Youtube, Twitter, Twitch : le grand nettoyage qui menace le pluralisme ?

S’il est impossible de soutenir les discours et les expressions racistes et xénophobes, pour exister, le débat public ne doit pas tourner à l’échange de noms d’oiseaux et au refus du pluralisme moral raisonnable.

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Youtube, Twitter, Twitch : le grand nettoyage qui menace le pluralisme ?

Publié le 8 juillet 2020
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Par Frédéric Mas.

La loi Avia contre les contenus haineux n’est pas passée en France et c’est tant mieux. Son potentiel liberticide sous couvert de bonnes intentions avait été reconnu par tous les acteurs du Net autant que par les Sages du Conseil constitutionnel.

Seulement, l’initiative du contrôle des termes du débat public ne provient pas que des gouvernements. Ce sont les géants de la tech qui ont décidé de durcir leurs politiques de modération pour faire disparaître les contenus jugés racistes, xénophobes et homophobes, l’actualité de la mort tragique de George Floyd ayant accéléré le mouvement.

La fin d’une époque libertaire

Ainsi, par exemple, Youtube a clôturé plusieurs comptes « suprémacistes », comme ceux des militants d’extrême droite David Duke et Richard Spencer aux États-Unis, ou en France celui de l’humoriste plusieurs fois condamné pour antisémitisme, Dieudonné.

Fini l’époque libertaire où Twitter prétendait être « l’aile radicale du parti de la liberté d’expression ». À l’ère de Donald Trump, de Black Lives Matter et de la prolifération des fake news, les médias sociaux sont devenus paternalistes, mais paternalistes progressistes. Désormais, ils privent de visibilité les contenus qu’ils jugent problématiques non seulement au regard de la loi, mais de leurs propres standards moraux. Il ne convient plus de proposer aux consommateurs certains contenus jugés haineux.

De fait, au milieu des comptes conspirationnistes, authentiquement racistes et droitiers, des médias ou des personnalités jugés, par exemple, proches de Donald Trump ont régulièrement été victimes du nouveau tour de vis idéologique des Géants du net. Malgré les tentatives de conciliation et les explications des GAFA, la suspicion de biais idéologique demeure après la disparition de certains sites.

La modération de Twitter et Facebook aurait la main lourde sur les comptes de droite, mais tolérerait les sectes d’ultra-gauche, antifa violents et autres agitateurs islamistes tout aussi problématiques.

Trump lui-même censuré par Twitter

Un nouveau stade a été dépassé quand Donald Trump lui-même a fait les frais de la nouvelle politique de modération de Twitter, et que sa principale chaîne sur Twitch a été supprimée pour les propos racistes que ses partisans laissaient régulièrement en commentaires. Le fait que désormais une partie non négligeable du spectre politique tombe sous le coup de l’accusation de hate speech pose un problème, qui va au-delà du strict respect de la liberté d’expression.

Il n’existe en effet pas de droit opposable à une « presse libre » ou à un égal accès aux réseaux sociaux. Les plateformes des Géants de la tech sont des entreprises privées, et les politiques de modération, aussi contestables soient-elles, ne regardent que l’entreprise offrant le service et son consommateur qu’elle oblige.

Pour Murray Rothbard, parler de liberté d’expression n’a de sens qu’une fois posé le droit de propriété, dont il est le prolongement. L’individu a le droit de s’acheter par exemple une maison et de s’y exprimer librement, ou d’écrire un livre et de le vendre à celui qui en accepte le contenu. Seulement son droit s’arrête là : il ne peut prétendre accéder à la propriété d’une autre personne au nom du pluralisme ou de la liberté d’expression.

Si demain Donald Trump décide de briser les GAFA au nom de la liberté d’expression, alors il portera atteinte aux droits individuels, qu’ils soient de propriété ou d’expression, de l’entreprise qu’il aura ciblée. Toujours du point de vue du droit de propriété, la seule solution possible pour avoir de nouveau accès aux médias est encore d’en créer un.

Il y a quelques années, échaudé par la modération de Twitter, Gab devenait le repaire de l’alt-right sur internet. Aujourd’hui, c’est Parler.com qui accueille les aficionados de Donald Trump mais aussi tous ceux qu’exaspèrent les diverses purges idéologiques des plateformes dominantes sur le marché.

