Indemnités prud’homales : la dernière chance de Myriam El Khomri

Myriam El-Khomri aura-t-elle le courage de réformer le montant des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

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Myriam El Khomri credits Parti Socialiste via Flickr ( (CC BY-NC-ND 2.0)

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Indemnités prud’homales : la dernière chance de Myriam El Khomri

Publié le 12 janvier 2016
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Par Émilien Halard.

Myriam El Khomri credits Parti Socialiste via Flickr ( (CC BY-NC-ND 2.0)
Myriam El Khomri credits Parti Socialiste via Flickr ( (CC BY-NC-ND 2.0)

Le Code du travail français exige que tout licenciement soit justifié par une cause réelle et sérieuse. À défaut, le salarié peut faire condamner son employeur à des dommages-intérêts au montant en grande partie aléatoire.

Cette règle protège ceux qui ont déjà un emploi. Mais cette même règle dissuade également les entreprises de recruter. En effet, elle augmente le risque financier lié au recrutement. C’est pour lever ce frein à l’embauche que le projet de loi Macron avait créé deux dispositifs encadrant le montant des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : un barème obligatoire et un référentiel indicatif.

Le barème obligatoire prévoyait des planchers et plafonds d’indemnité différents en fonction de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise. Il a été censuré par le Conseil constitutionnel au motif que le critère de l’effectif de l’entreprise n’offrait pas de liens avec le préjudice subi par le salarié et qu’il constituait ainsi une différence de traitement injustifiée.

Quant au référentiel indicatif, dont la constitutionnalité n’a pas été mise en cause, il doit fixer le montant de l’indemnité susceptible d’être allouée, « en fonction notamment de l’ancienneté, de l’âge et de la situation du demandeur par rapport à l’emploi ».

Ce référentiel n’est qu’indicatif : les conseillers prud’homaux sont libres d’accorder des sommes plus importantes ou moins importantes que celles prévues dans le référentiel, à moins que le salarié et l’employeur en litige se mettent d’accord pour en demander la stricte application.

Toujours à la recherche de moyens d’action contre le chômage, Manuel Valls a annoncé son intention de réintroduire un barème obligatoire d’indemnités à travers un nouveau projet de loi qui respecterait cette fois les exigences constitutionnelles et prévoirait donc les mêmes plafonds et planchers quel que soit l’effectif de l’entreprise.

Toutefois, l’instauration d’un barème obligatoire ne se fera pas sans vague. En effet, plafonner les indemnités prud’homales signifie faciliter les licenciements. Cela signifie aussi diminuer pour le salarié l’intérêt de disposer d’un CDI. Cette mesure constituerait donc un pas supplémentaire dans la voie de la politique plutôt libérale mise en œuvre par François Hollande depuis son élection (pensons au « pacte de responsabilité » et au CICE).

La mesure ferait également l’objet d’une fronde de la grande majorité des conseillers prud’homaux. En effet, les juges du Conseil de prud’hommes font valoir qu’un barème obligatoire les empêcherait de juger en équité et d’accorder des indemnités plus ou moins importantes en fonction du comportement de l’employeur et du préjudice réellement subi par le salarié. C’est pourquoi il serait peut-être plus pertinent de se contenter du référentiel indicatif également prévu par la loi Macron.

Tout en étant adaptable aux circonstances, ce référentiel présente le même intérêt que le barème obligatoire qui a été censuré. En effet, il est rare que le salarié fournisse aux prud’hommes des pièces prouvant la réalité d’un préjudice sortant de l’ordinaire.

Dans la majorité des cas, ce référentiel indicatif devrait donc être appliqué. Il permettrait ainsi aux employeurs d’avoir une véritable visibilité sur le coût d’un licenciement. L’entrée en vigueur de ce référentiel est suspendue à la prise d’un décret en Conseil d’État après avis du Conseil supérieur de la prud’homie.

L’actuel ministre du Travail, Myriam El Khomri aura donc son mot à dire sur le sujet. Et son intervention pourrait être déterminante.

En effet, un des écueils du barème obligatoire de la loi Macron était la largeur de ses fourchettes d’indemnisation. Ainsi, pour un salarié ayant 3 ans d’ancienneté dans une entreprise de 25 salariés, le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pouvait osciller entre 4 et 10 mois de salaire. On comprend la volonté du législateur de ménager la chèvre et le chou en produisant un barème obligatoire qui laisserait malgré tout une certaine latitude aux conseillers prud’homaux.

Mais l’inconvénient de la largeur de ces fourchettes est qu’elle laisse dans l’incertitude juridique aussi bien le salarié que l’employeur.

Avec le référentiel indicatif, au contraire, il serait possible de prévoir des fourchettes très précises, avec, par exemple, un montant indicatif pour chaque année d’ancienneté.

Par définition, cela n’ôterait rien à la liberté d’appréciation des conseillers prud’homaux. En outre, cela inciterait grandement à conclure une transaction plutôt qu’à attendre la fin de la procédure judiciaire. De fait, il est plus facile de couper la poire en deux lorsque l’on a une certaine vision des gains et pertes encourus.

Au passage, en désencombrant les Conseils de prud’hommes, cette mesure permettrait que soient traités plus rapidement les autres litiges prud’homaux.

