Dette : et c’est reparti pour la grande illusion keynésienne !

« On peut laisser filer les déficits, donc la dette publique, sans risquer la faillite, pour peu qu’on ait des projets d’investissement et des travailleurs disponibles. » L’irréductible discours des keynésiens.

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Dette : et c’est reparti pour la grande illusion keynésienne !

Publié le 4 juillet 2019
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Par Nathalie MP.

C’est le tube économique de ce début d’été : Vive les déficits et vive la dette ! Ainsi le veut la modern monetary theory (MMT) ou « nouvelle politique monétaire » popularisée aux États-Unis par Stephanie Kelton, la conseillère économique de Bernie Sanders (démocrate d’extrême-gauche), et ainsi que le proclame chez nous l’ancien chef économiste du FMI Olivier Blanchard.

Une ritournelle qui ne manquera pas de tintinnabuler plaisamment aux oreilles d’Emmanuel Macron, alors qu’il échoue comme ses prédécesseurs à maîtriser les dépenses publiques, ainsi que la Cour des comptes vient de nous le rappeler, et alors que notre dette publique frôle dangereusement les 100 % du PIB d’après la dernière publication de l’INSEE.

Stephanie KeltonOlivier Blanchard

Que nous dit donc la MMT ? Que l’on peut laisser filer les déficits, donc la dette publique, sans risquer la faillite, pour peu qu’on ait des projets d’investissement et des travailleurs disponibles. Le contre-exemple de la Grèce ou les difficultés de l’Italie s’avèrent incapables d’entamer ce bel optimisme au motif que l’euro, monnaie non souveraine pour ces pays, ne bénéficie d’aucun des privilèges dont les États-Unis bénéficient avec le dollar.

La monnaie unique européenne, affligée de ses critères de convergence et de son pacte de stabilité – déficit public inférieur à 3 % du PIB et dette publique inférieure à 60 % du PIB – serait donc la grande coupable qui empêcherait les peuples d’accéder à la prospérité économique éternelle. Un refrain connu en nos contrées européennes, mais qui ne tient pas à l’analyse comparative entre les pays.

Il suffit d’ailleurs de regarder le programme promu par Stephanie Kelton et repris intégralement par Bernie Sanders en vue de la Primaire démocrate pour se convaincre que la souveraineté monétaire n’est que l’alibi vaguement technique d’une politique de dépenses publiques volontaristes dans le droit fil de Keynes et de Roosevelt en leur temps.

Tout ce qui fut énoncé par ce dernier dans le Second bill of rights – droit à un emploi décent, à un salaire décent, à un logement décent, à une retraite décente, à l’éducation et à la santé – se retrouve maintenant à l’instigation de Stephanie Kelton dans le programme de Bernie Sanders sous la forme du salaire minimum à 15 dollars, de l’assurance santé pour tous et de l’effacement de la dette des étudiants. Une recette très vénézuélienne, finalement.

En employant le terme « investissement », Stephanie Kelton laisse entendre qu’on parle de dépenses ponctuelles, de grands projets pilotés par l’État qui généreront de la rentabilité, et donc de la croissance et des emplois. Ce n’est à l’évidence pas le cas des dépenses sociales, et de plus rien ne vient corroborer le fait que les investissements réalisés par l’État via l’impôt et la dette pourraient s’avérer plus rentables que s’ils étaient laissés aux initiatives du privé.

Finalement, le seul « avantage » de ce système réside dans le fait que le pouvoir et le champ d’intervention de l’État en sortent considérablement renforcés puisque ce dernier se trouve ainsi à même d’orienter les investissements selon ses propres « fins sociales ».

Pour davantage de justice sociale et fiscale, naturellement, mais aussi en direction de la transition écologique, par exemple. Tiens, tiens, on ne s’y attendait pas du tout…

C’est exactement ce que nous dit Olivier Blanchard. Pour lui, la période de taux bas que nous connaissons – environ 0 % pour les emprunts à 10 ans aujourd’hui en France – va durer encore une dizaine d’années. Pour l’État, dont la charge des intérêts de la dette est ainsi très faible par rapport à des périodes antérieures, c’est donc le moment d’investir :

Je suis pour maintenir les déficits à court terme s’ils sont nécessaires pour maintenir la demande, mais (et c’est un « mais » important) à condition de les utiliser pour des mesures qui améliorent la croissance à plus long terme, comme le combat contre le réchauffement climatique.

