Par Alain Mathieu.
Le préambule de la Constitution prévoit que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».
Ces lois n’ont été votées que partiellement, par exemple l’interdiction de la grève pour certaines catégories de fonctionnaires (militaires, magistrats, etc), l’obligation pour les syndicats d’un préavis de cinq jours en cas de grève, un service minimum dans les transports publics limité à une obligation pour tout gréviste de se déclarer 48 heures à l’avance.
Pourtant, d’après le Conseil d’État, la Constitution a « entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève constitue l’une des modalités, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte » et a demandé au législateur de fixer « les limitations qui doivent être apportées (au droit de grève), comme à tout autre, en vue d’en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public ».
La jurisprudence a remplacé la loi
Le Parlement n’ayant pas suivi ces recommandations, la jurisprudence a remplacé la loi.
Le Conseil d’État a ainsi considéré que la fourniture d’électricité est « un besoin essentiel du pays », ce qui permettait à la direction d’EDF de réquisitionner son personnel.
La Cour de cassation a estimé qu’une grève n’est justifiée que par des « revendications professionnelles », ce qui exclut les grèves de solidarité ou s’opposant à une loi votée par le Parlement.
Ces « limitations nécessaires », jugées par les tribunaux à l’occasion de cas particuliers, ne peuvent remplacer une loi, dont le caractère général et permanent assure la force.
D’autant plus que pour les grèves mixtes (en partie à motif professionnel et en partie à motif politique), la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation est différente de celle de sa Chambre criminelle.
La loi demandée par le Conseil d’État pourrait en premier lieu reprendre les termes de la Cour de cassation sur la nécessité de revendications professionnelles. Elle devrait en outre préciser qu’une grève n’est licite qu’après un vote majoritaire à bulletins secrets, comme cela se pratique dans les pays voisins.
Courage des députés
Le 11 avril 2018, quinze députés ont déposé une telle proposition de loi.
Elle énonce :
« L’exercice du droit de grève ne peut porter que sur les conditions de travail définies dans les protocoles d’accord, conventions d’entreprise ou de branche », que « toute participation à une grève politique est constitutive d’une faute lourde justifiant le licenciement ».
Elle institue un préavis de dix jours pendant lequel « l’employeur décide d’une consultation ouverte aux salariés concernés par les motifs figurant dans le préavis, et portant sur l’opportunité de la grève […]. Pour être légale, la grève doit être votée par un scrutin organisé à bulletin secret et sous réserve que 50 % au moins des salariés de l’entreprise s’y déclarent favorables ».
Ces quinze députés ont fait preuve de courage en déposant cette loi. On doit les féliciter d’avoir rempli un vide juridique dont les magistrats attendaient le comblement. Leur proposition ne jette pas d’huile sur le feu. Au contraire, elle clarifiera l’exercice légal du droit de grève, évitant ainsi à l’avenir des grèves lancées par des syndicats spéculant sur une décision favorable des tribunaux. De nombreux autres députés devraient apporter leur signature à cette proposition, qui aurait alors plus de chances d’être mise à l’ordre du jour des Assemblées, discutée et pourquoi pas votée.
Cette proposition de loi est cependant incomplète.
Elle devrait préciser que le licenciement serait possible pour une participation à une grève illégale, et pas seulement à une grève politique.
Elle devrait traiter sérieusement du service minimum, dont on vient de voir à la SNCF que les dispositions actuelles sont sans effet. Il faudrait revenir à la promesse de Nicolas Sarkozy pendant sa campagne de 2007, conforme à la loi italienne : pour les transports publics, pas de grève possible pendant trois heures le matin et trois heures en fin d’après-midi.
Droit de réquisition
Elle devrait traiter de la réquisition des grévistes, qui devrait être possible pour tous les besoins essentiels, clairement énumérés : fourniture d’électricité, gaz, eau, produits pétroliers, ramassage des ordures, transports publics, écoles, hôpitaux. Le droit de réquisition devrait être assorti de sanctions allant jusqu’au licenciement si l’ordre de réquisition n’est pas respecté.
Elle devrait supprimer l’insaisissabilité des biens des syndicats quand ils déclenchent une grève illégale. Le Conseil constitutionnel l’a demandé au législateur, qui ne peut « dénier dans son principe même le droit des victimes d’actes fautifs […] à l’égalité devant la loi et devant les charges publiques » et qui doit instituer « un régime spécial de réparation approprié ».
Quand cette loi aura été votée, notre législation sera proche de celle des pays voisins. Elle sera moins rigoureuse que par exemple les règles allemandes, qui interdisent toute grève aux fonctionnaires sous statut et qui, pour le secteur privé, n’en permettent l’exercice qu’après la fin d’une convention collective.
Depuis le renoncement du gouvernement Chirac à la sélection à l’entrée dans les universités (loi Devaquet votée en 1986), toutes les réformes importantes ont été contestées par les syndicats, annulées ou fortement édulcorées :
- SMIC jeunes abandonné (CIP de Balladur et CPE de Villepin) ;
- autonomie des universités rognée ;
- statut des chercheurs publics proposé par la secrétaire d’État Claudie Haigneré abandonné ;
- alignement sur le secteur privé de la durée de cotisation pour la retraite des nouveaux cheminots abandonné (Juppé – 1995) puis très largement compensé ( Sarkozy – 2007) ;
- changement du régime d’allocations-chômage des intermittents du spectacle abandonné ;
- abandon de la fusion de deux directions du ministère des Finances (2000) ;
- écotaxe des camions (2004) ;
- plafonnement des indemnités de licenciement (2016).
Quand cette loi aura été votée, notre pays cessera d’être le seul pays européen irréformable.
Bien vu, mais avant de légiférer, on pourrait commencer par appliquer nos lois :
– rien n’autorise des grévistes à bloquer leur usine et encore moins d’autres installations (dépôts de carburant…),
– les syndicats n’ont pas le droit de s’opposer au recours à du personnel externe (sauf à la SNCF pour laquelle une loi scélérate le permet),
– rien n’autorise des grévistes à bloquer des routes,
– rien n’autorise des grévistes de l’EDF à couper le courant, ou des grévistes d’aéroports à faire passer les automobilistes gratuitement…
Tout cela est interdit, et condamnable au titre du droit commun, mais essayez de faire intervenir la police dans tous ces cas : il ne bougeront pas le petit doigt ! C’est ça la France.
Tout à fait. Avant de voter de nouvelles lois, commençons par appliquer les existantes et par faire payer très cher aux syndicats leurs excursions en dehors de l’Etat de droit.
Quand “ON” est vraiment pas content de son patron ou de sa stratégie, “ON” donne sa démission et “ON” va chez le voisin !
A priori à la SNCF, ils sont tous très mécontents et depuis de nombreuses années ; alors qu’attendent-ils tous ?
Justement il n’y a pas de voisins puisqu’ils ont le monopole.
Il me semble que :
1) un jour de grève ne doit pas être payé ni compensé. Cela doit coûter cher au gréviste. Quand je vois les grévistes de la SNCF prendre leurs jours de grève avant leur repos hebdomadaire, cela me fait voir rouge !
2) Tout service public doit être contrebalancé par un service privé identique. Fini les monopoles. La grève de certains ne doit toucher que les personnes et entreprises, éventuellement clients, concernés.
Mais conservons le service public qui a ses avantages (je préfère 1000 fois la SS française aux compagnies d’assurance américaines, Mais un peu des deux serait bien !).
Et entièrement d’accord avec MINGOT 48