La proposition de loi NGT : une avancée, mais minime

Le texte adopté par le Parlement européen en faveur des nouvelles techniques génomiques ne répond pas à l’enjeu biotechnologique en Europe.

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La proposition de loi NGT : une avancée, mais minime

Publié le 9 février 2024
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1983-2014. Les biotechnologies végétales en Europe, de l’enthousiasme au suicide technologique

Pour comprendre le vote récent du Parlement européen sur ce que l’Union européenne nomme les nouvelles techniques génomiques (NGT), il faut remonter à l’invention de la transgénèse végétale en 1983. C’est-à-dire la possibilité de transférer directement un gène (un fragment d’ADN) d’un organisme quelconque, d’où ce gène a été isolé, vers une plante (c’est aujourd’hui possible pour presque toutes les espèces végétales cultivées). Cette dernière portera ainsi un nouveau caractère héréditaire. Par exemple, une résistance à certains insectes ravageurs, ou à des virus, ou encore une tolérance à un herbicide. Le champ des possibles de la sélection de nouvelles lignées de plantes s’est ainsi fortement accru.

En 1990, l’Europe (le Conseil des ministres) a publié une Directive destinée à encadrer l’utilisation hors-laboratoire de telles plantes transgéniques.

Pourquoi pas ? Seulement, cette Directive a de nombreux défauts que des scientifiques se sont évertués à pointer, sans être écoutés. Cette Directive inventa le concept juridique d’organisme génétiquement modifié (OGM). Ainsi, un terme générique, les « modifications génétiques », qui sont fréquentes dans la nature (elles ont permis l’évolution des espèces et ont créé la biodiversité) est utilisé dans un sens restrictif, pour viser réglementairement une technologie (la transgénèse) pour la seule raison qu’elle est nouvelle. De plus, la définition légale d’un OGM au sens européen inclut le concept de non « naturel », alors que le transfert de gènes existe dans la nature (en fait les biotechnologies végétales ont largement copié la nature). Le public est ainsi incité à penser que ces « modifications génétiques » sont uniquement le produit d’une opération humaine entièrement inédite et de plus contre-nature.

Jusqu’au milieu des années 1990, ni la presse ni le public ne se sont intéressés aux OGM. Tout changea lors de la crise de la « vache folle », dont le début coïncida, en 1996, avec l’arrivée des premiers cargos de soja transgénique en provenance des États-Unis. Les OGM furent assimilés à des pratiques productivistes et contre-nature, comme celle qui a conduit à l’épizootie l’encéphalopathie spongiforme bovine. Le lynchage médiatique ne pourra être stoppé… En réalité, il a été favorisé par la sotte Directive de 1990. Avec OGM, pas besoin de détailler les propriétés (favorables) de la plante transgénique : sans en savoir plus, les trois lettres suffisent pour inciter au rejet.

Celui-ci a été alimenté par une puissante coalition d’acteurs qui imposa les termes du débat : OGM = profit pour les seules « multinationales » + manque de recul, donc catastrophes sanitaires et environnementales certaines. Cette galaxie anticapitaliste, jamais à court de mensonges, incluait les organisations de l’écologie politique et altermondialistes, des organisations « paysannes » opposées à l’intégration de l’agriculture dans l’économie de marché, ainsi que des associations de consommateurs qui voyaient une occasion de justifier leur existence.

À l’origine, les partis politiques français de gouvernement affichaient un soutien aux biotechnologies végétales, jugées stratégiques (seuls les écologistes et une partie de l’extrême gauche, ainsi que le Front national y étaient opposés). Peu à peu, par soumission idéologique ou calculs électoralistes (ou les deux…), les responsables politiques firent obstacle au développement des plantes transgéniques. La culture des maïs transgéniques fut interdite par une loi en 2014.

 

L’Europe engluée dans le précautionnisme

Par une législation adaptée, par exemple, les États-Unis ont su récolter les bénéfices des biotechnologies végétales, tout en maîtrisant raisonnablement les risques. Dans une perspective de puissance, la Chine a investi massivement dans ces biotechnologies (avec cependant un frein au niveau des autorisations).

L’Europe s’est, elle, engluée dans les querelles et tractations politiques autour des OGM, mais surtout dans le précautionnisme, c’est-à-dire une interprétation du principe de précaution qui impose de démontrer le risque zéro avant d’utiliser une technologie.

Il faut voir cette dérive comme une composante de l’idéologie postmoderne, celle de la culpabilité universelle de la civilisation occidentale. Et notamment d’avoir utilisé des technologies en polluant, en causant des accidents industriels et sanitaires, et même pour produire des armes de destruction massive. Tout cela est vrai, mais par un retour du balancier déraisonnable et même suicidaire, l’idéologie postmoderne impose ainsi de nouvelles vertus, qu’il conviendra d’afficher encore et toujours, sur tous les sujets, quitte à s’autodétruire.

J’analyse cette idéologie postmoderne dans mon dernier livre, De la déconstruction au wokisme. La science menacée.

 

Une certaine prise de conscience en Europe

L’évènement majeur des dernières années est l’avènement des nouvelles biotechnologies, aussi appelées « édition de gènes » ou NGT.

