit positif. Pour reprendre Jellinek, il reste « maître de se fixer sans cesse à lui-même les règles qui sont de nature à le limiter ».

L’État de droit est ici alors comme formel et matériel et correspond à la pensée européenne de l’État de droit, qu’il s’agisse de celle du Rechtsstaat ou de l’État de droit français, où l’on est passé progressivement d’un État policier où l’administration n’avait pas de limites légales à un État de droit où l’administration est soumise à un ensemble de règles contraignantes qui en cas de violation, fera l’objet d’une sanction de la part du pouvoir juridictionnel.

Ainsi, on constate au travers de l’Histoire que ces conceptions matérielles et formelles s’opposent à la dernière conception, la conception substantielle.

La conception substantielle est historiquement présente dans les pays de common law, où au travers du « due process », le juge encadre le pouvoir de l’État via sa jurisprudence et ses arrêts de précédents (stare decisis). Mais au travers de ces procès il va aussi soulever et ériger des principes et droits fondamentaux dont le citoyen pourra se prévaloir contre l’arbitraire de l’État.

Aujourd’hui, les trois conceptions de l’État de droit se rejoignent dans les démocraties libérales.

Enfin, l’État de droit peut se schématiser pour en faciliter la description.

Ainsi, il est la condition fondamentale de la démocratie libérale, car comme l’a précisé Michel Troper, « il n’y a pas de démocratie sans État de droit ».

Cet État de droit repose sur quatre piliers :

  1. Le principe de légalité
  2. La sécurité juridique
  3. La hiérarchie des normes
  4. La protection des droits et libertés fondamentaux

Le tout repose sur deux principes :

  1. La séparation des pouvoirs avec notamment la garantie de l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire
  2. Le juge comme garant de l’État de droit au travers de la raison juridique

 

  1. Friedrich A. Hayek in L’Idéal politique de l’État de droit, édition Institut Coppet, pp. 78-79
  2. Jacques Chevallier, L’État de droit, LGDJ, Clefs Politique
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