Oui, il ne faut pas avoir peur de relancer la participation des salariés

OPINION : associer le travail au capital reste une belle et puissante idée dans un pays trop imprégné par la lutte des classes et les rêves de nationalisation.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Gérald Darmanin-2 By: Jacques Paquier - CC BY 2.0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Oui, il ne faut pas avoir peur de relancer la participation des salariés

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 28 mai 2020
- A +

Par Michel Albouy.

Gérald Darmanin veut ressusciter la grande idée gaulliste de la participation. Dans une interview au Journal du Dimanche (24 mai 2020), le ministre de l’Action et des Comptes publics juge que le gouvernement peut aller plus loin sur la question du pouvoir d’achat grâce à cette mesure. « Les salariés deviennent actionnaires de leur entreprise, ils perçoivent leur part sur les bénéfices qu’elle réalise et ils augmentent leur pouvoir d’achat, en plus de leurs salaires, par l’intéressement« .

Pour Gérald Darmanin, une telle mesure permettrait d’augmenter les revenus des salariés sans plomber les charges des entreprises via une augmentation généralisée des salaires.

Un enjeu essentiel

Dans un monde en crise suite à la pandémie du Covid-19, le partage des richesses, via l’association capital-travail devient pour notre ministre un enjeu essentiel pour répondre « à la lutte des classes sociales que l’on voit resurgir ». Il n’a pas tort si on se réfère aux nombreuses déclarations d’intellectuels de gauche appelant à une répartition plus égalitaire des richesses dans le monde post Covid-19, avec évidemment davantage d’impôts et le rétablissement de l’ISF comme le réclament les économistes Thomas Piketty et Esther Duflo, prix Nobel d’économie.

La participation des salariés aux bénéfices des entreprises – une idée chère au Général de Gaulle – a été instaurée en 1967 par ordonnances sous le gouvernement Pompidou, malgré les résistances à l’époque du patronat qui y voyait une atteinte au droit des actionnaires et des syndicats ouvriers qui s’inquiétaient de cette collaboration de classes en devenir.

La réforme visait initialement les entreprises de plus de 100 salariés et prévoyait le blocage des sommes distribuées dans une réserve spéciale durant cinq ans. Cette règle a été étendue en 1990 aux entreprises de plus de 50 salariés. En 2015, la loi Macron a renforcé les avantages fiscaux dont la participation est assortie. En 2019, la loi Pacte en a assoupli certains dispositifs.

À l’heure actuelle, le ministre de l’Action et des Comptes publics n’a pas dévoilé les modalités concrètes pour développer davantage l’épargne salariale. Plusieurs pistes sont évoquées comme la généralisation à toutes les entreprises, ou encore une modification du plafond des primes, aujourd’hui fixé à 20 % du salaire brut. Une nouvelle réduction du forfait social pourrait être également envisagée.

Bien que les modalités concrètes de cette relance de l’actionnariat salarié ne soient pas encore connues, il est possible à partir des recherches réalisées en sciences de gestion de dresser un petit bilan des avantages et des risques d’une telle réforme.

Les avantages de l’actionnariat salarié

L’actionnariat salarié est souvent présenté comme une stratégie gagnant-gagnant pour l’entreprise et ses salariés. Eh oui, il est vrai que la participation des salariés au capital des entreprises présente de nombreux avantages. C’est tout d’abord un moyen d’associer les salariés à la gestion de l’entreprise, de leur permettre de les faire participer à la création de valeur actionnariale, et de les fidéliser. C’est aussi un moyen de stabiliser le capital des entreprises et leur permettre de mieux résister à des opérations capitalistiques inamicales.

Associer les salariés à la gestion de leur entreprise est un puissant levier de motivation si l’on en croit les nombreuses études réalisées sur cette problématique. Il apparait que les entreprises ayant une très forte culture d’actionnariat salarié enregistrent un taux moyen de départs volontaires inférieur à celui des entreprises ayant une faible culture dans ce domaine.

La participation permet également d’aligner les intérêts des salariés et ceux des managers sur les objectifs de développement de l’entreprise. Et puis, c’est un bon moyen de renforcer la cohésion et de sensibiliser les salariés aux objectifs économiques et financiers de l’entreprise.