Cette invention a rapidement suscité un vif intérêt par ses possibilités nouvelles pour la recherche. Elle est relativement simple à mettre en œuvre par rapport à d’autres techniques de mutagénèse (modifications des « lettres » qui compose l’ADN). Sans surprise, les opposants aux OGM ont le même regard sur ces nouvelles biotechnologies, et produisent une argumentation visant à créer des peurs. Au contraire, des États membres de l’Union européenne se sont inquiétés d’une nouvelle débâcle en Europe pour ces biotechnologies, en raison d’une réglementation OGM inadaptée.

En juillet 2023, la Commission européenne a présenté une proposition de loi sur les NGT. La première motivation de la Commission était que les végétaux NTG contribuent aux objectifs de son Pacte Vert et des stratégies « De la ferme à la table » et en faveur de la biodiversité. En fait, la Commission craint que ses objectifs, fortement marqués par l’idéologie, et non par la prise en compte de la réalité, ne puissent être atteints sans le concours des biotechnologies.

Le cadre idéologique de la proposition de la Commission reste cependant postmoderne, c’est-à-dire ancré dans une utopie du « sans tragique » étendue aux risques technologiques (principe de précaution) au détriment de la puissance de l’Europe, et où la notion de progrès s’est diluée.

Il faut cependant noter que, par rapport à des textes antérieurs, le texte de la proposition de loi de la Commission a, dans une certaine mesure, pris conscience de la réalité. Il y est dit que « la pandémie de Covid-19 et la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine ont aggravé la situation de l’agriculture et de la production alimentaire européennes en mettant au jour les dépendances de l’Union à l’égard de l’extérieur en ce qui concerne des intrants critiques pour l’agriculture ».

 

La proposition de loi NGT : une avancée, mais minime

Malgré l’inadaptation de la Directive OGM (reconnue par certains dans la Commission), celle-ci n’est pas modifiée. Les insertions d’ADN étranger (souvent les plus utiles) qui peuvent aussi être réalisées par la technologie NGT, resteront soumises à cette Directive.

Pour les autres produits des NGT, c’est-à-dire des modifications plus ponctuelles des lettres de l’ADN (mutagénèse), deux catégories seront créées en fonction de l’étendue de la mutagénèse, qui allègent soit fortement, soit plus modérément, les obligations imposées par la réglementation.

La catégorie NGT-1 concerne les lignées de plantes considérées comme équivalentes à celles qui auraient pu être obtenues (en théorie) par sélection de plantes par des méthodes dites conventionnelles, en statuant (sans aucune base scientifique) que le nombre de lettres modifiées ne doit pas dépasser 20 (pourquoi 20 et pas 21 ?). Sinon, le produit est classé dans la catégorie NGT-2, donc impossible à commercialiser en Europe en raison du coût exorbitant de l’évaluation des risques imposée par la Directive OGM, même partiellement alléguée.

Sont en revanche exclues d’office de la catégorie 1, selon les amendements du Parlement, les plantes tolérantes à un herbicide, par pure idéologie antipesticide, sans distinction au cas par cas (par exemple si la variété biotechnologique permet d’utiliser un herbicide plus respectueux de l’environnement que ce qui est pratiqué conventionnellement).

Est en revanche inclus dans la catégorie 1, l’insertion d’ADN (y compris de plus de 20 lettres) si cet ADN provient d’un organisme qui aurait pu servir dans des croisements opérés par les sélectionneurs. Un choix, là aussi sans base scientifique, qui procède de l’idée fausse que si le produit aurait pu être obtenu (en théorie) par des méthodes conventionnelles – comprendre naturelles pour la Commission – alors ce produit ne nécessite pas d’évaluation des risques.

Le texte amendé du Parlement introduit à de nombreuses reprises « Conformément au principe de précaution », ce qui laisse augurer des contentieux devant les cours de justice, qui pourraient prendre argument que l’autorisation d’une lignée NGT n’est pas conforme à ce principe.

 

L’Europe ne rattrapera pas son décrochage

390 produits issus des biotechnologies végétales (dans le jargon scientifique, on parle d’évènements de transformation) ont été autorisés dans le monde depuis 1995. Dont seulement deux dans l’Union européenne (dont un qui n’est plus commercialisé, et l’autre uniquement cultivé en Espagne, un maïs résistant à certains insectes ravageurs).

Si l’on examine les brevets (comme reflet de la vitalité inventive dans un domaine, en l’occurrence biotechnologique), l’Europe a largement décroché par rapport aux États-Unis et à la Chine (le lecteur est invité à voir la figure 1 de notre publication dans un journal scientifique, qui concerne les brevets basés sur la technologie NGT la plus utilisée). On peut parler d’un contexte idéologique en Europe en défaveur des brevets, et donc de l’innovation, au moins en ce qui concerne les biotechnologies. Les amendements introduits par le Parlement dans le projet de loi NBT en « rajoute même une couche » dans l’obsession anti-brevet, alors que la législation sur les brevets biotechnologiques est équilibrée en Europe, et ne menace aucunement les agriculteurs (en Europe, les variétés de plantes ne sont pas brevetables, seules les inventions biotechnologiques en amont le sont ; l’agriculteur peut ressemer des graines, même de variétés issues des biotechnologies…).

