Un OTAN du Moyen-Orient : une équation difficile, des intérêts multiples

Beaucoup de tensions et de conflits déclarés ou larvés entre potentiels alliés risquent de rendre complexe la conclusion d’une « Middle East Strategic Alliance » (MESA), équivalent de l’OTAN pour le Proche Orient. Décryptage.

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Un OTAN du Moyen-Orient : une équation difficile, des intérêts multiples

Publié le 24 août 2018
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Par Sophie Cho.

Le très sérieux Wall Street journal révélait dans son édition du 15 février 2017 que les États-Unis exploraient l’idée d’une coalition militaire entre plusieurs pays arabes et Israël. À l’époque, la nouvelle avait fait réagir quelques spécialistes du sujet sans provoquer de grandes réactions politiques. Voilà cependant que depuis juillet 2018, le projet d’une OTAN arabe resurgit et sa possible concrétisation à l’automne fait transparaître le regain d’opposition entre les États-Unis et l’Iran.

Le MESA – Middle East Strategic Alliance

Cette idée d’alliance politique, initialement formulée par le prince saoudien Mohammed Ben Salmane (MBS) en 2015, vise à créer une entité militaire unique pour l’ensemble des États musulmans sunnites. Reuters indique notamment l’organisation d’un sommet les 12 et 13 octobre prochain. Pourquoi et comment expliquer la création de cette alliance ?

Un Moyen-Orient complexe et fait de rivalités

La rivalité historique entre le chiisme et le sunnisme au Moyen-Orient a été le terreau et le catalyseur de plusieurs conflits visant à l’extension de deux pouvoirs politiques religieux rivaux : l’Iran chiite d’un côté et l’Arabie Saoudite sunnite de l’autre.

L’éclatement d’un djihadisme conquérant en Irak et en Syrie a changé la donne. Même si Riyad avait d’abord semblé conciliante avec les agissements de Daech, notamment en Syrie, régime appuyé par Téhéran, un tournant net a été pris avec la constitution en décembre 2015 d’une coalition de 34 pays musulmans contre l’État islamique, le royaume saoudien ne supportant plus la contestation de sa position de gardien du salafisme par le groupe armé. L’annonce fin mars 2018 par le président Trump du désengagement américain dans la lutte contre Daech pourrait d’ailleurs justifier le recours à une alliance militaire dans la région.

Les liens étroits entre l’Iran et la Syrie, avec, entre autres, le soutien militaire du régime des Ayatollah à Damas, constituent le second axe porteur de tensions dans la région. Le hezbollah, appuyé par l’Iran et essentiellement basé au Liban et en Syrie, véritable bras armé de Téhéran au Proche Orient, est l’ennemi historique d’Israël dont l’Iran ne reconnaît toujours pas l’existence officielle.

Des intérêts régionaux et internationaux

Au même moment, les échanges entre les États-Unis et l’Iran se sont durcis avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump et son annonce du retrait de la première puissance mondiale de l’accord sur le nucléaire iranien. Washington est donc à la manœuvre sur ce projet d’alliance qui concerne six pays à majorité sunnite : l’Arabie Saoudite, le Bahreïn, le Qatar, le Koweït, le sultanat d’Oman et les Émirats arabes unis, ainsi que la Jordanie et l’Égypte, faisant figure de véritable coalition contre l’Iran.

Le rôle clé de l’Arabie Saoudite

À l’occasion du sommet de la ligue arabe de mars 2017 en Jordanie, l’Arabie Saoudite avait déjà cherché à porter une parole arabe commune contre l’Iran en appelant à une réponse coordonnée de ses membres contre les actions déstabilisatrices de Téhéran dans la région. La tentative avait échoué et la déclaration finale ne faisait pas apparaître de consensus sur ce point.

Dans une interview à The Atlantic, le prince héritier Mohammed Ben Salmane déclare à propos de l’Iran : « il y a beaucoup d’intérêts que nous partageons avec Israël et, s’il y a la paix, il y aura beaucoup d’intérêts entre Israël et les pays du Conseil de coopération du Golfe ».

En effet, en février 2018, l’Arabie saoudite actait son rapprochement avec Israël, en ouvrant pour la première fois son espace commercial aérien à l’État hébreu, après deux ans de négociations. Cet effort diplomatique fait écho à la convergence d’intérêts sur l’Iran entre les deux nations, préparant le terrain diplomatique à la constitution d’un bloc arabe structuré, en accord avec la vision géopolitique conservatrice israélienne.

Au-delà d’avoir initié la création de cette alliance, cela permet à l’Arabie Saoudite de prendre une place stratégique dans les décisions diplomatiques de la région et de maintenir sa position comme acteur incontournable.

Business is business

À noter que le retour à des relations tendues avec l’Iran n’apparaît pas compatible avec le retrait de Washington, même partiel, du Moyen Orient. Un conflit ouvert ferait peser une trop grande menace sur les équilibres politiques fragiles de plusieurs royaumes du golf et sur la sécurisation des approvisionnements en pétrole. Hormis les États-Unis, auto-suffisants en or noir et probable premier producteur d’ici 2019, personne n’a donc économiquement intérêt à risquer de déclencher des hostilités entre puissances moyen-orientales.

MESA : une équation complexe mais pas impossible

Beaucoup de tensions et de conflits déclarés ou larvés entre potentiels alliés risquent de rendre complexe la conclusion de ce « Middle East Strategic Alliance » (MESA). D’autres incitatives de ce genre ont échoué par le passé.

Cependant, le rapprochement de l’Arabie Saoudite avec les États-Unis et leur influence diplomatique change fortement la donne ce qui pourrait donner une chance au MESA de voir le jour et de changer de nouveau le jeu d’alliance de la région.  À suivre…

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