Devenant actionnaires de leur entreprise, les salariés sont associés à sa valorisation. Ce mécanisme peut ainsi leur permettre de se créer un capital financier en bénéficiant en outre de dispositions financières et fiscales favorables. Les dispositifs utilisés permettent en effet d’acquérir des actions à des conditions préférentielles grâce aux décotes sur les cours, à l’abondement versé par l’entreprise et aux avantages fiscaux associés à ces dispositifs.

En matière de gouvernance, l’actionnariat salarié renforce la stabilité du capital par un actionnariat impliqué au devenir à long terme de l’entreprise. Comme le montre la recherche en gestion, l’actionnariat salarié constitue également un mécanisme de protection contre d’éventuelles tentatives de prise de contrôle (OPA) inamicale de la part d’une entreprise concurrente ou d’un investisseur financier. À condition naturellement que le capital aux mains des salariés soit significatif.

Un système essentiellement utilisé par les grandes entreprises cotées

L’actionnariat salarié est largement plébiscité par les grandes entreprises cotées, notamment celles du CAC 40. Les champions en la matière sont notamment des groupes comme Bouygues (dont les salariés détiennent un peu plus de 17 % du capital), Air Liquide, Vinci, Essilor, Safran, Société Générale, Axa, Total ou BNP Paribas. Citons deux exemples éclairants : Essilor et Vinci.

Essilor, par exemple, a fait de l’actionnariat salarié « un principe fondateur du groupe, un levier de sa réussite et une des clés de sa pérennité ». Dès sa naissance, en 1972, une société regroupant les cadres actionnaires de la nouvelle entreprise s’est en effet constituée. Baptisée Valoptec, elle détient alors 50 % du capital du nouveau groupe. Cette forte implication des collaborateurs va perdurer tout au long du développement international de l’entreprise.

Depuis trente ans, Essilor a ainsi lancé un plan d’actionnariat salarié chaque année et aujourd’hui ce sont plus de 45 000 salariés de 58 pays (soit 65 % des collaborateurs) qui détiennent une participation dans le nouveau groupe Essilor-Luxottica. Les salariés sont même le premier actionnaire du groupe, détenant ensemble 8,4 % de son capital.

Le déploiement mondial de cet actionnariat traduit la volonté du groupe de « sceller durablement les intérêts des salariés à ceux de l’entreprise autour d’une ambition commune ». Valoptec, qui compte 10 000 actionnaires salariés membres, participe activement à la gouvernance du groupe. Elle est représentée par un Conseil d’administration international constitué de seize membres, dont trois font partie du Conseil d’administration d’Essilor et siègent au Comité stratégique, au comité d’audit, au comité RSE et au comité des nominations.

L’actionnariat salarié est également au cœur de la stratégie des ressources humaines de Vinci : 120 000 collaborateurs détiennent collectivement 5 milliards d’euros de capital, soit un peu plus de 10 % du groupe.

Vinci offre un abondement de 50 à 200 %, en fonction des pays et propose diverses facilités de paiement. Cette volonté de développer l’actionnariat salarié est également soutenue par une stratégie de communication interne bien huilée qui mise en particulier sur la sensibilisation des managers et des partenaires sociaux, premiers ambassadeurs de l’actionnariat salarié auprès de tous les collaborateurs. Résultat : le groupe Vinci atteint un taux de souscription moyen de 40 %, « parmi les plus élevés du marché ».

On pourrait allonger la liste des grandes entreprises françaises ayant fait de l’actionnariat salarié un élément de leur stratégie de développement à long terme. Mais l’exemple des grandes entreprises cotées n’est malheureusement pas partagé par les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et nos PME. Il y a dans ce domaine des progrès à faire.

Les risques d’un développement trop important de l’actionnariat salarié

Si l’actionnariat salarié présente incontestablement de nombreux avantages, il ne faudrait pourtant pas passer sous silence ses risques, que ce soit pour les salariés comme pour l’entreprise, surtout si son développement devenait trop important.

1. Pour les salariés

Être associé au capital de l’entreprise c’est aussi être associé à ses gains comme à ses pertes. Ce rappel évident et bien connu des investisseurs, nous permet de relativiser les gains potentiels des salariés actionnaires. En ce sens, une participation aux bénéfices de l’entreprise n’est pas équivalente à une augmentation de salaire. Certes, si tout va bien et que l’entreprise prospère, les salariés seront gagnants mais ce scénario optimiste n’est pas garanti. Il est ainsi possible qu’à l’échéance de leurs plans de participation certains salariés soient déçus et que la promesse d’enrichissement ne soit pas tenue. En d’autres termes, il ne faudrait pas que les salariés oublient le principe de diversification cher aux investisseurs. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier reste un conseil de bon sens. Outre que les salariés investissent déjà leur capital humain dans l’entreprise, s’ils investissent également une part significative de leurs avoirs dans son capital, ils pourraient au final être perdants sur tous les tableaux.