M. Blanchard est d’ailleurs convaincu que même si Emmanuel Macron ne le dit pas franchement, c’est néanmoins ce qu’il fait. On ne peut que donner raison à l’économiste sur ce point, d’autant que si la Cour des comptes s’inquiète aujourd’hui, c’est précisément parce qu’elle redoute une dérive budgétaire.

Et de fait, même si Bruno Le Maire et Gérald Darmanin continuent à dire de temps en temps, comme par habitude, que « les comptes de la nation seront tenus », les mesures lancées en réponse aux Gilets jaunes et à l’issue du Grand débat repoussent aux calendes grecques toute velléité de rigueur budgétaire.

Si, en plus, des théoriciens distingués viennent expliquer que la dette et les déficits sont synonymes de croissance et d’emplois, pourquoi se priver ?

Eh bien, d’abord, parce que la France est déjà en l’état la championne du monde des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires. Avec 56 % du PIB pour les premières et 45 % pour les seconds (2018), non seulement personne (ou presque, suivant les années) ne fait mieux, mais la France est sur une lancée ininterrompue depuis 1974, date du dernier budget de l’État en excédent.

Sauf de 1981 à 1984, période ouvertement dépensière – programme commun de la gauche oblige ! – vous pouvez être certains que les comptes publics ont dérivé allègrement à l’insu du plein gré des dirigeants. En revanche, on ne voit pas en quoi ce laxisme a été favorable au pays : son taux de chômage est au double ou au triple de celui de ses voisins plus rigoureux et le niveau de l’éducation nationale est à la traîne.

Ensuite parce que rien ne dit que les taux resteront bas pendant encore 10 ans et que la croissance internationale continuera à entraîner la France dans son sillage. Les prévisions de croissance pour 2019 ont du reste été revues à la baisse et la France ne peut plus guère compter que sur 1,4 % au lieu des 1,7 % retenus initialement dans le PLF 2019. Pour la Cour des Comptes :

Compte tenu de ses niveaux élevés de dette et de déficit, la France disposerait de peu de marges de manœuvre pour faire face à un ralentissement conjoncturel ou un choc financier.

Inquiétude qui déclenche l’hilarité un brin méprisante de M. Blanchard. Car lui aussi parle bien évidemment « d’investissements » qui vont se montrer rentables à long terme. D’où son idée de dépoussiérer les comptes publics dont l’Union européenne et la Cour des comptes sont les gardiens vigilants mais complètement « rétrogrades ». Les dépenses courantes d’un côté et les dépenses en capital de l’autre et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes keynésiens possibles !

Certes. Mais outre le fait qu’il est parfois difficile de distinguer entre les deux types de dépenses – et M. Blanchard lui-même ne s’interdit pas une confusion opportuniste lorsqu’il se dit peu inquiet de dépenses accrues de 1 ou 2 % du PIB si c’est pour satisfaire les revendications des Gilets jaunes – se pose aussi la question de la qualité de l’État comme investisseur avisé.

C’est faire montre d’une amnésie incroyablement prétentieuse que d’oublier combien l’État français a l’art de transformer ses (forcément) beaux et indispensables projets en débâcles financières retentissantes qui se chiffrent parfois en petits millions et le plus souvent en milliards. La SNCF, mais aussi Orano (ex-Areva), Notre-Dame-des-Landes ou le projet d’infrastructures de transport Grand Paris Express sont là pour témoigner des incuries récurrentes de l’État et/ou de la folie des grandeurs des élus, sans compter tous les plans calculs et autres minitels qui furent rapidement ridiculisés par des initiatives privées autrement plus pertinentes.

