Loi sécurité globale : ruine progressive des libertés publiques

Cette loi de sécurité globale, supposée garantir plus de sécurité en préservant les libertés, porte naturellement atteinte aux libertés publiques.

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Loi sécurité globale : ruine progressive des libertés publiques

Publié le 22 avril 2021
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Par Yannick Chatelain.

Le Parlement a définitivement adopté le jeudi 15 avril la proposition de loi très controversée sur la « sécurité globale ».

Comme la majorité s’y était engagée, l’article 24, vivement critiqué jusqu’au Conseil de l’Europe, a été réécrit. Dans sa mouture originelle, ce dernier prévoyait de pénaliser la diffusion de certaines images de policiers. Il avait été alors « accusé de porter atteinte à la liberté de la presse, mais aussi d’être une tentative d’invisibilisation des vidéos de violences policières. »

En lieu et place est né un nouveau délit intitulé « provocation à l’identification ». Ce nouveau délit de « provocation à l’identification », inscrit dans le Code pénal, punira de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende le fait de provoquer, « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification » d’un policier, gendarme, douanier ou policier sanctionné.

Nous passons ainsi dans cette nouvelle rédaction d’un article très flou à… flou.

Comme le souligne à juste titre Élise Letouzey, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université d’Amiens :

« Si le droit pénal connaît la provocation, il réprime généralement la provocation à commettre des infractions. Or, ici n’est réprimée que la provocation à l’identification, fait qui, en soi, n’est pas punissable. Le seul autre exemple analogue en droit pénal est la provocation au suicide […] on peine à imaginer concrètement quels seront les agissements qui pourront correspondre au délit. »

 

Sécurité globale et usage des drones : des garde-fous fragiles

En outre, la loi de sécurité globale intègre dans son article 22 l’usage de la vidéo surveillance et des drones.

Pour rappel, en 2020, le Conseil d’État avait dû par deux fois ordonner à l’État de cesser la surveillance de Paris via des drones, utilisés – entre autres –  pour surveiller les manifestations en toute illégalité !

Dans la même dynamique de transgression décomplexée de la loi, le 12 janvier 2021 la formation restreinte de la CNIL avait sanctionné le ministère de l’Intérieur pour avoir utilisé de manière illicite des drones équipés de caméras, notamment pour surveiller le respect des mesures de confinement.

En février 2021 elle avait appelé les législateurs à plus de précision sur l’utilisation de drones de vidéosurveillance, actant « du changement de paradigme, en matière de captation d’images par les autorités publiques, lequel ne doit pas en effet être sous-estimées dans le contexte de la montée de la mise en place d’une société dite de surveillance ».

Force est de constater qu’in fine, raison a été donnée à l’obstination de l’exécutif, puisque l’article 22 de la proposition de loi définit le régime juridique de l’usage des drones par les forces de l’ordre.

Le Sénat a limité les cas et les situations de recours par les acteurs autorisés (forces de l’ordre, sapeurs-pompiers, personnels de la sécurité publique) en interdisant un recours systématique, le recours à la reconnaissance faciale, le croisement de données et en imposant avant tout usage (pour une opération de police) une autorisation auprès du préfet, du procureur ou du juge d’instruction. Ces garde-fous m’apparaissent bien fragiles.

Sauf erreur ou omission, dans la situation actuelle, un simple décret est nécessaire et suffisant pour ne pas en tenir compte. Au demeurant, même en l’état, un nouveau pas a été franchi dans les modalités de surveillance de la population. Au rythme effréné de la mise en place d’une société de surveillance qui semble être engagée (nonobstant la période particulière où ces lois sont votées), il n’apparaît malheureusement pas utopique de penser que tous les interdits actés dans cette loi feront un jour prochain l’objet de nouveaux débats, pour tenter d’être abrogés au motif d’une plus grande efficacité.

Rappelons à ce titre que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’était opposé au régime d’autorisation que les sénateurs avaient introduit en commission, y voyant une procédure qui irait « alourdir le travail de la police ». Il est vraisemblable que ce dernier n’a pas changé d’avis.