2. Pour les entreprises

Si la présence des salariés au capital des entreprises est une bonne chose pour fidéliser et motiver les employés, et stabiliser la gouvernance, elle peut néanmoins se traduire par une perte d’agilité pour le management. En effet, même s’ils sont actionnaires de leur entreprise, les salariés mettront toujours en premier leur statut d’employé avant celui d’actionnaire surtout en cas de décisions difficiles de restructuration. Comment en effet des salariés actionnaires représentés au Conseil d’administration pourraient valider la fermeture de sites non rentables ? Entre leurs intérêts d’actionnaires et ceux des salariés l’arbitrage est vite fait. Le cas de Renault et à cet égard très révélateur lors de la fermeture en 1997 du site de Vilvorde en Belgique. Tant que les salariés actionnaires restent minoritaires, la logique financière de l’entreprise demeure. Mais si ceux-ci deviennent majoritaires on bascule dans un autre système proche de celui des sociétés coopératives (SCOP). Or, et malgré leurs intérêts, les SCOP n’ont jamais vraiment challengé les sociétés anonymes par action (SA), surtout en termes de croissance et de développement. Et puis, une participation trop importante des salariés au capital de l’entreprise peut effrayer des investisseurs au cas où l’entreprise en difficulté aurait besoin d’une recapitalisation.

Au total, que penser de la proposition du ministre des Comptes Gérald Darmanin ? Même s’il existe quelques risques à un développement trop important de l’actionnariat salarié, il nous semble que les avantages l’emportent largement, surtout dans la situation que connaît notre pays. Associer le travail au capital reste une belle et puissante idée dans un pays trop imprégné par la lutte des classes et les rêves de nationalisation. Le Général de Gaulle avait vu juste il y a plus de cinquante ans.

 

Voir les commentaires (15)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (15)
  • ah .. la participation ! serpent de mer sans cesse réapparu , quand il n’y a plus rien a faire…
    tant qu’on s’obstinera a dé corréler les revenus de la valeur travail.. travailler restera accessoire!
    vous voulez revaloriser le travail? baissez les aides sociales!!

  •  » les salariés actionnaires augmentent leur pouvoir d’achat en plus de leur salaire « …..à condition que l’état ne récupèrent pas cet argent via des augmentations de charges et d’impôt comme il a l’habitude de le faire…..et dans un pays ruiné il faut s’attendre à tout ;

  •  » Les salariés actionnaires augmentent leur pouvoir d’achat en plus de leur salaire  »

    Avec quoi ? les dividendes que la moindre lubie de l’état peut supprimer ?

    Entre autre…

  • Il faut donc plus de cinquante ans a nos politiques et économistes pour comprendre et assimiler une idée relativement simple: « La Participation » Vous imaginez si en plus on avait pas reçu des tas de Nobel d’Économie !

  • L’analyse faite dans cet article des avantages et des inconvénients de la participation salariale au capital des entreprises est bien faite et équilibrée . Interessante.
    Il est vrai que le général de Gaulle avait cette vision sociale et politique du rapprochement du patronnât et du salariat pour rompre avec des luttes intestines qui sabraient la productivité et l’enrichissement de la nation.
    Mais depuis nous nous sommes acharnés à faire que l’état devienne l’arbitre de toutes choses et qu’il soit le seul à organiser la répartition des richesses par l’impôt notamment.. Il n’aurait dû se limiter qu’à un rôle, celui de veiller à ce que les obligations des uns et des autres soient respectées.
    Par ailleurs, je pense que la notion de pouvoir d’achat est nécessaire ne notion énarchique qui permet de parler pour ne rien dire. La notion de juste rémunération du travail et de l’effort me semble être mis concrète car derrière nous pouvons en définir les critères, dont un au moins qui est de gagner ce qu’il convient sans rester pauvre.
    La récompense de l’effort justifie une rémunération décante et valorisante. Tout le monde sait que la richesse est une notion relative.
    Vivre décemment de son travail et de ses efforts devrait être un dogme.
    Encore faut-il que l’état ne pompe pas toutes les richesses produites par les entreprises et les salariés avant qu’elles présentent un intérêt à être réparties.
    Enfin il pour que cela fonctionne que tous nous acceptions le principe : suivant: qui ne risque rien n’à rien et que c’est par la réflexion et un dialogue bien compris que l’on se donne une chance de limiter les risques et de créer de la prospérité.

