Par Jonathan Frickert.
Offrant des analyses intéressantes de l’histoire du capitalisme ainsi qu’une critique bienvenue de la bourgeoisie, l’auteur retombe rapidement sur de vieilles antiennes marxistes dont il recycle ainsi les théories sur l’effondrement.
Cette vision le rapproche paradoxalement de Jacques Attali, lui aussi grand admirateur des analyses marxistes et avec qui il partage la propension à envisager l’effondrement du capitalisme tous les quatre matins. La critique benoistienne de la bourgeoisie souffre du même mal, confondant la bourgeoisie libérale et la bourgeoisie jacobine. Cette même bourgeoisie qui a interdit les coalitions durant la Révolution, qu’il s’agisse des syndicats ou des mutuelles, et donc à des individus consentants de s’unir. Ces communautés qu’Alain de Benoist ne mentionne pas, sans doute parce que fondées sur le consentement de leurs membres.
Dénonçant justement les lobbies patronaux et la préemption de la bourgeoisie vis-à-vis des idéaux de la liberté, l’auteur l’assimile à un mode de vie libéral alors qu’il ne s’agit ici que de conflit de classe que dénonçait déjà Frédéric Bastiat en parlant de la démocratie comme théâtre des intérêts corporatistes.
L’ouvrage met toutefois en garde les libéraux sur des thématiques actuelles.
En effet, si Alain de Benoist met volontairement de côté la question de la responsabilité, il permet de mettre en garde les libéraux contre l’oubli des problématiques contemporaines.
Par exemple, face au jouir sans entrave, marotte des libertaires, la liberté libérale et son aspect responsabilisant est sans doute la réponse la plus pertinente.
De la même manière, il existe des réponses libérales à la problématique de l’identité. Des sujets sur lesquels les libéraux conservateurs ou non ont leur mot à dire à travers la question de la propriété et du consentement comme cadres aujourd’hui bafoués par les politiques publiques.
Dans ce sens, il est étonnant de voir qu’en sus d’une erreur sur le constat, Alain de Benoist fait une erreur de qualification dans ses solutions.
L’ouvrage évoque le localisme, la démocratie directe, le retour aux modes de vie simple… des éléments qui ne sont pas, contrairement à ce qu’évoque l’auteur, incompatibles avec la philosophie de la liberté. La Suisse, pays dont de nombreux conservateurs et libéraux sont des défenseurs acharnés, comme le regretté Yvan Blot, est lui-même le pays à la fois de la démocratie directe et de la liberté individuelle, conciliant les deux libertés de Constant.
Pour comprendre cette difficulté, il faut revenir aux origines de l’antilibéralisme en général et de celui d’Alain de Benoist en particulier.
Ludwig von Mises distingue deux causes à l’antilibéralisme1. La première est la jalousie sociale que nous connaissons bien en France. Pour des raisons sociologiques, cette cause ne semble pas toucher l’auteur de Contre le libéralisme.
La clef semble être à chercher dans la seconde cause dégagée par l’auteur de L’Action humaine, à savoir la frustration politique. Cette cause rejoint l’utopie et consiste en une frustration que le monde idéal qu’on aspire à voir émerger n’arrive pas ou pire, semble s’éloigner à mesure que le temps s’écoule.
En effet, Alain de Benoist n’a jamais caché son admiration du modèle paneuropéen. Comme nous l’avons vu, il considère la nation comme une fille d’un christianisme dans lequel il ne se reconnaît pas. Cette aversion pour le modèle national rejoint son admiration pour le paganisme et les sociétés préchrétiennes. Depuis plusieurs années, l’évocation constante des communautariens lui permet de justifier cette admiration en appelant à un retour à ce qu’étaient les sociétés païennes.
Celui que les moins informés verraient comme un partisan de Marine Le Pen est en réalité un électeur revendiqué de Jean-Luc Mélenchon après avoir voté communiste en 1984. Un choix guère étonnant lorsqu’on sait que le fondateur du GRECE avait théorisé une victoire de la Guerre froide par l’URSS dans les années 1980. Un point qui le rapproche encore une fois de Jacques Attali là où Emmanuel Todd avait anticipé la fin de la chute des Soviétiques dès 1976.
Et une des ultimes clefs du problème est sans doute là : comme de nombreux autres conservateurs antilibéraux, Alain de Benoist n’est qu’un des instruments naïfs des progressistes permettant de maintenir en place le capitalisme de connivence dont l’actuel chef de l’État n’est que le dernier avatar en date.
