Couvre-feu chez Monoprix, plus de courses à minuit

Derrière les « contraintes d’organisation insurmontables » dénoncées par les syndicats, se cache un imbroglio juridique et corporatiste dont la France a le secret.

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Monoprix By: 2. - CC BY 2.0

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Couvre-feu chez Monoprix, plus de courses à minuit

Publié le 14 septembre 2018
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Par Olivier Maurice.

De nombreuses personnes, y compris de nombreux libéraux, se sont réjouies de la loi Macron et plus particulièrement de la possibilité donnée aux commerces situés en zones touristiques internationales (ZTI) d’ouvrir jusqu’à minuit ainsi que les dimanches et jours fériés.

C’est à cette loi, dont le premier chapitre s’intitule « Libérer l’activité », qu’Emmanuel Macron doit sans doute d’être considéré par la rumeur publique comme un prophète libéral. Ce qui n’a sans doute pas été vain dans son élection, lui qui fut poussé par ceux voyant en lui l’espoir d’un monde nouveau, plus moderne, plus libre et plus prospère.

Libéralisme de façade

Il y eut bien quelques voix discordantes à l’époque pour faire remarquer que la prétendue libéralisation promise par la loi Macron et qui permettrait entre autres aux entreprises d’ouvrir le dimanche et jusqu’à minuit, n’avait absolument rien d’une victoire gagnée sur l’hégémonie de l’État. Il s’agissait d’une pirouette permettant d’augmenter les salaires et donc d’alourdir encore le coût du travail. La volonté de montrer une France moderne et ouverte aux attentes des visiteurs étrangers n’était qu’une fanfaronnade cachant comme d’habitude un maquis de réglementations procédurières et pointilleuses.

Ces voix ont été vite classées dans la catégorie des râleurs impénitents, des libéraux fanatiques, des ayatollahs libertariens et autres surexcités arborant un crotale tatoué sur le front.

Mais c’était sans compter sur l’expérience acquise par les syndicats dans l’art de la guérilla juridique et antisociale et qui allait remettre tout le monde d’accord : la loi Macron ne servirait en fait à rien.

En effet, la cour d’Appel de Paris vient tout simplement de jeter aux orties cette facette « libérale » de la loi et décréter que les entreprises (en l’occurrence Monoprix) devront désormais fermer à 21h et non plus à 23 h 30, et ce bien qu’elles soient situées en ZTI.

Exit donc la timide ouverture au monde de la capitale qui va retourner dans son train-train bien ordonné du repos dominical et du couvre-feu à l’heure où les enfants doivent aller au lit. Les touristes étrangers visitant la capitale s’adapteront, de toute façon ils n’auront pas le choix.

Exit la toute petite fenêtre de liberté qui permettait d’ouvrir le soir jusqu’à 24 heures dans les minuscules zones estampillées touristiques et internationales. Liberté qui, ceci dit en passant, n’en a jamais été vraiment une, sachant qu’il s’agit en l’espèce d’un privilège accordé en contrepartie des fameuses avancées sociales, dont la hausse des salaires et des cotisations, entre autres procédures et tracasseries supplémentaires.

Le collectif de syndicats révoltés à l’origine de la lutte pérore donc fièrement sa victoire depuis une semaine, mettant en avant sa moralité et son altruisme qui lui ont permis de remporter la lutte contre « un travail qui augmente grandement les risques de cancer et qui pose aux salarié.e.s des contraintes d’organisation insurmontables ».

La manipulation de la peur

En janvier de cette année est paru un rapport de l’AACR (la plus vieille association américaine de recherche contre le cancer) indiquant que le travail de nuit augmente le risque de cancer chez la femme.

Au risque de casser un peu le catastrophisme de la presse française toujours surexcitée par la découverte d’un scoop annonçant l’imminence potentielle de l’apocalypse (et en m’excusant de devoir faire un peu de comptabilité morbide mais factuelle), l’étude indique (en utilisant les chiffres français) que la probabilité de développer un cancer du sein pour une femme passe de 14,5 % à 15 % dans le cas d’un travail de nuit par quarts (rotations alternées) effectué sans discontinuer pendant 5 ans.

