La conception de la liberté de Milton Friedman

Pour Milton Friedman, la liberté est la valeur la plus importante de toutes : « Libéraux, nous prenons la liberté de l’individu, ou peut-être celle de la famille, comme un but ultime quand il nous faut juger les régimes sociaux. »

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Milton Friedman (Crédits : The Friedman Foundation for Educational Choice, licence Creative Commons)

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La conception de la liberté de Milton Friedman

Publié le 5 septembre 2021
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Par Adrien Faure.

Je vous partage aujourd’hui la première partie d’une nouvelle réflexion qui portera cette fois-ci sur la philosophie politique de Milton Friedman et sa conception de la liberté. Dans cette première partie introductive, je présenterai brièvement l’auteur et proposerai quelques premiers éléments sur sa conception de la liberté.

Milton Friedman, un libéral utilitariste

Milton Friedman, économiste américain néo-classique et positiviste de l’École de Chicago, Prix Nobel d’économie en 1976 et père de l’anarchiste libéral David Friedman, publie en 1962 un ouvrage de philosophie politique titré Capitalisme et liberté1, qui défend des positions qu’il qualifie de libérales.

Par la suite, avec l’émergence et l’autonomisation progressive du mouvement libertarien aux États-Unis dans les années 1965-19752, Milton Friedman adoptera le qualificatif de libertarien, même si cette adoption fera polémique pendant plusieurs années parmi les figures de proue du mouvement, Milton Friedman étant jugé trop modéré par certains, comme le philosophe Murray Rothbard.

Une tradition libérale modérée

En effet, Milton Friedman n’est ni un minarchiste favorable à un État minimal aux fonctions limitées à la défense intérieure et extérieure, à la justice et à la diplomatie, comme Robert Nozick ou Ayn Rand, ni un anarchiste libéral favorable à un free market anarchism comme Murray Rothbard ou son propre fils. Il s’inscrit dans une tradition libérale plus modérée, comme Ludwig von Mises ou Friedrich Hayek, qui défend un État aux fonctions plus étendues que la conception minarchiste, mais moins étendues que des social-libéraux comme John Rawls.

Paradoxalement, on peut noter que le grand public francophone tend à méconnaître ces subtilités et à percevoir Milton Friedman (tout comme Hayek) comme un libéral aux positions radicales.

Un économiste positiviste

Milton Friedman est avant tout un économiste positiviste qui tire ses positions philosophiques politiques de ses recherches empiriques et d’une connaissance inductive (et non axiomatique et déductive).

Les fondements moraux de sa réflexion philosophique politique sont utilitaristes et s’inscrivent, selon lui, dans la continuité du libéralisme du XIXe siècle :

Le libéral du XIXe siècle considérait l’extension de la liberté comme la façon la plus efficace de promouvoir le bien-être et l’égalité.

Il s’agit donc d’un utilitarisme de la règle qui vise à déterminer quelles règles maximisent de manière impartiale le bien-être (l’utilité) de l’ensemble des individus, et c’est à l’aune de ce critère qu’il évalue les arrangements institutionnels en place et détermine ceux qui sont désirables ou non.

La liberté selon Milton Friedman

Pour Milton Friedman, la liberté est la valeur la plus importante de toutes :

Libéraux, nous prenons la liberté de l’individu, ou peut-être celle de la famille, comme un but ultime quand il nous faut juger les régimes sociaux.

Comme la plupart des libéraux et libertariens, Milton Friedman entend par liberté essentiellement quelque chose de négatif (la liberté de ne pas être entravé dans ses actions, dans l’exercice de sa volonté).

Dans le raisonnement utilitariste de la règle de Milton Friedman, cela s’explique en outre car, selon lui, si la liberté est la règle, alors le bien-être et la liberté positive des individus sont maximisés.

À noter que la liberté dont il parle est un concept social, dans le sens où elle « concerne les relations entre les hommes ; elle n’a aucun sens pour un Robinson Crusoé (sans son Vendredi). […] Il n’existe pas pour lui de problème de liberté au sens qui nous occupe. »

La liberté dont il parle concerne donc les relations entre les individus et non l’individu en tant que monade atomisée.

Liberté politique

Par ailleurs, Milton Friedman propose une dichotomie entre liberté économique et liberté politique. Si on comprend assez facilement qu’il entend par liberté économique, liberté de produire et de vendre, de consommer et d’acheter, d’échanger (de commerce), de don (notamment de legs), d’épargner, de prêter (de crédit), etc., il est plus difficile de comprendre ce qu’il entend par liberté politique.

En effet, il semblerait que Milton Friedman range dans cette catégorie non seulement des libertés politiques stricto sensu, comme la liberté de choisir ses dirigeants politiques, la liberté de se présenter comme candidat à un poste de direction politique, la liberté d’exprimer ses opinions politiques ou la liberté de s’associer avec d’autres individus partageant ses opinions politiques, mais aussi des libertés civiles comme la liberté d’expression en tant que telle, la liberté de conscience (de croyance, de religion), la liberté d’association, ainsi que (probablement) les libertés de mœurs.

