Par Francis Richard.
Bien comprendre le libertarianisme, (Getting Libertarianism Right), est un recueil de quatre discours prononcés en 2017 par Hans-Hermann Hoppe à la Property and Freedom Society, dont il est le président.
Dans sa préface, Sean Gabb écrit :
« Si Rothbard était le leader intellectuel évident du mouvement libertarien, Hoppe était son successeur manifeste et désigné. »
Si on veut bien comprendre le libertarianisme, Hans-Hermann Hoppe, qui se considère comme un libertarien de droite – ou si cela peut paraître plus attrayant, un libertarien réaliste –, est donc la bonne personne pour exposer la théorie de la propriété privée sur lequel il repose.
Origine de la propriété
Dans un monde sans pénurie, il n’y aurait pas de conflits. Pour les éviter, on cherche donc à établir des normes de conduite concernant les ressources en pénurie.
La solution est d’attribuer chacune de ces ressources comme propriété exclusive à un individu déterminé de façon que chacun puisse en disposer comme il l’entend.
Que faut-il entendre par propriété privée ?
- Chaque personne possède son corps physique qu’elle seule et nul autre ne contrôle directement ;
- Les ressources en pénurie ne peuvent être contrôlées qu’indirectement, par appropriation : le contrôle exclusif (la propriété) est acquis et attribué à la personne qui s’est appropriée la ressource en question en premier, ou qui l’a acquise par un échange volontaire (sans conflit) avec son propriétaire précédent.
La loi naturelle
Les règles fondamentales ci-dessus : la propriété de soi, l’appropriation initiale et le transfert contractuel de propriété permettent d’atteindre l’objectif uniquement humain d’interagir pacifiquement et sont données et simplement découvertes comme telles par l’Homme. C’est en cela qu’elles expriment et explicitent la loi naturelle.
Cela ne signifie pas que des litiges ne puissent pas survenir. Pour les résoudre, l’erreur – le péché originel – est d’avoir confié la fonction de juge à un monopole tel que l’État qui n’admet pas d’autres juges que lui, a fortiori quand il est partie prenante.
Il en résulte que toute propriété privée ne l’est plus vraiment et qu’elle ne l’est que provisoirement. Car les lois et les réglementations étatiques l’érodent par un processus que Hans-Hermann Hoppe qualifie de décivilisation.
L’autre erreur, accélérant ce processus, aura été la transformation de l’État en État démocratique, puisque l’accès libre et sans restriction à l’État permet à chacun de céder à l’envie, ce qui se traduit in fine par la saisie de la propriété légitime d’autrui et par la corruption.
L’égalité humaine
Ce qui différencie la droite et la gauche, c’est leur désaccord sur l’égalité :
- la droite reconnaît comme un fait l’existence des différences et des diversités humaines ;
- la gauche nie l’existence de telles différences ou diversités.
Le libertarien serait donc plutôt de droite, sauf qu’il ne reconnaît que les inégalités naturelles, c’est-à-dire résultant de l’observation des règles fondamentales de l’interaction humaine pacifique.
La vision égalitaire du monde de la gauche – égaliser la position dans la vie de chacun – est déconnectée de la réalité et en conséquence incompatible avec le libertarianisme.
La restitution de biens
Si des biens ont été injustement acquis, ils doivent être restitués, c’est le cas de la propriété étatique. Dans les autres cas, c’est au plaignant de prouver qu’il a des titres plus anciens sur un bien que le détenteur actuel.
Ceux que Hans-Hermann Hoppe appelle les libertariens de gauche remplacent la propriété privée, les droits de propriété et les violations de droits par la notion confuse de droits civils et de violation des droits civils, ainsi que des droits individuels par des droits collectifs.
Victimes et persécuteurs
Cette substitution permet de découvrir toujours de nouvelles victimes et d’identifier leurs persécuteurs.
Tout le monde et tous les groupes imaginables sont des victimes, sauf cette petite partie de l’humanité composée d’hommes hétérosexuels blancs (y compris d’Asie du Nord) vivant des vies familiales bourgeoises traditionnelles.
Or, ces persécuteurs présumés ne sont-ils pas à l’origine du modèle économique d’organisation sociale le plus réussi que le monde ait jamais vu ? Leur soi-disant victimes ne devraient-elles pas leur en savoir gré ?