Je ne vais pas tenter de faire un quelconque rapprochement pour comparer l’impact possible des 2 h 30 de travail jugées illégales avec celui quantifié dans l’étude d’une rotation permanente par équipes. Mais déclarer que le travail de soirée (de 21 h à 23 h 30) fait « grandement augmenter les risques de cancers », en extrapolant les effets sur l’organisme de deux heures de travail en soirée, en le comparant avec les effets dus à la rotation permanente de huit heures de nuit, huit heures de matin et de huit heures de jour… semble quelque peu « disproportionné », pour utiliser un doux euphémisme.

Surtout que l’étude spécifie que c’est l’irrégularité des cycles de sommeil qui est la source de l’augmentation des risques et pas le travail lui-même. Je me demande quand on va également accuser les bars de nuit et les programmes nocturnes de la télévision de « grandement augmenter les risques de cancers ».

L’infantilisation syndicale

Derrière les « contraintes d’organisation insurmontables » également dénoncées par les syndicats, se cache en fait un imbroglio juridique et corporatiste dont la France a le secret, mais qui permet enfin de comprendre le fin mot de l’histoire.

La loi Macron (plus précisément l’article 246) énonce qu’afin de bénéficier de la dérogation sur le travail dominical et la fermeture tardive, une société doit être « couverte par un accord collectif » qui définit les « contreparties, en particulier salariales […] et les mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés ».

Dans un pays où personne n’est jamais individuellement responsable de rien, mais collectivement responsable de tout, il fallait bien se douter qu’un jour ou l’autre, l’attention bienveillante de l’État se verrait transférée à l’entreprise. Celle-ci devient donc responsable de l’organisation de la garde des enfants le week-end, des modalités de transports et de la sécurité des employés travaillant le soir. L’État trouve par la même occasion un moyen de pallier ses piètres performances en termes de garde d’enfant, de transport et de sécurité : compte tenu qu’il n’y a clairement pas lacune de crèches, de bus et de policiers le soir et le dimanche (lacune de services, mais pas de promesses, ni d’impôts afférents) ce sera donc à l’entreprise paternelle de faire ce que l’État maternel n’arrive pas à faire.

Or, l’accord collectif le 9 décembre 2016 avait été signé par la CFDT et la CFE-CGC mais pas par FO ni par la CGT. Ces dernières, bien décidées depuis à reprendre les choses en main, ont donc accumulé les preuves que l’accord ne permettait pas de « faciliter l’articulation entre l’activité professionnelle nocturne et les responsabilités familiales », en clair que Monoprix ne faisait pas « assez d’efforts » et l’ont donc contesté. C’est donc en toute légalité que ces deux syndicats ont réclamé et obtenu l’interdiction de l’ouverture tardive.

Sur ce point, à l’exception du reste, la loi est très claire : pas d’accord collectif, pas d’ouverture.

Loi Macron, piège à…

Il y a donc de fortes chances pour que la Cour de cassation confirme le jugement de la cour d’appel, Monoprix ayant malgré tout décidé de pousser la procédure jusqu’à cet ultime recours. Inutile de voir dans le revirement de la cour d’appel un quelconque complot de la part de la justice : celle-ci ne fait qu’essayer de naviguer dans les eaux troubles d’une loi fleuve qui dit tout et son contraire.

N’en déplaise à ceux qui continuent à trouver une once de libéralisme dans la loi Macron, celle-ci prévoit bien que la responsabilité individuelle et la liberté du salarié soient assujetties à la gouvernance des partenaires sociaux, organismes ne se signalant pas vraiment par un libéralisme forcené, mais plutôt par leur dogmatisme et une claire absence de représentativité et de légitimité (en particulier dans les entreprises qui auraient pu tirer bénéfice de la loi : le taux de syndicalisation dans les commerces étant de 5,5 %, chutant à 4,1 % dans l’hôtellerie et la restauration).

