Par Michel Gay et Jacques Treiner.
Les étudiants d’aujourd’hui seront les cadres et les responsables politiques qui décideront de l’évolution de la société de demain.
Or, les questions de société dans lesquelles la science est impliquée vont en nombre croissant : nucléaire, OGM, nanotechnologies, ondes électromagnétiques, réchauffement climatique. Ces domaines doivent faire l’objet de décisions importantes en tenant compte d’une science souvent récente, non encore stabilisée, et nécessairement hors de portée des non spécialistes.
Dès lors, quelle place attribuer à la connaissance dans le débat public ?
Quelle place donner à l’incertitude raisonnée dans la décision ?
Comment les nouvelles générations vont-elles gérer les bouleversements dus à l’accélération temporelle récente d’origine scientifique ?
Tant que la science et sa mise en œuvre « technique » étaient séparées par un temps long, de l’ordre d’une génération ou plus, les processus de stabilisation des connaissances pouvaient opérer. L’accommodement humain aux changements était pris en charge progressivement par les nouvelles générations, ou parfois plus rapidement lors de violents conflits accélérateurs.
Mais, aujourd’hui, l’opinion tend à prendre le pas sur la connaissance. Des campagnes médiatiques répercutées à l’infini par Internet tentent même d’orienter cette opinion, vraie ou fausse, sensée ou ridicule, honnête ou malveillante.
On voit resurgir la logique « politique » des promoteurs de la science prolétarienne qui condamnaient la génétique, ou celle de la science Nazi identifiant la physique faite par des juifs à de la physique juive, c’est-à-dire à de la « mauvaise physique ».
Ainsi, certains cercles d’influence ont choisi d’introduire du doute en discréditant systématiquement les résultats scientifiques qui fondent une société, ou une politique, plutôt que de s’y opposer frontalement. Le doute artificiellement introduit dans la population (qui élit régulièrement ceux qui votent les lois) est le levier par lequel l’opinion du public (appelée « l’opinion publique ») tend à supplanter la connaissance et la science.
Débat et loi
Les étapes des débats scientifiques sont très différentes de celles des débats de société où la science est impliquée.
Les théories scientifiques sont généralement ignorées par le grand public, et c’est normal. La mécanique quantique est à l’origine d’une bonne part du produit national brut (PNB) de la France, mais les concepts quantiques sont ignorés par 99,9…% de la population. De même pour la relativité générale, qui est pourtant nécessaire au fonctionnement d’un banal GPS utilisé dans nos voitures.
En revanche, la mise en œuvre « technique » d’une technologie qui résulte de ces théories est un acte social. Internet, par exemple, a des effets politiques directs. La science induit des changements de rapport entre les individus, ainsi que des changements dans leurs rapports avec la nature.
Cependant, après des débats, toute découverte scientifique conduit à une stabilisation des connaissances, puis éventuellement à l’ouverture de nouvelles recherches.
Mais un débat de société ne nécessite aucune stabilisation de principe, car l’implantation d’une technique relève de choix que l’on peut toujours remettre en cause. Les « lois » de la physique ne se votent pas au Parlement.
Pour l’anecdote, un député français aurait déclaré (en 2010) en évoquant les lois de Kirchoff sur la distribution du courant dans les réseaux électriques européens : « Ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire » ou une variante « les lois de Kirchoff sont dépassées, il faut en voter d’autres« …
La science ne fonctionne pas ainsi. Elle a besoin d’institutions et de procédures de validation des énoncés scientifiques.
Les Académies ont été les premiers lieux que les scientifiques se sont donnés pour confronter leurs découvertes : l’Accademia dei Lincei (l’Académie des Lynx !) est créée en 1609 en Italie, la Royal Academy en 1660 en Grande-Bretagne, l’Académie des Sciences en 1666 en France, etc.
Une connaissance scientifique n’est reconnue que lorsqu’elle a passé avec succès les procédures de validation et d’évaluation par les pairs avant publication (peer review).
En 1965, Richard Feynman avait dit :
« Nous cherchons une nouvelle loi par le processus suivant : d’abord on la devine. Ensuite, on calcule les conséquences de cette intuition pour voir ce qu’impliquerait cette loi si elle était juste. Ensuite, on compare le résultat du calcul avec l’observation, pour voir si cela fonctionne. Si elle est en désaccord avec l’expérience, la loi n’est pas bonne.