Avec ses lois anti-discrimination, l’État divise pour mieux régner en incitant les victimes à se plaindre de leurs oppresseurs.
Immigration et propriété
Dans le même esprit anti-discrimination, l’immigration devrait être libre et sans restriction. Or nul n’a le droit de s’installer dans un lieu déjà occupé par quelqu’un d’autre, à moins d’y avoir été invité par l’occupant actuel.
Hans-Hermann Hoppe distingue en effet deux cas :
- Toutes les places sont occupées : toute migration est une migration sur invitation seulement ;
- Le pays est vierge et la frontière ouverte : le droit à l’immigration libre existe.
Pour ce qui concerne la propriété dite publique, l’État devrait agir en tant qu’administrateur de la propriété publique des contribuables-propriétaires, et avoir pour ligne directrice le principe du coût total, c’est-à-dire faire payer à l’immigrant ou au résident qui l’invite le coût total de l’utilisation par l’immigrant de tous les biens ou installations publics pendant sa présence.
Hans-Hermann Hoppe distingue alors deux cas de pression migratoire :
- Elle est faible : les migrants devraient payer pour leur utilisation un prix plus élevé que les résidents-propriétaires qui ont financé la propriété commune et payer un droit d’entrée s’ils veulent devenir résidents ;
- Elle est élevée : des mesures plus restrictives devraient être prises pour protéger la propriété privée et commune des propriétaires-résidents.
Stratégie libertarienne pour le changement social
Il faut identifier les ennemis. Ce sont :
- les élites dirigeantes ;
- les intellectuels, les éducateurs, les « éducrates » ;
- les journalistes.
Qui sont leurs victimes ?
- les contribuables par opposition aux consommateurs d’impôts ;
- les persécuteurs présumés et leur institution du noyau familial avec un père, une mère et leurs enfants.
Comme il ne faut pas s’attendre à ce que les ennemis ne le soient plus, toute stratégie libertarienne de changement doit être une stratégie populiste : Autrement dit, les libertariens doivent court-circuiter les élites intellectuelles dominantes et s’adresser aux masses directement pour susciter leur indignation et leur mépris des élites dirigeantes.
Les dix points d’une stratégie populiste
Hans-Hermann Hoppe énonce et développe cette stratégie populiste en dix points :
- Faire cesser l’immigration de masse.
- Cesser d’attaquer, tuer ou bombarder des gens dans des pays étrangers.
- Couper le financement des élites dirigeantes et de leurs chiens de garde intellectuels.
- Supprimer la Fed et les banques centrales.
- Abolir toutes les lois et réglementations de discrimination de masse et de non-discrimination.
- Réprimer la pègre antifasciste.
- Réprimer les criminels de rue et les gangs.
- Se débarrasser de tous les parasites de l’aide sociale et des fainéants.
- Désétatiser l’enseignement.
- Ne pas mettre sa confiance dans la politique ni dans les partis.
Dans sa préface, Sean Gabb cite ce genre de déclarations de Hans-Hermann Hoppe et dit qu’elles sont controversées au sein du mouvement libertarien.
Il ajoute :
Je pense qu’il n’est pas exagéré de dire que presque tout le monde dans le mouvement, depuis 2000 environ, s’est défini par ce qu’il pense de Hoppe. Certains le considèrent comme le plus grand libertarien vivant, d’autres comme le diable. Le seul point d’accord est qu’il est un penseur ne pouvant être ignoré.
Hans-Hermann Hoppe, Bien comprendre le libertarianisme, 100 pages, Éditions Résurgence, 2020 (traduction par Léa Sentenac, Stéphane Geyres et Daivy Merlijs).
—
Rothbard était largement suffisant pour comprendre le libertarianisme.
Avec Hoppe le libertarianisme se transforme en féodalisme, et à terme il retrouvera la place qui lui revient : l’oubli.
@cachou42 : Le défaut de Hoppe est de croire que, s’il doit y avoir un organisme dirigeant la société, ce ne doit pas être une démocratie, mais une monarchie. Je n’arriverai jamais à comprendre comment un tel penseur peut continuer dans une telle erreur et ineptie intellectuelle.