La loi Macron et ses 308 articles n’aura été que le précurseur de l’inondation de textes législatifs que le gouvernement et sa majorité s’efforcent depuis plus d’un an à rendre aussi complexes et nombreux qu’inefficaces et parfaitement inutiles, comme le démontre sans équivoque l’absence d’impact sur les principaux indicateurs économiques.

En soi, la méthode Macron ne se différencie pas de celle de ses prédécesseurs : faire une synthèse des divers corporatismes et la faire passer pour une « réforme » en la travestissant sous une bonne dose de dirigisme et de volontarisme grandiloquent.

 

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  • le travail de nuit ne peut être contraint..
    il faut donc comparer non le cancer du sein mais la santé générale d’un chômeur et d’un travailleur de nuit .
    je suis m^me certain que sur de tels arguments de santé la majeure partie des usines mines, ateliers etc devraient être fermés et le travail posté interdit..

    terrible constat, toute chose par ailleurs ( revenus), c’est meilleur pour la santé de ne pas avoir un travail pénible..sans blague… pas faux sauf que sans travail pas de revenus…

    rions un peu les juges pourraient aussi regarder la différence de santé entre une personne qui conserve tout son salaire et une personne qui doit payer pour les autres, en gros si la redistribution subie altère la santé… et conclure qu’on doit « interdire » de prendre l’argent d’un salarié pour le donner à un autre.. mais aussi interdire le chômage..
    regarder la santé d’un petit patron etc etc..
    absurdie…

    en sommet il y a un sous entendu…les employés seraient contraints de travailler de nuit.. c’est nécessaire de le penser pour en arriver à interdire…
    ces juges cautionnent donc une proposition idéologique qui est que les travailleurs sont contraints..m^me sans l’être..exploités ..
    ou les juges sont idiots et ne voient pas l’implication d’une telle justification d’interdiction.

    • Les juges respectent l’écrit de la loi, ils ne cautionnent rien du tout. Tout en sachant que s’ils ne le font pas et que l’affaire va en Cassation, la Cour de Cassation se contentera de vérifier la conformité du jugement avec ce qui a été écrit dans la loi. Ni plus, ni moins.

      • « Les juges respectent l’écrit de la loi, ils ne cautionnent rien du tout. »
        Première nouvelle. Il n’y a qu’à lire la majeure partie des attendus judiciaires pour constater, en dehors de toute autre analyse, qu’ils sont nourris au bréviaire de la lutte des classes.

      • Vous poussez un peu. Le role de la Cour de Cass. est plus important et on ne compte plus les arrêts rendus contra legem. Le drit est un art subtil, pas un règlement de salle de foot.

  • Monoprix, bye bye night

  • La loi exige d’être volontaire, tandis que l’employeur vous demande d’être volontaire obligatoire. Et de plus ce qui a fait tout capoter est le problème du retour en transport de ces pro-volontaires forcés, transport tardif à la charge de l’employeur.

    • non … simplement non.

      ce n’est pas employeur qui vous force, c’est surtout la peur de ne pas retrouver de boulot..et ce n’est pas pareil.

  • « Accord collectif » obligatoire signé par les représentants de moins de 10 % des salariés . C’est cela la loi travail d’ en marche .
    Pourquoi le pays s’endette ( + 2000 milliards ) pour entretenir la fonction publique qui pond ces inepties et verser par millards des aides sociales puisque le travail est interdit

  • La premiere question a se poser est quand meme qui va faire ses courses a minuit ? est ce bien rentable d ouvrir un magasin de 22h a 0h ?
    Les clients qui viennent a 23 h ne seraient ils pas venu a 21 sinon ?

    On risque d avoir une spirale ou les magasins vont ouvrir 24h/24 mais ne feront pas de chiffre d affaire supplementaire (ce sera simplement achete a un autre moment). Par contre leurs couts seront en hausse (plus de personnel, plus de frais (eclairage, chauffage ….) donc au final des prix a la hausse

    • vous avez raison, des entreprises comme Monoprix ou autres qui donnent une prime à leurs salariés volontaires se contente d’ouvrir leur magasin pour le plaisir de voir des magasins ouverts à ce moment là – c’est vrai, c’est joli, ces petites lumières. Dans tous les cas, ce n’est certainement pas pour répondre à une demande de quelconques clients.