C’est le moment de se rappeler ce que Jacques Rueff disait des théories de Keynes, qu’il surnommait d’ailleurs le « magicien » de Cambridge, dans son article article « La fin de l’ère keynésienne » :

En donnant indûment aux gouvernements le sentiment que, par l’investissement, ils avaient le moyen de procurer l’expansion désirée et de bannir le chômage honni, la doctrine du plein-emploi (de Keynes) a ouvert toutes grandes les vannes de l’inflation et du chômage.

Premier problème, si j’ose dire, celui de la faillite économique. Qui se double immédiatement et obligatoirement d’un second problème, celui de l’extension du pouvoir et du domaine de l’État, ainsi que je le soulignais plus haut.

Comme l’écrivait déjà Rueff :

La vérité, c’est que tous les régimes d’économie dirigée impliquent l’existence d’un organisme susceptible de prendre des décisions arbitraires, autrement dit dictatoriales. La dictature est ainsi une condition et une conséquence de l’économie planifiée.

Or qu’est ce qu’une économie où l’État se veut stratège et se donne sciemment le rôle de l’investisseur privilégié, si ce n’est une économie de plus en plus dirigée ?

Stephanie Kelton se revendique à l’extrême gauche du paysage économique américain et Olivier Blanchard se dit volontiers néo-keynésien. Leurs propositions ne sont donc ni très étonnantes ni franchement « nouvelles ». En revanche, l’engouement qu’elles suscitent a de quoi inquiéter. Plus grave encore, le gouvernement français a déjà pris les devants. Une fois de plus, ça promet.

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  • Avec une structure étatique et politique centralisée comme la France, la dérive vers les politiques conjoncturelles (macron-économiques ou de court-terme) sont inévitables. Nos présidents successifs agissent de plus en plus comme des sauveteurs « mindbuildé » mais comme rien ne les empêche de faire alors ils font.

  • le crédit , c’est l »esclavage
    la liberté n’intéresse plus personne

  • L’état, c’est le belge de Coluche : « tant que je gagne je joue »

  • Keynes prétendait que dépenser de l’argent publique créait de la croissance.
    Mais alors, si c’était vrai, pourquoi diable l’Etat français qui dépense plus qu’il ne prélève depuis presque 40 ans ne provoque-t-il pas une belle croissance?
    Parce que c’est évidemment le contraire qui est vrai. C’est la société civile qui produit la croissance et la richesse, et c’est l’Etat qui la dilapide.

    • On oublie souvent que Keynes raisonnait en économie fermée … les résultats d’une politique de laissé allé budgétaires y sont éventuellement profitables mais en eco ouverte c’est du non sens total … lâcher du pognon gratuit aux pauvres pour qu’ils achetent des chinoiseries ?

    • C’est exactement ce qu’il faut dire,…, et surtout FAIRE, mais c’est lassant de le répéter. Attendez de voir ce que la célébrissime ex ministre de l’économie, future ex DG du FMI et future banquier centrale BCE va nous resservir à partir d’octobre.

  • Economie anticyclique sur les conseils de Maynard Keynes:

    Grimper sur la montagne de dettes pour fuir l’abîme de la mauvaise conjoncture…

  • Quand certains prétendent qu’en s’endettant, cela rapporte des sous à l’état, il y a de quoi se poser des questions sur la santé de ces individus. Puisque le rendement des obligations d’état est souvent négatif, l’investisseur devant en fin de compte payer pour conserver son capital, il suffirait de multiplier les dettes pour se désendetter… Un coup de dette magique et hop, abricadabra, plus de dette… Vous allez piéger un enfant de 2 ans, mais à 10 ans, il va croire que vous vous payez sa tronche… Que nos ainés n’y avaient-ils pas pensé plus tôt ? La sagesse n’attendrait donc plus le nombre des années ?

