Big Data et éthique : le cas de la datasphère médicale

Un usage mal intentionné ou accidentel des technologies de Big Data peut transformer un algorithme en un outil à discriminer, silencieux et systémique.

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Big Data et éthique : le cas de la datasphère médicale

Publié le 17 avril 2019
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Par Farid Gueham.
Un article de Trop Libre

« Face au développement exponentiel des Big Data et de ses répercussions tant juridiques qu’économiques, un flou ambiant s’est installé autour de l’exploitation des informations numériques. En perpétuel équilibre entre confidentialité et transparence, ces données vont jusqu’à remettre en question certains paradigmes, comme celui de la médecine d’Hippocrate telle que nous la connaissions ».

Économiste, chercheur et expert en éthique du numérique en santé pour la société KeosysBruno Salgues s’interroge sur la valeur éthique d’une data santé dont le volume ne cesse de croître et propose des recommandations afin de mieux contrôler ces données. Une approche empirique et éthico-technique, posant les fondements, éléments d’un cadre moral orienté par la responsabilité des citoyens, concernés en priorité par l’usage de leurs données de santé à caractère personnel.

Vers une médecine connectée, mesurée et personnalisée sur le traitement de la datasphère médicale

« Le monde d’aujourd’hui correspond à un univers où l’information numérique est omniprésente, couvrant ainsi des perspectives sur la réalité que nous n’avons jamais eues auparavant. On assiste désormais à l’émergence de processus de datafication qui consiste à tout numériser et à mesurer afin d’en ressortir des données que ce soit pour des écrits, des localisations, des actes individuels, voire des empreintes ».

Le Big Data apparaît ainsi comme le moyen d’optimiser le diagnostic médical comme la dispensation de soins : un nouveau monde organisé autour de la donnée numérique, où la médecine d’Hippocrate laisse la place à l’« e-ppocr@te », comme l’évoquait Jérôme Béranger dans son ouvrage Les systèmes d’information en santé et l’éthique.

Ce volume inédit d’informations crée de nouveaux savoirs, modifiant le paradigme d’une donnée de santé dont la valeur réside dans le partage et la mutualisation. « Les usages les mieux connus en santé relèvent de la personnalisation de la relation médecin-patient ». Autrefois les données étaient vues comme des sous-produits des activités de gestion dans l’entreprise. Elles sont aujourd’hui reconnues comme un levier d’innovation, susceptible d’engendrer à la fois de nouveaux modèles économiques, mais aussi des gains de productivité substantiels.

Valorisation éthique de la datasphère médicale

« Au commencement de l’ère numérique, la valeur de l’informatique s’exprimait dans la création d’outils destinés à manipuler les données, puis dans l’élaboration des processus manipulant ces outils. Aujourd’hui, nous nous rendons compte que la valeur se trouve en partie dans la donnée elle-même ». 

Chaque personne génère un impact et une influence directe sur la valeur de sa data, sur le marché de la e-santé (en interdisant l’accès et en faisant monter la cote de cette dernière par exemple). La valorisation de la donnée découle in fine du profil dont elle provient, de sa pertinence, et en définitive de la personne elle-même.

La data étant périssable, sa monétisation est en constante dévalorisation du fait que l’instant t constitue une composante non négligeable de sa valeur. Une valeur qui dépend de l’usage final de la donnée mais aussi de la confrontation de cette valeur à une multitude d’autres.

Gestion et gouvernance des données personnelles de santé

« La gouvernance des données représente une des clés de la réussite pour la protection de l’information. Elle est une des composantes qui fixe les règles, les guides et chartes de bonnes pratiques, établit des référentiels et une politique de gestion, de classification et décrit les responsabilités et la maîtrise de leur application ». 

Pour Bruno Salgues, il est essentiel de comprendre comment traiter ces gisements de données pour en faire des informations plus cohérentes et pertinentes. Et pour cela, une vision détaillée et précise de la gouvernance algorithmique de l’écosystème de santé numérique s’impose, en articulation avec les impératifs de sécurité et de protection des données.

Car un usage mal intentionné ou accidentel des technologies de Big Data peut transformer un algorithme en un outil à discriminer, silencieux et systémique. « C’est pourquoi les données et les algorithmes doivent être la cible de règles de gouvernance réfléchies et bien définies » précise l’auteur.

Ces règles obéissent à des principes tels qu’une politique de management autour de la donnée fondée sur un nombre restreint et connu de principes, l’application de méthode de gouvernance aux données prioritaires pour le métier, la mise en place de « responsables de protection de l’information », mais aussi la rédaction de procédures internes et de guides de bonnes pratiques sur la protection et la sécurité de l’information en santé.

Le Big Data : plus qu’une simple question de volume et d’échelle

« Les NTIC qui permettent d’exploiter les Big Data, notamment dans le secteur de la santé, procèdent à un changement radical du paradigme médical dans la relation médecin-patient, via le traitement des données de santé à caractère personnel ». Parallèlement, les patients demandent de façon légitime davantage de précisions sur la façon dont ils sont soignés et sur l’utilisation de leurs données personnelles.

En réponse, les professionnels de soins, eux-mêmes producteurs et fournisseurs d’informations, adaptent naturellement leur manière de travailler en prenant en compte ces nouveaux éléments. La performance numérique concerne aussi bien le volume des données que la diversité des sources et la recherche d’une réponse en temps réel.

Toutefois, dans ce déluge de données, certaines préoccupations éthiques émergent, appelant une vigilance accrue quant à la protection de la data santé, qui ne pourra être envisagée que dans le respect de certaines conditions : « désormais, chaque individu doit réfléchir, faire un tri et restituer chaque donnée dans une échelle de valeur rationnelle, dans l’objectif de pouvoir assumer ses choix et ses décisions sur son usage notamment en santé », conclut Bruno Salgues.

Pour aller plus loin :

–       « Les systèmes d’information en santé et l’éthique »iste-editions.fr

–       « Le Big Data, l’IA et le Machine Learning transforment les soins de santé », lebigdata.fr

–       « Les Big Data au service de la santé : quoi de neuf docteur ? »pwc.fr

–       « Avis de l’atelier citoyen Big data en santé : faut-il rendre accessibles les données de santé ? À qui ? Pour quoi faire ? À quelles conditions ? », solidarites-sante.gouv.fr

Sur le web

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  • Il y a autre chose que les préoccupations éthiques de confidentialité, c’est notre tropisme pour ces nouvelles technologies qui devient un progressisme technocentré.
    Quand les appareils permettant de faire des diagnostics (scanners etc…) se sont généralisés, on a pu constater en parallèle que les médecins examinaient moins leurs patients, ce qui ôtait de la démarche de diagnostic tout un champ de savoir. Je me rappelle d’un radiologue qui a détecté des cances du sein à la palpation après mammographie et échographie négatives. Ou cette infirmière aux urgences qui déplorait qu’on aille trop vite sur de multiples examens dont certains auraient été rendus inutiles par un examen sérieux du patient.
    Il ne s’agit pas de dire que c’était mieux avant, mais d’associer au mieux, ce qu’il convient de garder du passé en y associant les progrès techniques.
    La même question se pose à mon avis pour le big data.

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