En d’autres termes, si la politique des GAFA vous déplaît, vous êtes encore libres d’aller voir ailleurs, les concurrents existent !

L’incitation à l’autocensure

Il faut toutefois ajouter à cette relation idéale entre entreprises et consommateurs l’existence bien réelle des États, qui par leur existence et leurs législations posent des incitations à l’autocensure et à la restriction du pluralisme idéologique au sein de la société civile.

Si l’entreprise adopte des politiques contraignantes en matière de liberté d’expression, c’est aussi qu’elle craint les possibles sanctions en cas de violation de la loi dans les différents pays occidentaux. La pression des législations en matière de contrôle de la liberté d’expression fait que les plateformes anticipent la censure étatique et organisent elles-mêmes l’appauvrissement de leur contenu.

En d’autres termes, la liberté d’expression est aussi conditionnée par les réglementations qui en encadrent l’exercice. On sait à quel point en France, par exemple, la loi Avia proposait d’externaliser la censure. Les plateformes devaient exercer elles-mêmes, dans les plus brefs délais et sans intervention du juge judiciaire, le nettoyage de leurs sites.

La culture de la délibération rationnelle en danger

Seulement, c’est peut être sur le plan culturel, plus que sur celui du droit, que le danger est perceptible, et plus difficilement saisissable sur le plan éthique. Comme l’ont souligné des économistes et des historiens comme Joel Mockyr, Deirdre McCloskey ou Joyce Appleby, c’est autant, voire plus, la culture de la liberté propre à l’Occident que ses institutions purement légales qui sont à l’origine de son dynamisme.

La culture collectiviste, qui pousse les individus à se regrouper en clans politiques aux vues irréconciliables, érode la culture de la délibération et de l’échange rationnel, qui est à la fois moteur de la démocratie représentative, de l’état de droit et du capitalisme libéral qui en est l’infrastructure économique.

Cette clôture narcissique de l’esprit dont parlait Allan Bloom, fait disparaître toute tolérance à ce qui n’est pas soi. Il devient impossible de tolérer ce qui nous apparaît comme odieux, et l’espace de ce qui nous est odieux est potentiellement infini, puisque c’est tout ce qui est au-delà de notre individualité narcissique.

S’il est impossible de soutenir les discours et les expressions racistes et xénophobes, le débat public, pour exister, ne doit pas tourner à l’échange de noms d’oiseaux et au refus du pluralisme moral raisonnable.

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  • Beaucoup de « conservateurs » considèrent désormais que Twitter, FaceBook et Youtube sont en train de devenir des plateformes d’extrême gauche sous l’impulsion d’une minorité bruyante de « Social Justice Warriors » sensibles à l’extrême, ne supportant pas la moindre critique ou la moindre remise en cause de leurs idéaux…ce sont ces SJW qu’on retrouvais autrefois dans les fac de psycho…et qui vont finir par conduire à la chute de ces sociétés…des alternatives plus libres étant en train de fleurir et de gagner de la traction un peu partout…

    Bref, trêve de diggression sur des personnes aussi sensibles et aussi facilement offensées que les SJW…
    – FaceBook est en perte de vitesse et sont en train de mourrir de l’adage « Get Woke, Go Broke »…d’autant qu’ils ont été pris la main dans le sac alors qu’ils essayaient de truquer certaines élections (au Canada et outre manche)
    – Parler est en train de connaître une ascension fulgurante car cette alternative à Twitter ne censure les propos de personnes…résultat, cette application a dépassé Twitter dans les divers AppStore…
    – Youtube n’a pas encore d’alternative crédible à ce jour, mais de nombreuses plateformes sont en train d’émerger, beaucoup de créateurs en ayant assez de la censure et des règles de plus en plus absurdes de cette plateforme…
    – Google n’a pas encore d’alternative « censor free », mais certaines personnes commencent à y réfléchir sérieusement
    – Internet est actuellement concentré dans les mains de quelques acteurs pouvant faire le jour et la nuit…quelques projets sont en train de voir le jour pour passer d’un Internet de quelques dixaines de millions de serveurs contrôlés par un nombre restreint d’acteurs à un Internet composé de milliards de noeuds indépendants hébergeant tous du contenu…

    • Par ailleurs, on peut s’interroger de la participation du parti communiste chinois dans un nombre de plus en plus important de companies de tech américaines…et vu ce qui se passe actuellement en Chine, il ne serait pas surprenant d’apprendre un jour que ce parti sponsorise le type d’organisations mentionnées dans l’article.

