Par Alain Cohen-Dumouchel.
La notion de propriété est centrale dans la philosophie libérale. La propriété conçue comme un droit de l’homme reconnu par le pouvoir est le pilier de la doctrine libérale classique. Cette notion subtile basée sur un équilibre entre le droit naturel et le droit positif s’oppose à la conception de la propriété qui a prévalu de façon immémoriale et qui a été reprise par les différentes formes de socialismes : la propriété équitable.
La propriété basée sur l’équité
Dans ce modèle la propriété est distribuée par le pouvoir en fonction de ce qui est jugé équitable.
Ce modèle très stable est celui de la société antique, du féodalisme, de l’absolutisme et, comme nous le verrons, il a été repris par le socialisme et le communisme.
Dans cette conception de la société, l’impôt n’est jamais du vol puisque la propriété est toujours un privilège qui est accordé par le pouvoir. La propriété apparaît, ne se constitue qu’après l’impôt et sous une forme révocable à tout moment. La propriété est toujours publique, accordée sous conditions par les puissants aux plus faibles, après que les premiers eurent prélevé leur part sur la création de richesse.
La propriété, simple concession du pouvoir
L’équité qui présidait à la conservation et à l’attribution de la propriété a eu plusieurs significations au fil des âges. On pouvait acquérir la propriété par le travail, par la naissance, par des faits d’armes, par la valeur (jugée par le pouvoir), par la bonté ou le caractère pieux de ses actes, par les services rendus à la communauté ou au pouvoir ; on la conservait ou on la perdait pour les mêmes raisons. Une propriété n’était jamais acquise définitivement ni totalement et le pouvoir n’était pas privé de la possibilité de la remettre en question.
Ainsi si le droit romain établit bien des règles d’échange et de transmission de la propriété, ce que les juristes romains nommeront le droit « commutatif », il n’en reste pas moins que la propriété initiale n’est pas une création ou un droit de l’individu, mais une concession du pouvoir. Même si elle résulte d’échanges successifs, toute propriété peut être révoquée par l’administration.
À l’époque moderne, le socialisme et le communisme ont rétabli les formes antiques de la propriété en changeant uniquement les règles de son attribution. Il ne s’agit plus ici de distribuer la propriété suivant la naissance ou la caste mais suivant un principe « d’égalité réelle » ou de « besoin ». Celui qui a moins que les autres devient donc « méritant », il acquiert un droit à posséder davantage.
La propriété collective, le communisme
Les communistes ne supportent aucune forme de propriété personnelle. L’État est l’unique détenteur de la propriété et en distribue l’usufruit à ceux que les hommes de l’État jugent méritants. Le mérite repose ici sur le travail, la fameuse valeur travail qui continue à inspirer nos hommes politiques contemporains, et sur le besoin : « à chacun selon son besoin » car il est immoral que quelqu’un soit dans le besoin.
Même la commutativité de la propriété pratiquée par les Romains disparaît. Les échanges sont paralysés, figés ; de ce fait les ressources ne sont plus allouées à ceux qui en tirent le meilleur parti. Personne n’est incité à diminuer le travail nécessaire pour accomplir une tâche puisque celui-ci est une valeur qui augmente le mérite de celui qui le fournit.
La propriété citoyenne, le modèle socialiste
Les socialistes, eux, tolèrent la propriété individuelle dans certaines limites, variables selon le pouvoir en place. Pour des raisons utilitaristes les socialistes modernes acceptent la propriété des moyens de production, ayant compris qu’elle est une condition nécessaire à la création de richesses. Mais malgré la cohabitation qui existe à notre époque entre le socialisme et l’économie de marché, il est clair que les hommes du pouvoir socialiste considèrent que toute propriété peut être révoquée si elle devient inéquitable à leurs yeux.
Ainsi lorsque les socialistes voient un gouvernement baisser les impôts des riches, ils considèrent que le pouvoir leur « fait un cadeau » c’est-à-dire qu’il leur donne de l’argent. Dans la logique socialiste c’est tout à fait normal, puisque la propriété n’est acquise que sous condition morale et que celle-ci est soumise à leur appréciation.
Acquérir trop de richesses par l’échange volontaire étant immoral pour les socialistes, la propriété des riches ne leur appartient pas. Donc toute entrave à la saisie de cet excédent de propriété est bien un cadeau fait aux riches. On parle souvent de redistribution pour décrire les limites imposées à la propriété par les lois d’inspiration socialiste.
Mais dans la logique socialiste il faudrait plutôt parler de distribution car ces sommes n’appartiennent pas aux riches. Elles sortent du champ de la propriété-droit-de-l’homme pour entrer dans la sphère citoyenne, permettant ainsi aux riches d’échapper à l’immoralité. Dans le modèle socialiste, les droits du citoyen sont donc clairement prééminents sur les droits de l’Homme.
Du féodalisme au socialisme, la propriété reste équitable
Ainsi, entre la propriété féodale, tant décriée et caricaturée, et la propriété socialiste, il n’y a qu’un changement des méthodes qui déterminent ce qui est, ou pas, équitable. On est passé d’un droit coutumier rigide, garanti par le seigneur et par l’Église, à un droit pléthorique et variable, établi par des instances représentatives, qui distribue des avantages en nature à l’électorat constitué des plus pauvres.
Dans les deux cas, féodalisme ou socialisme, la propriété fait l’objet de privilèges (privata lex) c’est-à-dire de lois qui visent à favoriser un groupe par rapport à un autre. Dans les deux cas, la structure d’attribution de la propriété demeure globalement un attribut du pouvoir, même s’il est devenu démocratique avec l’avènement des sociales-démocraties.
Les socialistes se défendent d’un telle analogie en clamant haut et fort que les sociales-démocraties n’ont rien à voir avec la féodalité ou l’ancien régime puisque les décisions et les normes morales naissent maintenant de la pratique démocratique.
Effectivement, la structure qui régit l’établissement de la norme morale a bien changé, pourtant l’attribution de la propriété reste soumise à cette morale et, comme c’était le cas avant la révolution libérale, elle s’oppose à la propriété-droit-de-l’Homme.
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le problème n’est pas la proprieté mais quand il y a la nécecité de « louer » la force de travail des non-propriétaires pour valoriser cette propriété……
Pourquoi est ce un problème? Pourquoi est ce une nécessité?
« gauche libérale » (je dis » gauche pro-capitaliste » c’est le PS ça ….
« gauche pro-capitaliste » c’est le PS ça …. »
Si vous voyez une logique dans un parti où étaient Filoche et DSK…
« entre la propriété féodale, tant décriée et caricaturée, et la propriété socialiste, il n’y a qu’un changement des méthodes »
Merci pour cet article ! Merci beaucoup.
Bien qu’étant d’accord sur le fond et le principe, je ne peux m’empêcher à cette phrase de Nietzsche :
» La possession nous possède.
Ce n’est que dans une certaine mesure que la propriété rend l’homme plus indépendant, plus libre;
un pas de plus – et la propriété devient maître, le propriétaire esclave. »
( Menschliches, Allzumenschliches. Ein Buch für freie Geister, 1880. )
de penser à cette phrase
Je trouve que cet article est un fourre tout pas très rigoureux. Les conceptutilisés sont mal définis, les conceptions historiques sont hyper discutables. Bref, je suis assez dubitatif.