Que devient l’islam après l’État islamique ?

Ce qui intéresse les Occidentaux et une grande partie des populations musulmanes, c’est de savoir si le pic des violences physiques et sociales est dépassé.

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Que devient l’islam après l’État islamique ?

Publié le 19 décembre 2017
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Par Yves Montenay.

L’Irak vient de proclamer la fin de la guerre contre l’État islamique. Ce dernier ne contrôlerait plus de territoire irakien.

Mais les généraux nuancent immédiatement :

« Il y a de profondes vallées inaccessibles dans le désert, où on peut se cacher et entreposer du matériel. Il est très difficile de les contrôler. Il y a aussi des cellules dormantes dans les villes ».

 

L’État islamique territorial laisse place au terrorisme

Bref on en serait revenu à l’époque précédente où Al Qaïda, puis le futur État islamique, avaient une activité terroriste active, mais sans contrôler de territoire. Donc sans prendre la forme d’un État, avec son administration, ses impôts, ses centres d’entraînement. Mais n’oublions pas qu’à chaque fois, l’insurrection est revenue, alimentée par la mise à l’écart des sunnites minoritaires par le pouvoir central chiite. Cela peut recommencer…

En Syrie, la situation est analogue : c’est la fin de l’État islamique territorial, mais la rancœur des sunnites y est plus forte encore qu’en Irak. Ils sont en effet majoritaires face au pouvoir alaouite (chiite), beaucoup plus cruel que le pouvoir central irakien.

Le remplacement de l’État islamique par un simple terrorisme est néanmoins un tournant majeur et l’occasion de faire le point sur l’évolution de l’islam après ces quelques années de djihadisme. Rajoutons « et de wahhabisme », car si cette variante de l’islam n’est pas violente en elle-même, elle peut faciliter une transition vers le terrorisme, et est de toute façon profondément rétrograde.

Il est possible que cette influence wahhabite soit elle aussi à un tournant, si le prince héritier d’Arabie concrétise sa proclamation de retour à un islam modéré. Modération qui a été accélérée par l’échec des islamistes syriens (État islamique, puis d’autres groupes) un temps soutenus par l’Arabie, et par la baisse des prix du pétrole.

Il semble donc intéressant de voir où en est l’évolution des idées religieuses après ces nombreuses années de durcissement sous l’influence du Moyen-Orient.

Beaucoup, musulmans ou non, estiment que les islams pacifiques, le malékisme maghrébin dans une certaine mesure ou le soufisme, notamment au Sénégal, sont concurrencés par un activisme plus dur qui gagne du terrain. Parmi ces mouvements activistes, le principal est le wahhabisme qui a une diffusion mondiale, mais il y a aussi le déobandisme au Pakistan et en Afghanistan via les talibans, et d’autres islamismes violents dont Boko Haram en Afrique.

Ce durcissement d’une partie des musulmans est bien réel, notamment sous l’action des missionnaires séoudiens et des étudiants revenant de leurs études dans la péninsule arabique, celui qui inquiète les élites de leurs pays.

Commençons par donner un exemple de ce durcissement, celui de l’Algérie avant d’évoquer des exemples en sens inverse.

 

En Algérie, la montée fondamentaliste sous l’influence wahhabite

La guerre civile algérienne entre les islamistes et l’armée (1989-1999) s’est terminée par une victoire de cette dernière, mais cette victoire n’est pas totale puisqu’il a fallu une amnistie générale des égorgeurs pour qu’ils abandonnent (pas tous) la lutte armée. Revenus chez eux, se pose le problème de leurs relations avec leurs voisins, parents des victimes.

Curieusement, si les islamistes n’ont pas réussi à obtenir le soutien de la population, comme le rappelle la formule « Nous préférons des voleurs –le gouvernement– à des assassins », les Algériens sont, de l’avis général, devenus plus pieux et rituellement formalistes, du fait de l’influence des télévisions wahhabites, au grand désespoir tant des laïques que de l’élite musulmane préférant le fond à la forme.

Interrogée sur ce point, la Grande Mosquée de Paris, qui est algérienne, précise « préférer l’essence spirituelle à un comportement mécanique ».

Une illustration en est le mouvement des « surmusulmanes » : il faut toujours surenchérir dans l’observation des rites et des formes pour être « une vraie musulmane », donc oublier les coutumes algériennes, quitte à s’opposer à sa famille. Le journal algérois El Watan attribue ce comportement au « harcèlement des armées de prédicateurs qui accusent des pires crimes moraux et vouent à l’enfer » ceux qui ne sont pas suffisamment musulmans.

Une autre illustration est celle des campagnes de « hidjabisation » et de « kamissisation » : pousser au port du foulard ou du voile pour les filles et du kamis pour les garçons. Les universités sont envahies par des organisations islamistes qui se proclament gardiennes de la morale et des bonnes mœurs, et les débats tournent désormais autour des « chiffons », et non plus du savoir ou de la qualité de l’enseignement.

Dans le même esprit, on remarque de nouvelles tentatives d’arabisation de documents de la vie courante, comme, en Kabylie, les factures de Sociétés nationales jusqu’à présent en français.