      Bon, blague à part… expliquez à un chinois ou à un américain en visite que tout est fermé en France à 21h parce-que c’est la loi… il commencera par se demander si vous blaguez. Et quand il réalisera que ce n’est pas le cas, il va bien rigoler.

      • Complément : dans mon jeune temps il m’arrivait d’aller faire mes courses à 22h. J’avais un Monoprix pas très loin de chez moi, et c’était bien pratique pour acheter quelques biens de première nécessité après le boulot et mes activités du soir.

        • Idem. Quand on a des horaires décalés, c’est d’ailleurs bien moins mauvais pour la santé de faire partie d’une communauté qui peut s’organiser pour en atténuer les inconvénients. Entre client de 22 heures et caissier de 22 heures, il naît même une certaine complicité…

        • a votre avis, c est rentable pour un magasin d ouvrir car quelques clients vont acheter 1 l de lait ou un paquet de biscuit ?

      • Un Allemand par contre s’étonnera que nos commerces soient ouverts si tard…

        • Et oui! Comme quoi l’Allemagne n’est pas ce pays dévasté par le grand capital carnassier et le turbo libéralisme écraseur de chaton et de travailleurs pauvres qu’on veut bien nous faire croire dans les journaux conscientisés…

    • La 1ère question à vous poser c’est : oblige-t-on ces commerces à ouvrir aussi tard ? Si ce n’est pas le cas, qu’est-ce qui les pousse à le faire ? Ils y trouvent leur compte, sinon ils n’ouvriraient pas.

      Dans mon village, on a UN commerce qui ouvre le dimanche matin. Le gérant m’a dit que s’il n’y avait que lui, il n’ouvrirait son magasin que le samedi et le dimanche matin, les autres jours n’étant pas rentables. Allez expliquer ça à des gauchistes.

      • si il n’y avait que lui …en effet…

      • @p’tit suisse. vous avez la reponse partielle a ma question. Des commerces ouvrent meme si c est pas rentable. Dans votre cas, il ouvre les autre jour juste par peur que ses clients prennent l habitude d aller ailleurs et donc le fasse aussi le samedi et dimanche

    • euh ça regarde les dirigeants de monoprix ça… combien doit être tordu le cerveau d’un législateur pour légiférer pour que vous agissiez dans votre interet…car c’est donc dans l’intérêt de monoprix..
      en fait monoprix s’en fout si ses concurrents sont soumis aux m^me contraintes…

    • Avez-vous lu l’article ❓ Qu’est une ZTI ❓ Trouve-t-on une ZTI é Trifouilli les oies ❓

  • Belle action syndicale comme on en a l’habitude.
    Avec toujours les mêmes conséquences: des pertes d’emploi et des revenus en moins pour une partie des salariés. Bien fait pour eux! Quelle idée de vouloir gagner plus que les autres.

  • La principale raison de cette guérilla syndicale, est que in fine, c’est le syndicat qui obtient un dédommagement et non les salariés, même si eux, sont intéressés pour travailler sur ces horaires.
    On arrive à une situation ubuesque où la loi permet un syndicat à attaquer un employeur et obtenir un « dédommagement » alors que ce syndicat n’a rien à voir dans l’affaire !
    https://www.lsa-conso.fr/monoprix-devra-payer-500-000-euros-d-amende-a-la-cgt,176857

  • La cinquième république porte en elle viscéralement les gènes du communisme et Macron comme ses prédécesseurs se plie à l’immonde système collectiviste dont les prébendiers, fonctionnaires et journalistes de gauche sont les gardiens…

  • Macreux, un libéral? Lors du débat face à MLP, il a été humilié et démoli. Il a été obligé de fuir et a causé la destruction totale de ce qui resterait de crédibilité de tous les journaux même ceux vaguement pro business comme BFM Business et de Contrepoint qui l’ont défendu.

    Micron n’a jamais rien défendu de libéral face à MLP et ne l’a pas attaqué sur son manque de libéralisme.

    MLP était une adversaire facile pourtant.

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