Sinon, malgré tout, autant que Rothbard et Von Mises, quel penseur !!!
Oui.
Et de mon côté je dois aussi reconnaître que sa démonstration logique du droit naturel est un coup de génie.
@Stephane12 Je vous conseille de lire « Démocratie, le dieu qui a échoué » du même auteur. Après sa démonstration, il ne fait aucun doute qu’éthiquement et économiquement, la monarchie est préférable à la démocratie. Cependant, comme indiqué sur la 4ème de couverture, l’auteur n’est PAS un monarchiste :
« De nature révisionniste, il parvient à la conclusion que la monarchie est un mal moindre que la démocratie, tout en soulignant les défaillances de chacune. »
Ce qu’il préconise, c’est un « ordre naturel » fondé sur la propriété privée.
@cachou42
Ce que vous dites est un épouvantail : Hoppe n’a jamais été pour le féodalisme, ni pour la monarchie d’ailleurs (contrairement à ce que beaucoup affirment, mais ils n’ont visiblement pas lu « Démocratie, le dieu qui a échoué »).
Sa position sur le féodalisme est également très explicite dans le livre « De l’aristocratie à la monarchie à la démocratie ».
Si l’on est sûr au moins de sa critique très forte de la démocratie, le doute peut rester en effet sur la monarchie par sa volonté de destruction du pouvoir central, mais clairement moins sur le féodalisme par sa volonté de sécession des « élites propriétaires locales » dans « Que faut-il faire ? ».
Mais si vous considérez qu’il n’est pas féodaliste non plus, alors attendons la fin de sa réflexion savoir s’il a vraiment une quelconque idée sur un possible système d’organisation des sociétés, et en attendant continuons avec Robarth, Hayek, …
« le doute peut rester en effet sur la monarchie »
Désolé, mais non, il n’y aucun doute à avoir. Voici un extrait de « Démocratie, le dieu qui a échoué » (p. 32-33) qui ôte tout doute :
« Même si le portrait de la monarchie dressé est comparativement favorable, je ne suis pas un monarchiste et ce qui suit n’est pas une défense de la monarchie. Au contraire, la position prise à l’égard de la monarchie est la suivante : Si on doit avoir un État, défini comme un organisme qui exerce un monopole territorial obligatoire de la prise de décision en dernier ressort (la juridiction) et de l’imposition, alors il est économiquement et éthiquement avantageux de choisir la monarchie plutôt que la démocratie. […] De plus, cette même théorie sociale démontre positivement la possibilité d’un ordre social alternatif exempt des défaillances économiques et éthiques de la monarchie et de la démocratie (ainsi que de toute autre forme d’État). Le terme adopté ici pour un système social dépourvu de monopole et de taxation est « l’ordre naturel ». D’autres noms utilisés ailleurs ou par d’autres pour référencer la même chose incluent « l’anarchie ordonnée », « l’anarchisme de propriété privée », « l’anarcho-capitalisme », « l’autogouvernance », « la société de droit privé » et « le capitalisme pur » ».
« mais clairement moins sur le féodalisme »
Là non plus. Un passage de « De l’aristocratie à la monarchie à la démocratie » (p. 17) dissipe tout doute :
« Cette brève description de l’ordre féodal, ou plus précisément de la féodalité « allodiale » devrait suffire pour mon propos. Permettez-moi seulement d’ajouter ceci. Je ne prétends pas ici que cet ordre était parfait, un véritable ordre naturel, comme je l’ai caractérisé auparavant. En fait, il était entaché de nombreuses imperfections, notamment l’existence, en de nombreux endroits, de l’institution du servage (bien que le fardeau imposé aux serfs alors fût léger par rapport à celui imposé aux « serfs fiscaux » modernes d’aujourd’hui). Je prétends seulement que cet ordre [féodal] s’approchait d’un ordre naturel par (a) la suprématie d’une loi et la subordination de tout le monde à celle-ci (b) l’absence de tout pouvoir législatif, et (c) l’absence de tout monopole légal de la magistrature et de l’arbitrage des conflits. Et j’irais jusqu’à prétendre que ce système aurait pu être perfectionné et maintenu pratiquement inchangé par l’inclusion des serfs dans le système. Mais ce n’est pas ce qui se passa. »
Merci, ces deux passages sont assez explicites, il nous reste donc à connaitre la description du système concret qui répondrait selon lui à « ordre parfait ».
