Par Hervé Gourio.
Un article d’Entrepreneurs pour la France
On pouvait craindre le pire quand, en janvier, plusieurs membres du gouvernement demandèrent un rapport sur l’entreprise et l’intérêt général. Le pire : une conjonction de bonnes paroles façonnant un compromis hâtif et bâtard entre les libéraux et les socio-démocrates. Mais les auteurs du rapport, Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, ont choisi de formuler des recommandations claires et applicables, fondées sur des convictions partagées et leur expérience considérable.
Les deux premières recommandations nous semblent particulièrement louables. Citons-les :
- Ajout au Code civil de l’alinéa : « La société [commerciale] doit être gérée dans son intérêt propre en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
- Ajout : « Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société en référence à la raison d’être de l’entreprise ».
Comme souvent en France, les premiers commentaires ont été riches en considérations philosophiques, idéologiques et politiques sur ces changements… Avec en même temps un feu d’artifice de critiques de textes imaginaires. Les raisons de notre soutien sont bien plus terre à terre.
Nous croyons tout simplement que ces propositions, si elles sont reprises dans la loi en cours de préparation, seront extrêmement utiles pour reconnaître officiellement et en toute simplicité, enfin, le rôle central des entreprises françaises dans le succès du pays. En un mot pour exprimer que le succès des entreprises est conforme au bien commun.
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Quelles objections retenir dans ce brouhaha ?
Parmi les opposants à ces ajouts dans le Code civil, les plus dignes d’intérêt à nos yeux sont les économistes libéraux attachés à l’injonction de Milton Friedman selon laquelle « la responsabilité sociale de l’entreprise est d’augmenter ses profits »1. Il faut faire justice à cet argument. Il date d’une époque où les multinationales américaines identifiaient leur réussite à celle du pays tout entier. À cet égard, on se souvient du « What is good for General Motors is good for the US » du président de General Motors.
Elle réagissait aussi à la prééminence, dans les décennies suivantes, des managers sur les actionnaires, célébrée par Galbraith ou Mac Namara. En réaction à ces déviances, l’affirmation de Milton Friedman ne fut pas sans mérite, permettant, à l’époque, de recentrer l’action des dirigeants sur l’entreprise.
Les temps ont changé : aujourd’hui, hors de ce débat théorique, tout homme de terrain admettra que l’entreprise doit prendre en compte d’autres enjeux que les seuls économiques. C’est enfoncer une porte ouverte.
Black Rock, le plus grand actionnaire du monde, qui gère plus de 6.000 Md$ d’actifs financiers, le proclame : « Les entreprises doivent prendre en compte des questions sociales, environnementales qui impactent leur activité ». Et il est loin d’être le seul de son avis.
La concurrence sur le marché porte non seulement sur des éléments économiques mais incorpore des forces ou des faiblesses de l’entreprise dans leurs effets sociaux ou environnementaux. Une part souvent considérable des actifs repose sur des éléments immatériels comme la bonne réputation, qui ne doit pas être fragilisée si l’on veut améliorer les profits à court terme.
Les actionnaires eux-mêmes ont donc des attentes en ce sens. Une entreprise qui dirait les négliger s’affaiblirait sérieusement vis-à -vis de tous ceux qu’elle fait vivre ou rencontre où que ce soit.
Le rapport Notat Senard met les pendules à l’heure
Il reprend presque mot pour mot le texte de Black Rock et met les points sur les i en énonçant clairement la priorité de l’intérêt économique. Contrairement à ce que reprennent (sur quelles bases ?) des critiques superficielles, il confirme que « le rôle premier de l’entreprise n’est pas la poursuite de l’intérêt général ». Ce qui devrait rassurer tous ceux qui, comme l’immense majorité des chefs d’entreprise, pensent que le profit est l’oxygène indispensable et la mesure fondamentale du succès de l’entreprise.
Une intervention importante dans la bataille livrée contre les entreprises par les adversaires de l’économie de marché
Non seulement l’économie de notre pays est délabrée, résultat de l’action de gouvernements étatistes de gauche ou de droite depuis une trentaine d’années, mais une des causes majeures de cette malédiction qui perdure. À savoir l’existence d’adversaires déclarés de l’économie de marché et de l’entreprise privée.
La croyance marxiste qui fait de celle-ci le lieu honteux de l’exploitation de l’homme par l’homme n’a jamais été éradiquée. Elle est soigneusement entretenue par certains syndicats, par des associations soi-disant apolitiques, au sein même d’entreprises publiques que leur manque de compétitivité devrait inciter à la modestie.
Pire encore, elle est inoculée à nos jeunes dans l’enseignement de l’économie par des publications comme Alternatives économiques qui inondent littéralement les classes d’économie des lycées. Et l’enseignement professionnel prend bien garde à protéger ses élèves de la tentation d’écouter les leçons des entreprises.