    • « L’analyse faite dans cet article des avantages et des inconvénients de la participation salariale au capital des entreprises est bien faite et équilibrée . Interessante. »
      non c’est du rabâchage , depuis 60 ans

    • « La récompense de l’effort justifie une rémunération décante et valorisante. Tout le monde sait que la richesse est une notion relative. »
      Clairement non. Tou d’abord l’effort ne signifie rien. Si je passe la matiné à creuser un trou et l’après midi à le reboucher j’aurais produit un effort considérable mais de la valeur, zéro. Donc l’effort produit on s’en fout, ce qui compte c’est l’utilité de l’effort.
      Quand à la relativité de la richesse les Français sont très loin d’être clair à ce niveau.

    • Et puis aussi 99% des problèmes en France viennent de l’aversion quasiment pathologique aux risques. Ma mère me disait qu’elle se souvenait de la grippe asiatique en 1956 (pas certain de la dater exact) qui avait à l’époque fait au moins autant de mort que le covid sans que personne n’en parle et le pays avait continué à vivre comme si de rien n’était…A l’époque le risque faisait partis de la vie, aujourd’hui le risque est devenu insupportable d’où le blocage complet de la société.

      • Non seulement l’aversion au risque, mais aussi la nullité crasse des Français et de leurs médias pour l’évaluation et la hiérarchisation des risques. Un risque spectaculaire 100 fois plus faible qu’un risque qui l’est moins est ainsi bien plus craint que le second.

  • Les salariés ont toujours eu la possibilité d’acheter des actions. Si il s’agit de donner des actions gratuitement alors cela n’a aucune valeur et ne participera en rien à l’adhésion des employés aux investissements capitalistiques puisque le risque inhérent à ce système est au cœur de la mécanique.

    • donner gratuitement ? Le travailleur ne donne pas son travail en échange d’une rémunération ?
      Et non, les salariés n’ont pas toujours la possibilité d’acheter des actions :-). Tout le monde n’est pas en mesure de placer 1000 euro en action.

  • Tant qu’on ne pourra pas virer librement les salariés qui se révèlent être des « emmerdeurs » (pour ne pas être vulgaire) dès la période d’essai terminée, tant qu’on ne pourra supprimer librement une prime à un employé spécifique (les fameuses « primes parce que c’est un branleur, etc. : rien ne changera.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

La fin du droit du sol à Mayotte, annoncée par le ministre de l'Intérieur est une réponse qui va dans la bonne direction. N’est-ce pas l’occasion de s’interroger sur le droit à la nationalité française ?

 

La fin du droit du sol à Mayotte

En arrivant sur l’île de Mayotte, dimanche 11 février 2024, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, a annoncé :

« Il ne sera plus possible de devenir Français si on n'est pas soi-même enfant de parent Français, nous couperons l'attractivité qu'il y a dans l'archip... Poursuivre la lecture

Par Patrick Carroll.

Le 13 septembre 1970, le New York Times a publié un article de Milton Friedman qui allait devenir l'un des articles les plus célèbres - et les plus controversés - de toute l'économie. L'article était intitulé « A Friedman doctrine— The Social Responsibility of Business Is to Increase Its Profits ».

Selon la désormais célèbre doctrine Friedman, la seule mission d'une entreprise est de réaliser des profits pour ses actionnaires. Elle n'a pas d'autre "responsabilité sociale", telles que la prise en charge des ... Poursuivre la lecture

« Il ne faudrait pas que l'on remette notre avenir entre les mains de la technique et des techniciens ».

Cette phrase n’est étonnamment pas celle d’un opposant au président de la République le plus techno de la Cinquième République. Bien au contraire, puisqu’elle est sortie de la bouche de l’actuel ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

Ces propos, rapportés par nos confrères du journal Le Figaro, sont donc ceux d’un homme qui semble avoir oublié la nature du gouvernement dont il est une figure de proue.

Après Édouard ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles