La France se prépare à modifier sa Constitution, afin d’y inscrire que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
Sans doute devons-nous savoir ce que nous faisons, nous qui avons conçu assez de Constitutions au cours de notre histoire pour en fournir au monde entier. Et pourtant, il semblerait bien que nous errions.
Ce n’est pas tant la question de l’avortement qui est en jeu : c’est l’idée même de Constitution, qui paraît singulièrement mal comprise et détournée de son but.
En son temps, Frédéric Bastiat s’était attaqué, dans l’un de ses plus fameux pamphlet, à « la loi pervertie… la loi non seulement détournée de son but, mais appliquée à poursuivre un but directement contraire » (La Loi, 1850, p. 3). Peut-être aujourd’hui faudrait-il écrire contre « la loi des lois pervertie… la loi des lois non seulement détournée de son but, mais appliquée à poursuivre un but directement contraire ».
Et l’indignation devrait être au centuple. Mais certainement en devrions-nous être peu surpris.
Car en France, nous avons toujours eu une conception très antilibérale de la loi. Le plus fidèle disciple de Bastiat disait en son temps que c’est parce que nous héritons des Romains, qui en tant que propriétaires d’esclaves, ne pouvaient à la fois reconnaître la liberté, et la violer, comme ils le faisaient (Œuvres d’Ernest Martineau, t. II, p. 61).
Voyez par exemple la propriété.
Le Code civil énonce :
« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».
C’est-à-dire que la propriété n’existe pas ; c’est une concession, et par conséquent une fiction : l’État la restreint à sa guise, non seulement par des lois, mais par de simples règlements (Idem, t. I, p. 53 ; t. II, p. 365).
Il en va de même de nos grands principes constitutionnels.
« Tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
La Constitution américaine parle un tout autre langage : « Le Congrès ne fera aucune loi… qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse ». Ce qui se révèle dans cette différence est une conception toute différente du rôle même d’une Constitution.
Une Constitution sert à restreindre le pouvoir de l’État
Si nous revenons aux auteurs, nous comprenons qu’une constitution est un acte politique essentiellement libéral.
Ce n’est pas pour célébrer les vertus d’un État divin qu’on la compose et qu’on l’enregistre, mais tout au contraire par défiance, et pour protéger les droits individuels (Œuvres complètes de Benjamin Constant, t. I, p. 502). Par conséquent, son langage et sa teneur doivent se ressentir de ce but : il faut y inscrire nettement les bornes du pouvoir, ses vraies attributions, et les droits politiques et individuels qu’on reconnaît et garantit ; mais il ne faut pas y ajouter des dispositions de détail, qui sortent de ce cadre (Idem, t. XIII, p. 514).
Ce fut la grande (et contribution de Benjamin Constant, comparé à la pensée libérale du XVIIIe siècle, que de reconnaître la nécessité des limites constitutionnelles. Les penseurs qui l’avaient précédé, physiocrates en tête, avaient été trop souvent complaisants pour le pouvoir, et avec la grande force qui s’agitait pour faire le mal, ils songeaient à se servir pour le bien. Une grande partie de son œuvre, et sans doute la meilleure, a servi pour guider ses contemporains sur d’autres voies.
Les bornes du pouvoir et la sphère de l’individu
Au XVIIIe siècle, les libéraux français étaient pour la plupart opposés au développement de ce qu’on appellerait la démocratie, c’est-à-dire à la participation politique du peuple.
Établi sur un tout autre théâtre, Benjamin Constant n’eut pas de mal à reconnaître que :
« La direction des affaires de tous appartient à tous ».
Mais c’était pour ajouter :
« Ce qui n’intéresse qu’une fraction doit être décidé par cette fraction. Ce qui n’a de rapport qu’avec l’individu, ne doit être soumis qu’à l’individu. On ne saurait trop répéter que la volonté générale n’est pas plus respectable que la volonté particulière lorsqu’elle sort de sa sphère. » (O. C., t. IV, p. 643)
C’était indiqué assez clairement, non seulement l’utilité de la décentralisation, mais des limites constitutionnelles. Car si le pouvoir n’a pas d’autorité, pas de légitimité pour se mêler de certaines affaires — la religion, l’éducation, l’industrie, par exemple — cela signifie que des actes qu’il accomplirait dans ce but, ne seraient pas légaux. « Il y a des actes que rien ne peut revêtir du caractère de loi », écrivait Constant (Idem, t. XV, p. 379). Et là est la fonction essentielle des Constitutions.