  • La liberté d’expression n’est pas tronçonnable: elle est entière ou elle n’est pas. À partir du moment où vous acceptez qu’il y a des discours qui sont inacceptables et doivent être censurés (par l’Etat ou les fournisseurs d’accès), se pose inévitablement la question de « qui fait la liste de ce qu’on a le droit de dire ou pas ». Selon les convictions et les intérêts des personnes en question, cette liste sera différente, et l’expérience montre qu’elle va toujours en se rallongeant.
    Rappelons aussi que ce qui est vu comme « d’extrême-droite » aujourd’hui aurait été considéré comme très ordinaire il y a seulement quelques décennies.

    • Vous avez raison, mais comme l’indique bien cet article, c’est seulement quand l’état s’en mêle que l’on peut parler de « tronçonner ».
      Et il s’en mêle!

      Cette loi Avia sera représentée d’une manière ou d’une autre.
      Elle est la copie de la loi allemande introduite il y a deux ans. Comme l’état a rendu les banques et les notaires etc. solidaires pénalement des fraudeurs du fisc, ainsi rend-il -en violant des principes constitutionnels au passage, mais nous y sommes habitués- les plateformes responsables de violation de règles -peu définies d’ailleurs- par les internautes.
      Les plateformes doivent alors sous-traiter cette tâche de police de l’opinion.
      Mais ce n’est là qu’une petite partie de l’intervention de l’état dans
      la fabrication de l’opinion publique.
      N’oublions pas que l’état contrôle l’enseignement et les programmes, qu’il autorise les émetteurs de télé/radio, qu’il subsidie des journeaux. En Allemagne, les émetteurs « de droit public » recoivent chaque année une redevance de près de 14 milliards. Et A. Merkel, ancienne spécialiste de la propagande au sein du SED, s’est mise depuis des années à subsidier massivement toute une série de NGO (on devrait plutôt dire des VGO very governmental organisations) qui participe d’autant plus activement et efficacement à sa propagande que ce lien financier est peu connu.
      Sans compter l’immense donnant-donnant (n’est-ce pas B. Lemaire) de tous le « corporate wellfare » et de la pénalisation de l’activité entrepreneuriale.
      Internet n’a été, hélas, pour la liberté d’expression, qu’une parenthèse de ciel bleu entre des gros nuages.

  • Casser les gafa, c’est une très bonne idée et sans doute du ressort des lois antitrust. Ce n’est pas une question de liberté d’expression mais de pouvoir, est-ce que l’on doit laisser le pouvoir entre quelques mains seulement ou le diluer dans la masse

    • plutôt que de « casser les gafas », il vaut mieux faire en sorte que la concurrence puisse émerger.

    • Pas d’accord, c’est un peu comme si que vous considériez que Renaut et Peugeot ont trop de pouvoir, et que vous souhaitiez les empêcher de vendre leurs voitures… C’est pas ça la liberté d’expression, de choix et d’opinion…

  • In fine, il reste ceci, bien moins censuré….
    https://tvs24.ru/

  • J’oubliais. Un exemple (évidemment politiquement très incorrect) :
    https://tvs24.ru/brigandes/

  • Le problème principal des « GAFA » c’est qu’ils sont supposés être des plateformes neutres (comme les compagnies de téléphone ou la poste qui ne sont pas poursuivi si quelqu’un dit ou fait quelque chose d’illégal avec eux). Donc si un terroriste de Daesh met un mode d’emploi de fabrication de bombe et qu’un autre l’utilise après l’avoir trouvé via Google, Google ne peut pas être poursuivi. Si un anti-fa appelle au meurtre sur Facebook, le réseau en question ne peut pas être poursuivi. Et ainsi de suite.
    De ce fait ils doivent choisir : l’immunité judiciaire que le statut de plateforme leur confère ou le choix de trier qui peut parler ou non et ce que les gens peuvent dire, sur leurs réseaux. C’est soit l’un, soit l’autre.