La clé de la science réside dans cette simple déclaration. Quelle que soit la beauté de votre conjecture, ou l’intelligence, ou le nom de celui qui l’a émise, si elle est en désaccord avec l’expérience, elle est fausse. Voilà tout ce qu’il y a à dire ».
Ce n’est pas plus compliqué que cela. Il est alors étonnant que des philosophes, des sociologues ou des journalistes, au lieu de rappeler ces règles simples, confondent le débat médiatique avec un débat scientifique, ce qui est une façon de discréditer la science et de la dissoudre dans la sociologie.
Qu’est-ce qu’une question scientifique ?
Une question est scientifique si, pour y répondre, il est possible de mettre en place un processus non verbal, c’est-à-dire une expérience. Certes, la préparation de l’expérience et son interprétation nécessitent la langue pour la « verbaliser », mais entre les deux se situe cet instant crucial où la nature s’exprime tandis que la parole humaine se tait. Une expérience est une question posée à la nature. Et elle répond dans son langage par un phénomène physique. Les incertitudes propres à la science sont fiables.
L’origine de la stabilisation des connaissances scientifiques est dans l’unicité de cette réponse de la nature à une question posée. Ce n’est évidemment pas le cas dans le champ social. Par exemple, la disparité des systèmes éducatifs de sociétés ayant des niveaux de vie voisins montre que, à une question sociale donnée, les réponses sont multiples.
Science et technique
Un phénomène est découvert, mais sa concrétisation dans un objet technique est une invention. Cette distinction est importante et, lors de la création du Palais de la découverte en 1937, Jean Perrin fixait sa mission ainsi : montrer des phénomènes, pas des objets.
Les exemples de couples « découverte puis invention » sont nombreux : l’électromagnétisme et les réseaux électriques, la relativité générale et le GPS, la thermodynamique et le moteur à explosion, la théorie des nombres et les codes de nos cartes bleues, la fission nucléaire et les réacteurs électrogènes nucléaires.
Découvrir, c’est chercher à comprendre les lois qui gouvernent la nature, c’est recréer le monde par la pensée.
Inventer, c’est répondre au cahier des charges d’une utilisation humaine, potentiellement changeante et variable dans le temps.
Le concept de techno-science, populaire chez certains sociologues, tend à abolir la différence entre ces deux mouvements de la pensée et de l’action. Mais il est essentiel de maintenir cette distinction entre découverte et invention, plutôt que d’englober tout ce qui relève de la science en un bloc de techno-science.
Place de la science dans la société
Bien sûr, la population peut participer à des débats techniques sans connaître tous les éléments scientifiques en jeu. Mais il est essentiel d’en connaître les grandes lignes et de savoir identifier où se trouvent les sources scientifiques fiables, celles qui fonctionnent suivant les procédures d’évaluation par les pairs, celles qui s’occupent d’établir les faits. Toutes les connaissances ne se valent pas, même en démocratie.
La science doit être indépendante des opinions politiques et des valeurs à la mode (autres que celles qui gouvernent le travail scientifique).
Sinon, un dangereux scientisme viendra dissoudre la controverse scientifique dans les controverses sociales qui, elles, se règlent souvent par des rapports de force. Or, en science, la loi du plus fort est rarement la meilleure et elle ne devrait pas être liée à des opérations à connotation politique.
Ainsi, dans le domaine de l’énergie, il est indispensable, dans le cadre d’un débat public sur l’implantation d’éoliennes, d’avoir une idée de la puissance récupérable par le vent, de savoir ce qu’est l’intermittence de la production électrique et le stockage de cette production, de connaître les régimes de vents à l’échelle d’un pays ou d’un groupe de pays comme l’Europe, ainsi que les capacités des réseaux électriques à absorber des sources fluctuantes, etc. Pourtant, les réactions émotives, comme l’impact des éoliennes sur les paysages et sur la santé, sont souvent dominantes dans les réactions des populations contre leurs implantations. Et ces arguments se heurtent à des soutiens idéologiques politiques et aux intérêts financiers des promoteurs et des communes.