À cette première composante marxiste du mantra anti-entreprises, il faut en ajouter une autre. L’entreprise n’est pas seulement l’instrument de patrons sadiques, elle est de plus destructrice de la planète dans la nébuleuse écologiste.
Une administration qui intervient plus ou moins ouvertement contre l’enrichissement des entreprises
Mais ce n’est pas tout. La haute administration et Bercy, son navire amiral, veillent attentivement à ce que les entreprises ne réussissent pas à capter une part croissante du revenu national au détriment du secteur public. Ainsi, le gouvernement n’est pas au service de la nation mais ce sont les Français qui sont au service de l’État.
Le résultat est sans appel : aucun parti politique ne fixe comme objectif le succès et la prospérité des entreprises privées. Comment pourrait-on encourager et récompenser des patrons aussi diaboliques ? Mais alors, comment s’étonner que la rentabilité et la croissance des entreprises privées soient plus faibles en France que partout ou presque dans le reste de l’Europe ?
Les mentalités changent, mais l’influence des étatistes reste très puissante
Les temps changent certes. Le rôle clé des entreprises dans l’emploi commence à être admis.
L’opinion des Français est devenue plus positive sur les entreprises (au moins sur les petites et moyennes) que sur les institutions dites d’intérêt général qui les combattent (en particulier les administrations, les partis politiques et les commentateurs de tout bord).
Peut-on alors compter sur le succès du gouvernement actuel pour transformer l’essai et réduire profondément l’emprise du parti anti-entreprises ? Malheureusement, on peut en douter tant il est contrôlé par des étatistes, à l’exception peut-être de quelques ministres technocrates expérimentés dans leurs domaines, mais qui ont souvent peu à voir avec l’entreprise privée.
« Les entreprises ont une raison d’être », une formule qui légitime l’entreprise, même aux yeux de ceux qui la méprisent
Les entreprises ont une raison d’être et c’est le grand mérite du rapport Notat Senard de mettre cette notion sur la table. Ne peut-on exprimer que nos clients retirent des satisfactions de nos produits ou de nos services ? Ou que nos salariés ou nos fournisseurs ont pu progresser dans leurs compétences en travaillant avec nous ? Et quand bien même l’entreprise a pour but principal d’assurer des revenus à quelques-uns, ce n’est pas du vol.
La raison d’être existe. Pas forcément aux yeux d’une autorité transcendantale mais tout simplement parce que la disparition de l’entreprise serait regrettée et que l’arrivée d’un remplaçant ne serait pas toujours célébrée. La raison d’être c’est donner un but et une signification à une entité parfois trop abstraite. Dans le contexte français c’est une trouvaille sémantique tout à fait bienvenue.
Avec des ennemis aussi enracinés, il faut saisir toutes les occasions de redresser la tête
Toutes les occasions sont bonnes pour marquer des points dans un combat de longue haleine. Le rapport Notat Senard nous en offre une, en introduisant la question des bienfaits des entreprises privées et de l’économie de marché et en donnant une réponse positive. Est-il bien raisonnable d’attendre le succès d’une force politique libérale pour faire triompher les idées Friedmaniennes ? La bataille d’aujourd’hui n’est pas entre les tenants d’idées plus ou moins libérales. Elle est avec des adversaires enracinés qui ignorent et méprisent l’apport bien réel des entreprises au bien public.
Il serait bien léger de jouer les vierges effarouchées et d’esquiver une déclaration sur la raison d’être de l’entreprise comme si on devait en rougir. Ou comme si une simple déclaration du conseil d’administration allait entraîner l’entreprise dans des complications juridiques insupportables. Si tel était le cas les actionnaires peuvent toujours déjuger le conseil, que diable !
- Â son article de septembre 1970 du New York Times portant ce titre. ↩
on a déjà trop de lois et de réglementations : ces ajouts n’apportent rien.
Cela fait du buzz, c’est tout.
Et ce n’est pas un rapport qui transformera “une vache laitière en cheval de course”.
Les recommandations du rapport Notat-Senard c’est une chose, mais ce qui compte vraiment c’est ce qui sera dans la loi. Est-ce que quelqu’un sait où trouver le texte du projet de loi?
Je ne comprends pas l’auteur, il se positionne clairement contre les étatistes mais il les applaudit aussi lorsque ceux-ci ajoutent des lignes au Code Civil. Lignes qui, n’en doutons pas, promettent comités Théodule et inspections. Pourquoi ne pas laisser les entreprises elles-même décider si elles veulent ajouter ces composantes à leurs valeurs ?
De plus, je ne suis pas vraiment avec le raisonnement. Ces recommandations sous entendent plutôt que les entreprises sont des dangers pour l’emploi et l’environnement et qu’il faut donc les encadrer avec une nouvelle loi. Pour moi, cela traduit et propage une mauvaise image des entreprises
Tout à fait d’accord. Ce projet de redéfinition de la raison d’être des sociétés est la porte ouverte à des mesures liberticides d’ingérence dans la gestion des entreprises.