    Effectivement, il n’est pas faut de dire que les dettes émises par Chavez sont effacées… par une inflation monstre. Mais dans quel état est ce pays !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

    C’est cela que vous voulez pour l’Europe ❓ Zélites, réfléchissez juste un minimum, un gamin de 10 ans va vous faire une grande concurrence…

  • Il faut bien voir les choses en face, peu importe ses résultats supposés, la MMT SERA mise en place, il ne peut en être autrement, sinon c’est le chaos:
    Au point ou nous en sommes, les mesures à prendre pour éviter un crise dantesque sont du même acabits que celles qu’on devrait prendre si la crise était survenue … –> lutter contre la faillite est aussi douloureux que la faillite.
    La MMT prolongera la fête tant bien que mal et comme il n’y a pas de repas gratuit il y aura des perdants …
    Bref autant se préparer à sa si on veut pas se faire rincer

  • Narcisse a augmenté la dette française de 43 milliards au premier trimestre 2019, sur un rythme annuel de croissance de la dette de 172 milliards. 43 milliards de dette supplémentaire en un trimestre, c’est plus d’argent que la totalité du gain de la croissance française réelle sur l’ensemble de l’année 2018. Un bel exploit, rarement égalé.

    Les générations futures qui devront rembourser la dette remercieront Macron du cadeau. Mais elles se consoleront en se disant que c’était pour financer les belles éoliennes parsemant le paysage français afin de produire la pénurie d’énergie dont elles profiteront également, surtout l’hiver, en plein refroidissement climatique.

    L’explosion de la dette française ne devrait pas trop gêner la BCE à l’avenir, désormais équipée de la très colombe Christine LAGARDE nommée à sa tête et du non moins accommodant Philip LANE comme nouveau chef économiste. Même s’il convient de leur laisser le bénéfice du doute (une bonne surprise n’est jamais impossible), le nouveau duo de choc devrait faire preuve de toute la complaisance nécessaire pour s’enthousiasmer des déficits français (et italiens, espagnols, grecs, portugais…) Les marchés ne s’y sont pas trompés en battant hier des records historiques à la hausse, savourant à l’avance la promesse d’argent frais sans limite pour les huit prochaines années (-0,1 sur le 10 ans français, -0,4 sur le 10 ans allemand).

    On note que la Fed comme la BCE ne sont plus dirigées par des économistes. Mais peu importe. Les rotatives ont le pouvoir de noyer les lois économiques dans un océan de liquidités. La connaissance approfondie de ces lois est donc superfétatoire. N’importe quel apprenti-sorcier peut assurer le job dans ces conditions. Tant que ça dure, tout va bien…

  • Et avec lA D2SIGNATION de Lagarde à la tête de la BCE, on est foutus : keneysienne, étatiste, servile, corrompue et incapable d’initiative.

  • Mais si Macron a fait mettre en place Christine Lagarde à,la BCE c’est bien pour pratiquer cette politique monétaire là. Le Chef de l’État Français n’en a rien à foutre de l’endettement de notre Pays. et de la surcharge de fonctionnaires.

  • ne nous cassons pas la tete a chercher de bonnes solutions dans ce cadre actuel car il n’y en a pas …nous ne sommes pas dans le keynesianisme mais le capitalisme de Monopoly , totalement déconnecté de l’économie réelle , tangible de la creation des biens matériels source de vrai valeurs . nous ne sommes pas non plus dans une économie dirigiste car une source de nos maux est le total « laisser faire  » ‘économico -financier par les libéraux/ultra libéraux/pro-capitalistes/mondialistes de tous poils…. c’est bien dans la lutte d’intérêts contradictoire entre les aspirations populaires et les intérêts des capitalistes qu’ il faut rechercher le malaise …. c’est bien parce que les libéraux/pro capitalistes ne le voient pas ou ne veulent accepter de le voir qu’ils prechent dans le désert et laissent penser que nos politiciens de droite de LR-LES RIPOUXBLICAINS a LREM-MACRON ET DU PS (parti-dit-socialiste) ne seraient que des incapables , mais c’est pire :ils SONT COMPLICES DU SYSTEME ….le seul reproches qu’ils peuvent leurs faire c’est de ne plus pouvoir continuer de faire illusion , comme depuis 40 ans , aupres de l’électorat,qui en desespoir de cause se tourne de plus en plus vers des solutions neuves : nationalisme , autoritarisme , poussée du RN ,ect…., jusqu’à l’absorption de LR-RIPOUBLICAINS DANS LE « RN-RASSEMBLEMENT NATIONAL » ????

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