Une liberté politique trop large

Le sens que Milton Friedman donne au concept de liberté politique est donc très large. À vrai dire, on peut considérer que le sens qu’il donne à ce mot est même trop large car il tend à simplifier et à éliminer des distinctions conceptuelles qui ont leur utilité et leur importance pour parler de la liberté, surtout si on cherche, comme il essaie de le faire, de hiérarchiser les libertés entre différentes catégories.

Si Milton Friedman n’est pas revenu sur cette dichotomie dans son livre à succès La liberté du choix3, publié en 1980, il est toutefois revenu dessus dans sa préface de 2002 à la ré-édition de Capitalisme et liberté où il affirme :

Le seul changement majeur que je souhaiterais lui apporter serait de remplacer la dichotomie liberté économique-liberté politique par la trichotomie liberté économique- liberté civile – liberté politique.

Même si cette modification intervient tardivement (quarante ans après la publication de Capitalisme et liberté, quatre ans avant sa mort) elle a l’avantage d’améliorer sa définition et de lui faire gagner en précision.

On peut toutefois se demander si la démarche même de découper, de subdiviser la liberté en catégories fait totalement sens. En effet, il est possible qu’une théorie de la liberté en général, et non des libertés, permettrait de traiter ensuite de manière systématique et équivalente, et donc de manière plus cohérente, chaque type de liberté.

Dans la prochaine partie, nous poursuivrons cette réflexion et aborderons la hiérarchisation des libertés que développe Milton Friedman.

Publié initialement le 9 août 2017.

  1.  FRIEDMAN Milton, Capitalisme et liberté,  Éditions LEDUC.S, Paris 2010.
  2.  CARE Sébastien, La pensée libertarienne : Genèse, fondements et horizons d’une utopie libérale, op. cit., pp. 89-105.
  3. Friedman Milton et Rose, La liberté du choix, Éditions Pierre Belfond, Paris, 1980.
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  • Bonjour,

    La « Liberté » de M.Friedman est avant tout une liberté « Darwinienne ». Liberté ou Egalité, il faut choisir.

    Permettez-moi de vous raconter un épisode vécu personnellement, en face de son ami et disciple Mark Shepherd (« Mark £e Berger »), alors flamboyant patron de Texas Instruments.

    En juin 1977, la National Computer Conference se tient dans sa bonne ville de Dallas, et il en est le président-organisateur.

    Son discours inaugural est difficile à oublier. « Ici, nous ne passons pas notre temps à sauver des entreprises en difficulté (« lame ducks ») comme en France : Seuls les plus forts survivent et prospèrent… »

    (((en 1982 mes amis Rod Canion, Jim Harris et Bill Murto quittent T.I. pour fonder Compaq Computers, la plus jeune « start up » à dépasser le milliard de dollars de ventes annuelles. Depuis, Texas Instruments, l’inventeur du « circuit intégré », couronné par un Prix Nobel de physique, n’a plus lancé aucun produit à succès….. Mike Shepherd est passé à la trappe)))

  • Merci à l’auteur et à Contrepoints pour ce genre d’article –
    synthétique sans être simpliste – qui nous permet de revisiter nos bases, de les consolider ou de mieux les comprendre.

    • @ Jean-Michel
      Peut-être! Mais ne vaut-il pas mieux lire l’original qu’un « résumé » par un exégète?

      Les raccourcis et l’interprétation sont autant de biais entre l’original et l’article qui ne s’intéresse qu’à un aspect (certes important!) de l’oeuvre.

      Le texte commence par la confusion habituelle du nom du prix de la Banque de Suède (en mémoire d’Alfred Nobel) et se poursuit de termes « techniques » ou +/- savants, empruntés à d’autres sciences, méritant donc d’être explicités dans le contexte, ou, mieux, d’être exprimés plus simplement comme il sied dans un travail de noble vulgarisation.

      Que vaut une remarque critique sur l’édition originale corrigée, il y a 15 ans, dans la réédition? Alors que le choix de la liberté comme valeur première, en théorie, déjà dite « individuelle » ou « familiale » pourrait se retrouver dans tous les domaines de la vie même si on l’applique différemment suivant d’autres facteurs de la réalité et donc de contraintes pratiques faisant la différence entre choix libre et liberté individuelle absolue de faire n’importe quoi sans aucune règle, jamais accessible!

    • Ne jamais oublier le problème de la monnaie et des impôts si on veut avoir la clé maîtresse de la véritable économie libérale.
      Merci pour ces articles dignes d’intérêt qui incitent à la réflexion sur la pensée libérale plus que jamais d’actualité.

  • En fait, il n’y a qu’une seule liberté. Les libéraux de droite sont pro business, les libéraux de gauche sont pro sociétal (mariage pour tous, revenu universel etc..).
    Ils font tous fausses routes. Le libéralisme c’est de laisser les gens décider.

    • Bien d’accord.
      C’est sans doute ce constat qui amène Friedman à parler de liberté économique et de liberté politique.
      Mais contrairement à l’auteur, je ne vois pas en quoi il serait plus difficile de comprendre ce qu’il entend par liberté politique. A moins de considérer que ce dernier est un « libéral de droite »…

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