C’est ce qui est détaillé dans « Démocratie » : un système entièrement basé sur la propriété privée.
Ok merci, j’y cours …
A la lecture de « Démocratie », l’utilisation presque exclusive des thèmes de la monarchie, de l’immigration, de la sécurité, etc…, comme moyens de faire une critique de la démocratie sont assez révélateurs : H-H Hoppe se révèle être un conservateur qui aurait trouvé dans le libertarianisme une adaptation cohérente de ses idées originelles.
C’est pour cette raison qu’il suscite des oppositions si fortes à l’intérieur même du courant libertarien, et qu’à terme son influence sera loin d’avoir la portée de celle de Rothbard, par exemple.
Pour Rothbard, ok.
Pour Hayek, je ne le recommande pas du tout, voir cet article : https://www.contrepoints.org/2019/08/10/351068-hayek-sur-letat-et-levolution-sociale
C’était un peu de provoc, en réponse à celle du nez rouge … 😉
Il l’a bien cherché. ?
Y a-t-il une différence entre le terme américain « libertarian » et le mot français « libéral ». Si oui, laquelle?
la différence entre libéral et libertarien ? C’est la différence entre les minarchistes et les anarcho-capitalistes : état minimal régalien contre pas d’état du tout.
Deux paradoxes amusants dans la vision libertarienne à la HHH…
1. S’inventer des ennemis à combattre dans une société qu’on souhaite sans conflit ou fondé sur le principe de non-agression. Quand un régime politique plaide pour l’épuration avant de s’établir durablement, on sait où on va…
2. La feuille de route de cette installation est étrangement muette sur ce qui est pourtant le principe de base de cette philosophie politique : la propriété de soi !
« Dans un monde sans pénurie, il n’y aurait pas de conflits. »
Ou dans un monde de pénurie (travail, restriction imposée de l’accès aux ressources), il y a des conflits : CGT, GJ …
Alors que le libre marché permet de résoudre les conflits, on en est réduit à faire confiance à Castaner (et ses casseroles), ses déplacements répétés dans le tiers-france et ses discours volontaristes (entre deux auto-disculpations).
La marche de la civilisation s’est définitivement arrêtée le 03.08.1914.
Depuis lors, la démagogie est instoppable.
Le programme de ce monsieur est bel et bien, mais il s’adresse à un public de gens intelligents, cultivés et qui n’auraient pas peur… c’est à dire à personne!
Je retourne planter mes choux.
@Vernunft
La guerre de 1914 n’aurait jamais eu lieu si la révolution libérale était parvenue à son terme logique qui est la disparition de l’État. C’est parce que les libéraux du passé ont accepté l’existence de l’État, ce qu’on ne saurait leur reprocher, que celui-ci s’est étendu sans cesse, comme cela avait déjà été compris par Bastiat vers 1848. Aujourd’hui, nous savons. C’est la raison pour laquelle il faut défendre les idées libérales radicales, ce qui n’empêche pas le nécessaire compromis avec la réalité (mais pas avec les idées).
Vous avez mille fois raisons!
Au cours du XIXeme siècle -c’est à dire, jusqu’en 1914- deux « courants » ont co-existé. L’un libéral, qui a réussi à implémenter des mesures libérales (le Zollverein), les mesures de Stolypine en Russie etc. etc., et l’autre, étatiste, s’appuyant sur un nationalisme stupide (redondance) , un élitisme saint-simonien « we know better » avec par exemple la création de la Federal Reserve etc. etc.
Mais jusuq’à ce fameux 03.08, le crottin sur la barre de l’écurie aurait peut-être encore pu tomber du bon côté.
Depuis lors, la démagogie, avec des hauts et des bas certes, a poursuivi son chemin, souvent ensanglanté, et nous nous trouvons maintenant devant l’ultime phase, où, après avoir « lysenkisé » les populations, on s’apprête à les asservir définitivement.
» il faut défendre les idées libérales radicales, ce qui n’empêche pas le nécessaire compromis avec la réalité, mais pas avec les idées »
Oui !