Face à cela, l’ouvrage d’Alain de Benoist montre sans le vouloir qu’il existe du chemin à faire pour aboutir enfin à une solution qui ne pourra consister que dans l’émergence d’une alternative libérale et conservatrice, d’un Parti conservateur à la française, défendant à la fois l’indépendance nationale et la liberté individuelle, à la manière de ce qu’évoquait Bastiat en son temps.
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Retrouvez les épisodes 1, 2 et 3 de cette analyse sur Contrepoints.
- VON MISES, Ludwig, Libéralisme, 1927. ↩
Belle conclusion à cette série d’articles!
Je me demande si le terme « conservateur » ne devrait pas être remplacé par un autre:
La plupart du temps, ceux qui se réclament de cette tendance souhaitent « conserver ce qui vaut et changer ce qu’il faut », tandis que leurs adversaires utilisent ce terme pour le caricaturer en immobilisme ou en passéisme.
Il me semble qu’une dénomination autour de l’idée de continuité des sociétés serait plus juste: il éviterait la caricature tout en permettant une vraie critique du progressisme: celui-ci se sert de l’idée de « progrès » pour révolutionner les sociétés, c’est-à-dire les transformer de façon radicale en dehors de tout consentement, et en faisant table rase du passé. Et le terme de « progrès » est d’une efficacité redoutable pour tétaniser toute opposition.
Sur le fond, le progressisme actuel (écologisme compris) n’est pas différent du communisme.
On doit se rappeler le titre – pas du tout anodin – du luvre d’E. Macron : « Révolution »…
On pourrait tout aussi bien révoquer le terme « progressisme » tant celui-ci, pourtant issu des Lumières, a été complètement galvaudé par les staliniens historiques.
A part la Macronie qui le met aujourd’hui à toutes les sauces (en particulier en l’opposant au populisme ! ), il n’est guère plus utilisé que dans sa connotation négative et signe de fait le côté reactionnaire de son utisateur.
Lorsqu’un mot est employé à ce point dans des sens totalement différents, il vaut mieux passer à autre chose.
« conserver ce qui vaut et changer ce qu’il faut »…
Jolie définition. Mais qui hélas peut s’appliquer à tous. On a tous envie de garder ce qui marche et de jeter le reste.
C’est plutôt par la nature même des choses qu’on souhaite garder et par celle des choses qu’on veut jeter qu’on définit un conservateur ou un non-conservateur.
Quand on analyse la belle citation de Disraeli que vous citez à propos on voit qu’il y a nécessairement débat dans une société sur « ce qui vaut » et « ce qu’il faut ».
En fait cette citation est vide et ne dit rien car c’est une question de curseur; un ultra-conservateur voudra tout conserver et même pour certains revenir en arrière (définition du réactionnaire) et un progressiste penser qu’il faut changer énormément et garder peu (rarement rien).
Mais tous deux pourrait reprendre la citation à leur compte.
Justement, c’est l’absence de débat qui pose problème…
Prétendre qu’on trouve de l’intérêt à la candidature de Sanders ou à celle de Melenchon fait très probablement partie de ce que j’appelai dans un article précédent du « confusionnisme » (et autres combats metapolitiques) une habile manière de brouiller les cartes pour ratisser large.
Le rejet du capitalisme et du libéralisme fait d’ailleurs aujourd’hui partie des fondements du RN. Il est vrai que sur cette seule base, on peut établir un pont entre le melenchonisme et le lepenisme. Il est tout aussi vrai qu’en fermant les yeux, lorsque certains politiciens de ce parti s’expriment, on peut croire entendre des gens de gauche des années 80.
La ressemblance s’arrête là.
Ne nous arrêtons pas à ce « détail ». Le parti politique qui ressemble, de très près, à l’ensemble de l’oeuvre de AdB est clairement le RN de Marine Le Pen et absolument pas la France Insoumise.
Connaissant le loustic, ne soyons pas naïf au point de prendre tous ses propos au premier degré.
Rien d’étonnant de la part d’un communiste, ceux-ci haïssent la liberté et donc le libéralisme! C’est trop d’honneur que de consacrer 4 articles sur cet énergumène, comme Alain Badiou il vaut vieux ignorer ces réactionnaires!
… parce que le but réel de ce long argumentaire n’était pas de commenter un bouquin susceptible de n’intéresser que très peu de monde ici, mais de faire passer en douce des idées qui si elles avaient été exprimées directement auraient très certainement provoqué un flot de critiques.
quelles idées ?
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