La presse note néanmoins un désarroi des islamistes face aux nouvelles venant d’Arabie.

 

En sens inverse, le recul du fondamentalisme en Égypte et en Arabie

En réaction contre le djihadisme et le wahhabisme, beaucoup de musulmans s’éloignent de la religion. Certains deviennent athées, d’autres chrétiens, en général évangélistes. Beaucoup le cachent à leurs proches, mais d’autres s’affichent comme tels sur les réseaux sociaux et s’y soutiennent mutuellement.

En Égypte

L’entreprise de sondages « Arab Barometer » citée dans The Economist du 4 novembre note une chute de la pratique de la prière quotidienne en Égypte depuis 2011, surtout sensible chez les jeunes. Ils seraient maintenant moins de 40 % à la pratiquer, contre 75 % en 2011, tandis que les partisans de la charia sont tombés de 84 à 30 %. À cela s’ajoutent d’autres indices révélateurs, comme la présence croissante de femmes dans les cafés.

En Égypte, comme en Tunisie, au rejet du terrorisme s’est ajoutée la déception des quelques années de gouvernement islamiste. Imaginés après la chute des dictateurs comme des démocrates non corrompus, ils ont beaucoup déçu. Leurs qualités supposées venaient de ce qu’ils n’étaient pas au pouvoir, et, une fois en place, ils se sont révélés être comme les autres avec, en prime, une pression religieuse qui a indisposé une partie de la population.

Par ailleurs, les islamistes sont maintenant pourchassés par les gouvernements en place. Même si ces derniers ne sont pas démocrates, le fait de lutter contre les islamistes va dans le sens de la sécularisation, c’est-à-dire d’une moindre prégnance de la religion dans la vie quotidienne, terme préféré à « laïcité », notion occidentale connotée antireligieuse.

En Arabie

Le public a remarqué les dernières mesures prises en Arabie :

  • droit de conduite pour les femmes,
  • encouragements à avoir une activité professionnelle,
  • début de mixité dans les bureaux,
  • annonce de la fin de l’interdiction des cinémas et d’ouverture de parcs de jeux.

 

Le régime avait déjà abandonné en avril 2017 le calendrier musulman pour le calendrier grégorien, répandu maintenant presque partout par les Occidentaux.

Ces mesures succédaient à un relâchement religieux moins remarqué dans les Émirats, théoriquement wahhabites également.

Toujours en Arabie et aux Émirats, la pression économique joue dans le même sens : pour éviter de dépendre entièrement des immigrés, il faut que les femmes travaillent. Pour attirer les investisseurs et les touristes, il faut des distractions, des musées, des filiales d’universités occidentales… Bref, s’ouvrir au reste du monde.

Bien entendu, cette libéralisation relative ne s’étend pas au domaine politique : les pouvoirs royaux et princier ne peuvent être discutés. Cela ne semble d’ailleurs pas être la priorité de la population, l’amélioration de la vie quotidienne et la crainte des attentats semblent prioritaires, du moins pour l’instant.

 

Et au-delà des Arabes ?

Au Moyen-Orient, les trois principaux pays sont l’Égypte, dont nous avons parlé, ainsi que la Turquie et l’Iran, dont les gouvernements sont islamistes.

En Iran, cela a visiblement poussé une partie de population hors de l’islam ; en Turquie il est trop tôt pour avoir une opinion.

Plus à l’est, au Pakistan, les islamistes progressent, peut-être en partie grâce à l’armée, qui y voit une façon d’évincer une bourgeoisie nettement moins religieuse.

Et en Afghanistan, tout est suspendu au déroulement de la guerre civile.

Ce qui intéresse les Occidentaux, et une grande partie des populations musulmanes, c’est de savoir si le pic des violences physiques et sociales est dépassé.

Cela dépendra de plusieurs facteurs :

  • de la réussite ou de l’échec de la reconversion de l’EI en simple mouvement terroriste agissant par Internet. Dans ce domaine, une réaction occidentale de filtrage se met enfin lentement en marche, freinée par l’exigence américaine de liberté totale d’expression.
  • de la réussite du prince héritier séoudien, menacé sur le plan extérieur et vraisemblablement intérieur.
  • de l’attitude des pouvoirs autoritaires qui peuvent redonner une virginité aux islamistes.
  • de l’évolution psychologique des croyants, souvent très traumatisés par le surgissement du côté obscur de leur religion.

Sur le web

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  • Il ne faut jamais oublier que les principales victimes des tueurs islamistes, 90 à 95% sont les musulmans eux-mêmes. Ce que la gauche, suivant ses bonnes habitudes, ne parvient pas à comprendre!

    • Vous avez tout à fait raison. Cela certes en partie parce que leurs coreligionnaires sont géographiquement à leur portée, mais aussi parce qu’ils imaginent que leur religion les autorise à tuer les apostats, et qu’ils considèrent comme tels les musulmans qui ne sont pas de leur avis.

  • Les commentaires sont fermés.

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