Ainsi, cette loi pour la sécurité globale supposée garantir davantage de sécurité en préservant les libertés, porte une nouvelle fois atteinte aux libertés publiques. En stipulant les garde-fous – qui auront été contestés – inutiles d’être grand clerc pour prédire que ces derniers seront demain remis en cause au motif d’une plus grande efficacité.

 

La liberté de manifester menacée

Comme s’en inquiétait la présidente de la CNIL Marie-Laure Denis lors du débat autour de cet article :

« La surveillance des rassemblements des personnes est particulièrement délicate puisqu’elle intervient dans le champ de l’exercice de la liberté de manifester. »

À noter par ailleurs, que sur amendement du gouvernement, à titre expérimental pour cinq ans, les policiers municipaux pourront également recourir à des drones pour « assurer l’exécution des arrêtés de police du maire ».

Quant à la durée de stockage des images, elles ne peuvent être conservées que pour une durée de 30 jours, sauf si elles sont utilisées dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire.

Petits pas à petits pas, la société de surveillance gagne du terrain en France, le quadrillage de l’espace public pour notre sécurité à tous se fait de plus en plus oppressant, le droit à la vie privée est attaqué, pour la bonne cause, avec des garde-fous aux pieds d’argile !

Quelle sera l’étape suivante ? C’est un secret de polichinelle que de dire que la sécurité sera l’un des enjeux majeurs des présidentielles en approche, le risque de la surenchère en matière de surveillance et de nouvelles atteintes à la vie privée est prévisible. Cette surenchère se fera sous les applaudissements de ceux qui affirmeront que « cela ne les dérange pas parce qu’ils n’ont rien à cacher », un argument qui n’a rien à envier à ceux qui diraient que « la censure et les atteintes à la liberté d’expression ne les dérangent nullement parce qu’ils n’ont rien à dire. »

Une semaine avant l’adoption de la Loi de Sécurité globale, le 7 avril 2021, Agnès Callamard la secrétaire générale d’Amnesty International, alertait sur la situation française : 

« L’espace de débat public, l’espace pour la réalisation des droits civiques et politiques est en train d’être réduit. »

L’association décernait un carton rouge à la France, estimant cette dernière engagée dans une politique « extrêmement nocive, problématique, et possiblement même dangereuse pour l’ensemble des droits et libertés en France. »

 

Loi sécurité globale : l’encre n’a pas fini de couler !

Depuis son vote, par-delà les difficultés à manifester inhérente à la période, les opposants à cette loi demeurent mobilisés, des recours sont en approche, des élus de gauche ont annoncé qu’ils allaient saisir le Conseil constitutionnel.

Dans le même temps, plusieurs associations décidaient d’envoyer des mémoires (appelés portes étroites) au Conseil constitutionnel : la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, la Quadrature du net, Droit au logement…

Du côté de l’exécutif –  et pour ce qui concerne l’article 24 – le Premier ministre avait annoncé devant les députés en novembre 2020 qu’il saisirait lui-même le Conseil constitutionnel au terme du processus législatif et avant sa promulgation… Il reste dès lors à attendre, et que parole soit tenue.

Deux choses sont cependant établies :

  1. Si cette loi a déjà fait couler beaucoup d’encre, celle-ci n’a pas encore cessé de couler.
  2. Si un cadre juridique fragile et flou a été posé, il est extrêmement préoccupant de constater que l’exécutif a, en amont de ce cadre, régulièrement transgressé le droit.

 

« L’endoctrinement n’est nullement incompatible avec la démocratie. Il est plutôt, comme certains l’ont remarqué, son essence même. C’est que, dans un État militaire, ce que les gens pensent importe peu. Une matraque est là pour les contrôler. Si l’État perd son bâton et si la force n’opère plus et si le peuple lève la voix, alors apparaît ce problème. Les gens deviennent si arrogants qu’ils refusent l’autorité civile. Il faut alors contrôler leurs pensées. Pour se faire, on a recours à la propagande, à la fabrication du consensus d’illusions nécessaires. » Noam Chomsky

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  • nos députés sont vraiment mauvais (ou corrompus)…!

  • Il me semble nécessaire de rappeler que si la sécurité est une condition nécessaire à l’exercice de nos libertés, toute liberté supplémentaire donnée au Pouvoir est toxique pour notre sécurité.
    En somme, comme le disait Saint-Just, le peuple n’a qu’un ennemi, c’est son gouvernement !

