Biotech : les bactériophages, alternative aux antibiotiques ?

L’augmentation du nombre de bactéries résistantes aux antibiotiques renforce la détermination du législateur et des consommateurs à lutter contre l’utilisation d’antibiotiques partagés, ceux utilisés par la médecine humaine et animale.

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Biotech : les bactériophages, alternative aux antibiotiques ?

Publié le 18 novembre 2016
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Par Farid Gueham.
Un article de Trop Libre

Biotech : les bactériophages, alternative aux antibiotiques ?
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Proposer une alternative aux antibiotiques traditionnels : c’est le pari d’Epibiome, une startup basée dans le sud de San Francisco, qui vient de lever un million de dollars pour soutenir son ambitieux projet. Bruno Marchon est le « chief technical officer » de l’entreprise, après 25 ans passés dans l’industrie des disques durs, toujours dans la Silicon Valley. Responsable de la recherche et développement, il voit un véritable potentiel dans la commercialisation des bactériophages à des fins médicales. « Les antibiotiques ont été découverts peu de temps avant la seconde guerre mondiale. Ils fonctionnaient très bien, ils étaient bon marché et facile à produire. Le problème majeur est que peu à peu, les bactéries se sont habituées aux antibiotiques en développant leur résistance. D’ici 20 ou 30 ans, il est probable que plus de gens mourront du fait de bactéries résistantes aux antibiotiques que du cancer » affirme Bruno Marchon.

L’industrie porte sa part de responsabilité dans cette résistante croissante

L’utilisation des antibiotiques sur les populations animales et dans les industries laitières a eu des effets néfastes. Dans ce sombre décor, Epibiome essaye de trouver des alternatives biologiques aux antibiotiques, à travers une technologie qui n’est pourtant pas si récente que cela : la recherche redécouvre une biotechnologie développée dans les années 1910 par un canadien d’origine française, Félix d’Hérelle, dont les travaux déterminants montraient que, pour chaque bactérie existe un virus associé capable de tuer cette dernière.

Ce virus bactériophage, aussi appelé « phage », était la pierre angulaire d’une approche tombée en désuétude avec l’arrivée des antibiotiques, moins coûteux et beaucoup plus faciles à produire massivement. « Mais nous pensons qu’il est temps de retrouver ces technologies, de se pencher à nouveau sur la question avec des outils modernes comme le séquençage de l’ADN de nouvelle génération. Nous travaillons également avec des automates qui permettent des manipulations plus rapides. Avec ces avancées, nous pouvons multiplier la découverte de ces bactériophages, en avançant 100 ou 1000 fois plus rapidement que par le passé», ajoute Bruno Marchon.

Epibiome met en place une plateforme transversale

Il s’agit d’une plateforme dédiée à la recherche sur les maladies infectieuses, chez l’homme, l’animal et le végétal. Elle a permis à la startup de découvrir ses propres bactériophages, de les isoler, de les caractériser, de les amplifier et les fabriquer en plus grande quantité. Une expérience récente a permis de démontrer l’efficacité des bactériophages contre la bactérie Escherichia coli sur la souris. Prochaine étape, des essais sur les vaches et à terme, sur l’homme. Dans quelques années, des produits Epibiome seront disponibles en pharmacie.

La technologie des bactériophages existe déjà dans les produits de grande distribution, dans l’industrie alimentaire. Les agents agissent comme des conservateurs, puisqu’ils détruisent les pathogènes. Les bactériophages, ou « phages », sont des virus spécifiques aux bactéries. Les phages travaillent en se liant à des récepteurs spécifiques à la surface des bactéries. Une fois liés, ils injectent leur ADN, détournant les machines cellulaires de la bactérie et l’utilisant pour faire plus de copies d’eux-mêmes. Des dizaines ou des centaines de ces copies éclatent hors de la bactérie, la tuant dans le processus, et continuent à infecter de nouvelles bactéries.

L’augmentation du nombre de bactéries résistantes aux antibiotiques renforce la détermination du législateur et des consommateurs à lutter contre l’utilisation d’antibiotiques partagés, c’est-à-dire ceux utilisés par la médecine humaine et animale. Les géants de l’industrie américaine comme l’entreprise Cargill, ont annoncé des réductions substantielles dans l’utilisation de ces antibiotiques. Mais pour l’heure, les solutions alternatives approuvées par la FDA Food and Drug Administration et les éleveurs se heurtent à une série de contradictions éthiques et commerciales, entre responsabilité, santé publique et rendement.

Outre Atlantique, les producteurs ne sont pas vraiment fans de l’utilisation d’antibiotiques. Car les antibiotiques administrés à un animal altèrent le lait, comme la viande. Les producteurs et les éleveurs sont donc tenus de respecter un délai légal et risquent des pénalités en cas de non respect du délai ou encore en cas de résidu détecté dans les produits.