Dorénavant, parmi le foisonnement d’informations qui émanent de toutes parts, les étudiants et les responsables politiques ont la rude tâche de reconnaître rapidement où se trouve la connaissance et où sont les faux « experts » qui foisonnent.
S’agissant de connaissances scientifiques, c’est l’une des missions des enseignants et des « vrais » scientifiques de les aider à s’y retrouver.
La culture scientifique, c’est peut-être cela : savoir reconnaître les sources fiables, celles auxquelles nous pouvons décider d’accorder notre confiance sans laquelle le « bien vivre ensemble » disparaît. Elle repose sur le respect de la démarche et des procédures scientifiques. Certes, elles ne garantissent pas contre les erreurs, mais l’histoire a montré qu’elles parviennent toujours, et souvent rapidement, à les corriger.
Douter s’apprend ! Mais c’est difficile. Il faut faire preuve de discernement et parfois aussi… de bon sens.
Cependant, même s’il est aujourd’hui de bon ton de mettre systématiquement en doute toute parole académique, il serait utile de se rappeler les paroles d’un grand scientifique, Poincaré (1854 – 1912) : « douter de tout ou tout croire, sont deux solutions également commodes : l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir ».
je ne supporte plus l’utilisation faite du mot science, la science ou savoir reste un objectif, la science est ..toujours stable, l’opinion qu’on s’en fait varie .. ce genre d’argutie devrait être sans interet SAUF que les mots science et surtout scientifiques sont désormais utilisés comme arguments d’autorité dans les débats..et il faut rappeler que les convictions et croyances d’un scientifiques n’ont pas plus d’intérêt que celle de n’importe qui…
les faits seuls comptent..
ces histoires de stabilisation sont bidons…on ne sait pas…on a le droit de dire ça…
La culture scientifique est peut être de savoir reconnaître les sources fiables… non je ne crois pas la culture scientifique est de savoir qu’il n’existe pas de personne qui ait un avantage sur un autre pour savoir…tant qu’il y a débat ce n’est pas encore de la science…pourtant, rien n’est jamais absolument prouvé … ce serait trop beau … des faits, des faits..des faits… il n’y pas de sources fiables il y a des sources qui racontent des conneries…toutes les autres sont « fiables » …
la science est intimement associée à la connaissance de sa propre ignorance, est ce un hasard si la m… qui nous arrive aux oreilles consiste en des annonces où on omet toujours l’incertitude? ou qu’on se fie à des modèles ?
Tout ça pour des éoliennes… comme si la moindre de nos décisions politiques n’était pas de la spéculation…on a le principe de précaution maintenant!!! désormais, c’est ignorer est un atout politique…
2 innovations , la dynamite et internet :
toutes les 2 sont des progrès considérables apportées a la société pourtant toutes les 2 sont dangereuses . on ne peut pas s’abstenir d’avoir un débat sur une innovation et faire la balance entre profit et perte . la science n’est rien sans son application sociale et si le social dit , les OGM sont dangereux, les OGM sont dangereux . on n’est plus dans le domaine scientifique mais commercial où tout est douteux car tout n’est que campagnes publicitaires et où le mensonge est obligatoire et légalisé a coup de millions d’euros et d’experts a la solde du plus offrant .
Rhooo vous nous ressortez le fort qui écrase le faible. En premier lieu il faudrait déjà faire appel au principe de responsabilité pour montrer que si le fort se trompe, il indemnise le faible. D’autre part les faibles peuvent se fédérer s’ils se sentent attaqués : ce devrait être le rôle des syndicats et des associations de consommateurs qui peuvent être bien plus puissants que n’importe quel industriel. Si ces associations n’ont pas cette force c’est soit que la menace n’existe pas (amha), soit que l’information ne circule pas (ou est détournée).
en effet , mais connais tu une seule association en vue non dépendante d’un pouvoir financier , moi mème , une belle enveloppe et je deviens socialiste 😉
je pense que nous sommes dans cette situation a cause de la justice , un justice qui n’a pas évoluée avec son temps, et je ne fais pas que de le penser , j’en suis certain , elle n’est adaptée que pour les voleurs de poules..et encore , ils ont évolué !