Comme seule une toute petite partie des inventions potentiellement produites par les NGT pourra trouver grâce aux yeux de la législation européenne, il est illusoire de penser que la situation des biotechnologies s’améliorera significativement dans l’Union. De plus, le 7 février 2024, le projet de loi n’a obtenu qu’une courte majorité des eurodéputés (307 voix pour, 236 contre), ce qui laisse augurer d’autres batailles de tranchées visant à bloquer les biotechnologies végétales.

*L’auteur de ces lignes n’a pas de revenus liés à la commercialisation de produits biotechnologiques. Ses propos ne refètent pas une position officielle de ses employeurs.

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  • tyrannie démocratique banale..
    il ne faut alors pas parler spécifiquement des ogm mais de la justification de toute réglementation.

    même précautions sanitaires pour toutes les nouvelles variétés sur le marché..

    pif, i paf pouf, interdiction à venir des moteurs thermiques…
    et si le consommateur n’en veut pas, il n’achete pas point barre.

    La véritable discussion est à mes yeux environnementale; or l’idée qu’il faille avant tout protéger « l’environnement » et/ou les écosystèmes » naturels » , si elle est stupide plus exactement contraire au développement humain ,en soi, et bel et bien présente et largement partagée ..Oui, la culture d’un ogm peut impacter l’environnement, comme d’ailleurs la culture de toute nouvelle plante..

    La construction ou rénovation d’une maison impacte ‘environnement, l’accroissement de la population, l’augmentation de son niveau de vie..etc toute action de développement..

    L’environnementalisme réclame A MINIMA l’arret du développement humain.

    Je vais rappeler encore que dans la grande généralité il est impossible de hiérarchiser objectivement deux actions différentes pour un résultat donné…

    En somme on ne peut pas dire faire comme ça est pire que faire comme ça…on peut juste dire que impacts sont différents , il faut choisir alors une grille d’évaluation subjective pour dire ça est mieux que ça…au grand bonheur des marchands l de labels pseudo environnementaux.

    Nous avons eu une idée du progrès quia reposé sur le développement humain!!!

    Il faut dénoncer l’escroquerie environnementale qui a réussi à faire croire aux gens qu’il vivront mieux si ils protègent « la nature »…La fraude est d’ailleurs un environnement quasiment à 100% artificiel..
    L’agriculture ne protège pas les écosystèmes, l’agriculture c’est modifier sinon bouleverser des écosystèmes!!!

    alors SI vous ne voulez pas changer les écosystèmes il faut bien entendu interdire les ogm…mais pas que!!!!!!

    Mais si vous abandonnez cette idée délétère , alors il faut un nouvel argument pour les interdire, ou choisir une métrique environnementale et s’y tenir…pour toute plante.. ou accepter d’etre dans l’emotion… et laisser gagner les menteurs et les tyrans en herbe.

  • Soyons positifs : le nouveau texte est, en fait, un premier coin enfoncé contre l’obéissance grégaire à un sentiment anti-OGM né dans le cerveau obscurci d’un ou de plusieurs responsables de Greenpeace qui s’est développé sur le champ fertile de l’ignorance des cancres européens qui préfèreront toujours, pour leur sieste habituelle, l’oreiller de l’approximatif émotionnel à la dure couche de la rigueur scientifique.
    C’est un premier pas, espérons que d’autres suivront.

    • être anti ogm est ok….
      vouloir les interdire est autre chose..

      ça dit les ogm me font du mal…même si je n’en achète pas. et plus que les cultures non ogm..
      eh ben….impossible à dire…

      DONC accepter si on les interdit que c’est arbitraire… banale tyrannie démocratique c’ets différent de prétendre qu’on sait…

  • C’est un début. On attend maintenant les NGT+.
    Ha ha !

    -1
  • Depuis le rachat de Monsanto par Bayer, c’est fou ce que les allemands et Von der Layen commencent à retourner leurs vestes. La France qui était en pointe sur ce sujet dans les années 90 a été torpillée par les allemands en retard. Grâce à l’achat de Monsanto, les OGM sont les meilleurs amis des allemands et bientôt des écolos et de l’Europe. Il faut juste une 10 zaine d’années pour que les allemands les convainquent que les OGM c’est l’écologie de demain. Vous allez voir que la prochaine génération écolos va vous expliquer que les OGM sont bosn pour la planète ( pas de pesticides, moins d’eau, plus de rendements donc moins de terre à cultiver, etc, etc).
    Si c’est bon pour les allemands, c’est bon pour l’Europe, pour les écolos et pour la planète.

  • le plus effrayant c’est que l’Europe et en particulier UVDL ont forcé les citoyens européens à se faire vacciner contre le COVID avec des vaccins à ARN dont les dernières études montrent qu’ils sont de modifier le génome humain. Pourquoi interdire à des humains « OGM » de consommer des plantes OGM ??????

    -1
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