Ce qu’il faut encore, outre une Constitution libérale
Sans doute, les déclarations de droits sont de peu de valeur si le pouvoir n’est pas attaché à leur respect, et le peuple prêt à tenir le pouvoir comptable de ses engagements.
« Que les ministres cherchent à nous faire illusion pour leur propre compte, c’est leur métier, disait Constant. Le nôtre est de nous tenir sur nos gardes. » (O. C., t. XIII, p. 227)
Au-delà des limites constitutionnelles, il faut donc la surveillance publique, l’énergie d’une presse libre, et l’opinion entièrement acquise à la bonté des libertés individuelles. Autrement dit, il y aurait pour les libéraux un deuxième travail à accomplir quotidiennement, le premier fût-il achevé. Allons, courage !
Le but de la constitution en France est tout autre. Les nouvelles lois dans la constitution doivent être votées par un plus grand pourcentage (60%) de députés. Cela les rend difficiles à supprimer lors d’une prochaine alternance du pouvoir.
Un constitution décrivant des principes généraux, on en a une, la DDHC. Mais son application est incompatible avec nombreux articles constitutionnels (notamment les droits créances). La constitution en France n’est donc même pas un ensemble juridiquement cohérent, ouvrant la porte à des interprétations et des rééquilibrages. Par exemple, oui on a le droit de propriété, mais on a aussi le droit d’être logé, soigné, pensionné etc par l’état. Du coup, le droit de propriété est amputé, mais avec une limite de 75% (car au delà ce serait inconstitutionnel). Pourquoi ce chiffre et pas un autre, j’image que cela dépend de l’humeur du moment. Bref, la constitution n’est pas un ensemble cohérent admiré pour la perfection de son écriture. Non, ce sont des lois comme les autres, mais qui ont une rangée de barbelés supplémentaire autour pour les protéger de l’opposition…
Sinon la remarque sur le droit romain et les esclaves m’a bien fait sourire: les Etats Unis avaient l’esclavage sur leur territoire lors de l’écriture de leur constitution, alors que les pays d’Europe non!
Simplement je pense que le but de l’état dans l’esprit des gens est très différent entre la France et les Etats Unis.
@titi l’auteur s’améliore mais ne peut s’empêcher les sorties de route rigolotes .
Fort bien. Nous sommes d’accord. Les bémols constitutionnels sont passablement anticonstitutionnels.
Et donc, en quoi la liberté garantie aux femmes d’avoir recours à l’IVG n’aurait pas sa place dans une constitution ?
La liberté de choisir entre le PQ simple, double ou triple aussi.
De tous les gens qui n’ont rien à dire, les plus intéressants sont ceux qui se taisent.
@abon Parce que le droit à l’avortement est une décision privée : cela concerne la femme , l’enfant à naître et le conjoint. Après on peut en tant que libéral discuter à l’infini sur ce droit car l’enfant à naître n’a pas son mot à dire , et en France (pas dans d’autres pays) le mari ou le compagnon non plus . Disant cela , bien que chrétienne , je suis pour le droit à l’avortement tel qu’il était légiféré par la loi Veil à l’origine.
Pourquoi une loi?
Le choix de se faire avorter ou non est personnel est aucune idéologie ou religion ne doit intervenir pour entraver ce choix.
Pourquoi une loi ? Question à poser à tous les conn.uds qui en 1810, en 1920, en 1942 ont fait de l’avortement, par la loi, un crime… Jusqu’en 1975.
Du coup les américains devaient se contorsionner encore plus , pratiquant l’esclavage sur leur propre sol . Bizarre cette réflexion de B Constant .
Une constitution sert à restreindre le pouvoir de l’Etat et le pouvoir de l’individu (par les droits humains). Malgré le caractère fondamental et sacré, cela reste une idée. On voit bien qu’en pratique (bien que je ne les cautionne pas toutes) les lois sont nécessaires pour « incarner » la constitution. Les humains sont ce qu’ils sont, ils disent une chose et font le contraire la plupart du temps. Et puis il y a toutes les situations complexes et inédites. A ce titre il est très difficile d’appliquer une constitution libérale ou en générale sans lois sauf par la force. Nous devons trouver le bon équilibre entre lois et comportements.
Fort intéressant. Une constitution libérale devrait aussi absolument prévoir que les juges ne peuvent dépendre ni du pouvoir exécutif ni du pouvoir administratif. Elle doit donc prévoir que les juges soient élus pour des mandats limités dans le temps.