    • Ok, mais le pouvoir n’a pas de « liberté », le terme est ici impropre: le pouvoir n’a que des obligations. Et tout abus, tout excès, tout illégitimité et arbitraire dans l’exercice du pouvoir est l’opposé de la liberté, est la négation de la liberté.

      Je ne cesse de le répéter: la liberté n’est pas le droit de faire tout ce qu’on veut au détriment des autres, ça c’est la loi du plus fort.

    • Quand on voit des flics pondre des faux en écriture pour coller des crimes sur le dos d’innocents, on a effectivement du souci à se faire.

  • Ceux n’ayant rien à cacher ne verront aucun problème à finir exécutés par les seides du pouvoir le moment venu.

    La gauche est toujours la salle d’attente du fascisme.

    • Les gens qui n’ont rien à cacher n’auront donc aucun problème à laisser le code de leur carte bleue à l’état. Fascinante, cette confiance inaltérable envers des institutions en totale décrépitude. J’appelle cela au mieux de la naïveté au pire de l’ignorance.

  • 1/5e des députés qui permettent le vote d’une loi aussi importante… Par contre pour le vote du congé menstruel, ils vont tous être présents, vous verrez…
    Lamentable…

  • Un bon article, merci pour ces arguments.

    Petite faute à corriger dans la traduction de Comsky : « pour ce faire » et non « pour se faire ». Cela ne signifie vraiment pas la même chose.

  • J’ai (brièvement) servi dans les forces de l’ordre. Je ne commenterai que le délit de provocation à l’identification. Mon avis est mitigé en la matière et je vais tenter d’expliquer pourquoi.

    Concernant les accusations de violences policières, je suis entièrement favorable aux caméra-piétons (AXON de TAZER). Aux USA, tous les agents portent une bodycam qui filme en continue. En cas de problèmes, ces films sont rapidement rendus publics par les autorités. Cela évite la désinformation chère aux groupuscules d’extrême gauche vis-à-vis d’interventions tout à fait légitimes. Cela évite également que les quelques brebis galeuses qu’on trouve dans toutes les professions puissent salir impunément leurs institutions. L’écrasante majorité des personnels sont favorables à ces caméras-piétons puisque l’écrasante majorité de ceux-ci respectent scrupuleusement le cadre légal dans lequel ils doivent agir.

    Concernant l’interdiction d’appeler à l’identification des agents, c’est très simple. Pour moi, dans les conditions actuelles, c’est absolument indispensable. Pourquoi ? Parce que la Justice est totalement inefficace, je n’ai aucun problème à le dire aussi clairement. Des menaces de morts, des agressions, etc. ; dans un pays fonctionnel, ça vous envoie en prison pour longtemps. Aux USA, un agent se présente avec son grade, son nom et son affectation. Il n’a pas peur parce qu’il sait que la Justice de son pays traitera très durement celui qui viendrait tenter de s’en prendre à lui ou sa famille. Les peines sont dissuasives par leur extrême sévérité. En France ? Qu’elle sera la peine dans les mêmes circonstances ? Ridicule et tout le monde le sait. Les personnels français n’ont, pour beaucoup, aucune confiance dans la Justice de leur pays pour les protéger. Ils voient très bien comment cela se passe tous les jours.

    Je ne jette pas la pierre sur les juges et procureurs. Ils font des boucs-émissaires bien trop faciles et ils ne sont pas aussi dogmatiques qu’on veut le faire croire. Ils gèrent des flux avec des moyens ridicules et chroniquement insuffisants. Le budget du Ministère de la Justice, c’est 8 milliards ; même pas 0.3% du PIB. La CAF, c’est 80 milliards par an. Voilà, tout est dit.

    Concrètement, cette disposition n’est que l’expression de la lâcheté politique. Plutôt que de réformer la justice pénale pour qu’elle soit bien plus dure avec les atteintes aux biens et aux personnes, le politique préfère lâcher une mesure liberticide et faiblement efficace pour faire taire la grogne (et les attentes légitimes) des personnels sur le terrain.

  • surveillance de la population ….tout ça parce que l’exécutif tremble et a peur du peuple ….

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