Oui pour ce qui concerne l’éolien c’est étonnant de voir l’argument paysager prendre le pas sur l’argument intermittence de la production. Au pire ce devrait être juste une externalité négative dans le calcul final.
au contraire , c’est une évolution positive, les pertes d’argent sur les terres environnantes sont plus visibles par le public que celles de son exploitation
depuis , on a inventé l’hydrolienne…pour continuer les affaires et se débarrasser des ‘paysages’
« Douter s’apprend ! Mais c’est difficile. Il faut faire preuve de discernement et parfois aussi… de bon sens. »
Justement, pas de « bon sens » ! C’est là tout le problème, et c’est la science qui a révélé que le bon sens est pratiquement toujours à l’opposé des lois scientifiques.
cf Etienne Klein dans « Conversation avec le Sphinx : les paradoxes en physique »
_ Le sens commun : la fraction consensuelle de nos tempéraments, la fabrique de nos préjugés, il inhibe notre réflexion, donne des réponses toute faites.
_ Le bon sens : préjugé, certes, mais fort utile dans la nature ( croyances indispensables retenues par la sélection naturelle); ultime bouée à laquelle on se garde bien de recourir tant qu’il y a encore un reste de critique.
Il vaut mieux parler de « sens critique » que de « bon sens »
Excellent article à faire connaître partout sur la toile
En complément, je soulignerais deux choses:
– notre système éducatif dérive de plus en plus en matière scientifique: moindre place de la démonstration en maths au profit de l’utilisation d’énoncés (et que dire quand on demande aux élèves de remplir des QCM!), programmes de physique ou de biologie qui font place à l’idéologie sur un certain nombre de sujets, comme si ces matières devenaient peu à peu simplement l’occasion d’inculquer ce qu’il faut penser sur tel ou tel sujet. Minimiser l’importance de la preuve ne prépare pas l’avenir.
– un certain nombre de spécialités qui utilisent les mathématiques sont regardées par le public, pour cette raison, comme scientifiques, et donc leurs affirmations sont considérées comme indiscutables. En ce sens, le terme de « sciences humaines » est inapproprié.
Cet article a le mérite de rappeler les bases du débat scientifique.
En matière de science, il est parfois bon de consulter des analyses menées « près de chez soi ».
Ainsi, nombre d’acteurs évoluant dans l’immensité de la PSEUDO_SCIENCE se trouvent dénoncés par AFIS : http://www.pseudo-sciences.org/
L’appât du prestige éphémère sinon celui du gain s’y trouvent régulièrement dénoncés…
« Ainsi, certains cercles d’influence ont choisi d’introduire du doute en discréditant systématiquement les résultats scientifiques qui fondent une société, ou une politique, plutôt que de s’y opposer frontalement. »
C’est amusant, c’est précisément ce que fait Contrepoints au sujet de la science du climat !
« c’est précisément ce que fait Contrepoints »
Et Contrepoints a raison, et c’est M. Gay qui a tort ici. Il mélange la science fondamentale et la science appliquée sous forme de technologie. La science doit toujours être remise en question car il est impossible de prouver qu’elle est « vraie ». La technologie n’a pas besoin d’être prouvée : ça marche ou pas, ça répond au besoin ou pas. Le seul point commun entre les deux est la nécessité de rigueur et d’honnêteté intellectuelle – deux choses de plus en plus rares …
« La science toujours remise en question » il faudrait aussi ajouter l’importance du niveau de preuves qui pour certaines théories sont difficilement contestables.
par exemple, difficile de croire qu’un jour il serait possible de prouver que la lune ne tourne pas autour de la terre.
Et pourtant, même dans ce cas, il faut éviter la posture dogmatique ; le doute raisonnable et la rigueur sont indissociables de la pensée scientifique.
Depuis le 17ème siècle et les lumières la science a imprimé le progrès. Depuis 20 ans les politiques , les médias, les partis politiques et toute la bien-pensance hurle à la peur et au rejet de la science. Faites le compte : sur les 200 derniers ministres, combien de scientifiques ?
Nous sommes en pleine une régression, une vraie.