    Et pour le moment, ils ont les deux : faire taire des gens « de droite » qui n’ont rien dit d’illégal, mais laisser passer les gens « de gauche » qui disent des choses illégales. En toute impunité, bien sûr.

    Oui, d’un point de vue libéral pur, Rothbardien, c’est leur propriété ils font ce qu’ils veulent. Mais toujours de ce même point de vue ils ne devraient pas recevoir d’argent, d’immunité, et de protection légale de l’Etat. Et c’est là que le bat blesse : ils doivent leur position dominante autant à leurs produits qu’aux grenouillages troubles avec l’Etat et ses lois liberticides.

    • Tout à fait. Ces plateformes ayant pu bénéficier de lois qui leur étaient extrêmement favorables, il ne faudra pas feindre la surprise lorsqu’elles subiront demain des lois à leur désavantage. Elles peuvent toutes tomber pour complicité d’activité séditieuse ou terroriste par exemple et leurs employés finir au gnouf pour de longues décennies. L’immunité ne dure jamais très longtemps quand on se mêle de politique.

  • Je ne sais pas si ce n’est qu’une impression mais le réseau Linkedin se vide de sa substance.
    C’est le règne du politiquement correct, du corporate: il me semble que ça ne présente plus aucun intérêt à part se faire mousser.

  • Non, cette censure provient bien des politiques majoritairement à gauche. Chaque jour, ils menacent ces plateformes commerciales de démantèlement ou de fiscalité punitive en les accusant de « propager la haine » en plus. C’est au mieux de l’auto-censure, au pire un syndrome de Stockholm.
    Ce n’est pas pour rien que la plupart des ultra-riches américains en vue s’affichent de gauche, c’est du virtue signaling et de l’instinct de conservation.

  • on a d’un coté les fakes news, qui pour être caractérisées nécessitent un procès d’intention ( celle de tromper) et de l’autre du coté média un narratif permanent, où si on dit des conneries, ce n’est pas une fake news puisque l’intention n’est pas de tromper mais d’éduquer ou d’illustrer…

    glaçant…

  •  » S’il est impossible de soutenir les discours et les expressions racistes et xénophobes…  »
    Même ces discours-là, il faut les laisser s’exprimer, l’interdiction ne supprimant ni le racisme, ni la xénophobie. Qui ont davantage de chances de disparaître par la désapprobation publique réelle que par l’activité de quelques censeurs.
    Si la liberté d’expression ne protège qye les propos consensuels, elle ne sert à rien.
    Autant l’incitation à la violence peut être définie objectivement et réprimée, autant l’incitation à la haine est la porte ouverte sur l’arbitraire.
    C’est cet arbitraire que nous voyons maintenant à l’oeuvre.

  • Bon article sur un sujet qui m’intéresse. J’ai eu ici quelques bonnes discussions et ne vais pas les relancer maintenant.
    Si M. Mas ou d’autres contributeurs me lisent, j’adorerais voir un article sur le PDV libéral concernant les gens licenciés (US, UK) en raison de leurs prises de position politiques.

  • Je ne pense pas que l’on puisse parler de propriété lorsqu’il suffit de mettre de la pression sur une dizaine de CEO pour faire disparaître quelqu’un de l’espace public sans procès.
    Faire disparaître quelqu’un? Lancer une campagne de salissage et se plaindre a Facebook / Twitter / YouTube.
    Sur une autre plate-forme? Pression sur VISA/Mastercard
    J’aime pas ce site? Pression sur le fournisseur ou sur le registraire du DNS.

    GAB par exemple, Visa menace un par un tout les fournisseurs de payment qui s’y associe. Le registraire, le fournisseur ont banni le site à moins de 12h d’intervalle de manière coordonnée.

    Souvent lorsqu’un individu disparaît d’une plate-forme toutes les autres se coordonnent pour le faire disparaître.

    Lorsqu’ils censurent même le président américain, alors les citoyens n’ont aucune chance.
    A part criminaliser la censure je ne vois pas de moyen de sauvegarder la démocratie.

  • Ce qui est bien avec ça, c’est que si Trump est réélu, les démocrates ne pourront pas dire qu’il a utilisé les réseaux sociaux, étant donné qu’il a été banni ! 😀

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