Des délais de quarantaine donnent lieu à plusieurs millions de litres de lait perdus par jour, et pour les producteurs de bœuf, de porc, de volaille ou d’aquaculture, des coûts supplémentaires pour l’alimentation, le stockage et le déplacement des produits. Des avancées comme celle d’Epibiome permettraient de cibler les agents pathogènes bactériens, sans l’utilisation d’antibiotique. Une opportunité substantielle qui permettrait un gain de temps précieux pour les producteurs, tout en étant compatible avec les nouvelles pratiques de production biologique.

Pour aller plus loin :

– « Epibiome : phage-based technologies », Epibiome, products and services.
– « Les phages, des virus guérisseurs », Le Monde.
– « Les phages des virus naturels pour remplacer les antibiotiques », Nouvel Obs.
– « La phagothérapie chez les russes mais pas chez nous », Alternative santé.

Sur le web

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  • Sujet intéressant, qui laisse entrevoir de nouveaux comportements dans l’industrie. Et de nouveaux risques que les politiciens caractériseront rapidement également, afin de nous en protéger, ça va de soi.
    Par exemple, tiré du chapeau : que sa passe-t-il si un phage est produit par erreur (accident) ou délibérément (armement) pour attaquer nos petites bactéries internes, celles de notre système digestif. Ou celles des ruminants, etc.
    De beaux films de SF en perspective quand le sujet sera mieux médiatisé…
    Il est temps d’investir !

  • BOF ,les antibiotiques font de la sélection, ce new truc fera la même chose…… mais avec un prix X 100…….rien de neuf sous le soleil !

  • Sauf que les phages ne sont pas tombés en désuétude. Ils ont été le choix de l’URSS pour traiter les bactéries et donc par idéologie, l’Ouest ne pouvait pas utiliser la même chose. Ils sont toujours utilisés assez couramment en Bulgarie, en Ukraine ou en Hongrie (je ne me souviens plus du pays mais c’est un « ex-URSS »).
    Le gros problème des phages est qu’ils sont « espèce spécifique » au contraire des antibiotiques qui peuvent traiter une large variété d’espèces à la fois. Notons que c’est aussi un avantage pour ne pas détruire inutilement toute la flore intestinale d’un coup.
    Un autre problème lié à cette spécificité: il faut savoir quelle bactérie est à l’origine de votre infection et donc potentiellement perdre un temps précieux. Pour remédier à ça, les entreprises qui investissent sur les phages font en général des cocktails de phages pouvant traiter plusieurs espèces mais cela reste encore trop spécifique par rapport à des antibiotiques à large spectre. Et comme pour les antibiotiques, ils seront probablement mal utilisés. Et devinez quoi? Les bactéries vont développer des résistances.

  • C’est sans doute un signe de situation très dramatique qui se prépare qu’un tel article soit écrit par un Dr en politique! D’abord arrêtons les faux frères anglo-saxons : l’alternative est une situation à deux possibilités exclusives entre lesquelles on peut choisir ; en logique de la langue française, une solution autre n’est pas une alternative. Les phages sont donc une autre possibilité de lutter contre les bactéries étant donné que l’utilisation des antibiotiques perd de son efficacité. Mais il y aura toujours besoin d’antibiotiques, pourvu qu’ils soient utilisés avec beaucoup de science. L’appétit des fabricants de médicaments pour le gain ont fait croître l’utilisation des mêmes molécules antibiotiques pour la médecine humaine et pour la médecine vétérinaire, voire comme compléments alimentaires pour animaux d’élevage. C’est un manque de discernement évident dont sont responsables aussi bien les fabricants que les prescripteurs et les autorités sanitaires. On sait depuis les années 80 que les gènes de résistance à un antibiotique existent. Ils ont même servi à faire les plasmides bactériens destinés à produire les OGM de bactéries, de plantes et d’animaux. Mais attention aussi aux phages ! Même si une bactérie peut être détruite par un phage qui lui est spécifique, dans la même espèce, il peut exister aussi des souches résistantes ! Il y a donc des nouvelles possibilités si on maîtrise bien le phage et la bactérie, mais il ne s’agit pas d’une alternative « antibiotique versus phages » : on aura toujours besoin de ces deux modes d’action. J’ajouterais que les travaux préliminaires annoncés sur les molécules « antibiotiques » postulées comme protégeant les jeunes marsupiaux dans la poche de leur mère n’ont pas encore abouti ; il serait utile de savoir où en est la recherche dans ce secteur.
    Une dernière remarque : il me semble assez lamentable que les phages ayant été particulièrement étudiés par les scientifiques français (prix Nobel de Lwoff, Jacob, Monod) n’ont pas permis à la France d’être en pointe dans le domaine de la recherche sur leur utilisation en tant qu’agents antibactériens lors d’infections chez l’Homme ou l’Animal.

  • et que feront ces virus une fois qu’ils auront bouffé les bactéries? comment s,assurer qu’ils n’infilterront pas les cellules du corps?

  • Les commentaires sont fermés.

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