Alors que le projet de loi de réintroduction du barème obligatoire risque de s’enliser face à l’hostilité de la propre majorité présidentielle (on entend déjà les cris d’orfraie de Gérard Filoche…), la production du référentiel indicatif se fera par décret, sans débat parlementaire.

C’est donc là pour Myriam El Khomri une occasion inespérée de prendre sa première grande mesure politique.

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  • Je ne vois pas du tout pourquoi en Libéralie des dommages et intérêts devraient être plafonnés par la loi. Le problème, ici, est bien qu’on empêche employeurs et employés de contracter comme ils l’entendent.

    Compenser une atteinte à la liberté par une autre n’a jamais été une solution.

  • La dénomination « Employeur » recouvre des dimensions économiques et patrimoniales disparates. Une grande entreprise aura plus de facilité à recaser un salarié qu’un artisan. Le Code du Travail doit donc faire la différence entre l’artisanat ou la TPE, et l’entreprise moyenne ou grande. Les moyens n’étant pas les même, les obligations doivent être différenciées.

    Sur ces catégories différenciés selon leur moyens, laisser le Juge Prud’hommal évaluer le préjudice. Un mode de calcul ou une fourchette cadrant les indemnités pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse est-elle utile ? Oui si elle fait consensus majoritaire dans la profession, donc décidée au niveau des Conventions collectives mais sûrement pas au Parlement.

    Le concept universaliste d’ « employeur » provient sûrement de la doxa communiste du Législateur de la IVe République. Une réforme libéral devrait nous en débarrasser.

    S’agissant des grandes entreprises elles provisionnent les procédures et se fichent pas mal d’avoir un motif réel et sérieux de licencier. Un artisan n’aura pas les même moyens juridiques et financiers.

    Au fait si le CDI peut être révocable ad nutum, même avec indemnités forfaitaires, qu’est-ce qui justifie que des personnes aient un emploi à vie dans le secteur public ? La chance doit tourner pour tous. Non ? Il me semble que l’égalité en Droit, et l’égalité d’accès aux places de l’Etat, interdisent l’emploi à vie.

  • Les Prud’hommes, encore une quasi-spécificité française que le monde nous envie, avec ses juges sans formation ni responsabilité. Une justice totalement inefficace, dont l’existence même suscite plus de conflits qu’elle n’en résout. Il faut transformer les prud’hommes en instance de conciliation sans pouvoir de sanction, et laisser la liberté dans le contrat de travail de convenir des modalités de sa terminaison. Le barème d’indemnités de terminaison (et non de rupture, la rupture implique une faute de l’un des signataires) est chargé d’effets pervers au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, au moins tant que le code du travail ne sera pas ramené à moins de 100 pages.

    • vous parler sans savoir

      j’ai été conseiller prud’homale pendant 10 ans. les juges élus, sont, à parité, employeur et salarié. Le code du travail est l’outil de base , de référence. La loi, toute la loi s’applique donc. Chaque affaire est jugée au cas par cas, et dans le cadre de la loi.

      La conciliation, première étape, est presque toujours refusée par une des parties, souvent l’employeur. Les juges prud’homaux subissent les nombreux reports demandés par les avocats. Objectivement ce sont les avocats qui font le délai.

      Les conseillers prud’homaux viennent du monde de l’entreprise ce qui ne serait pas le cas de magistrats professionnels. J’ajoute que un conseiller prud’homal coûte infiniment moins cher à l’état, donc au contribuable, qu’un juge professionnel.

      Il est clair que le MEDEF veut tuer cette instance et que celle ci, aussi, fait de l’ombre aux magistrats professionnels.

      • Vous ne faites que confirmer ce que je dis.
        Les juges viennent du monde du travail donc leur formation en droit est superficielle tandis que leurs positions personnelles sont bien établies et loin d’être neutres, ils sont élus par des électeurs qui n’ont pas la moindre idée de qui ils sont et nul n’a le pouvoir de les destituer pour mauvaise performance, ils s’appuient sur un code du travail en constante augmentation, que nul ne maîtrise et où chaque partie trouve toujours matière à contester. Les trois quarts des jugements donnent lieu à appel, les motifs sur lesquels ils sont saisis sont susceptibles d’arguties sans fin (à commencer par qu’est-ce qu’une absence de cause réelle et sérieuse…).

        Il faudrait que la saisie des prud’hommes soit réservée aux quelques cas où un non-respect des termes du contrat (pas d’un des 4000 articles du code du travail) est rapporté par l’une des parties, et ne soit pas un moyen systématique pour le salarié de tenter sans risque d’obtenir une plus grosse prime de licenciement. Pour cela, ramener le code du travail à 100 pages, donner priorité aux termes du contrat de travail particulier, et écarter toutes les notions floues comme « juste », « sérieuse », suffiraient déjà à mon avis à désengorger les tribunaux. Accessoirement, ça faciliterait aussi les transactions, conciliations et arbitrages, et ça réduirait le coût pour le contribuable en divisant par 10 le nombre d’affaires à traiter.

        Car la question du coût pour le contribuable est bien moins simple que le seul coût des juges. Avec une législation claire et simple et des juges professionnels spécialisés, le nombre d’affaires et le temps de traitement de chaque cas seraient suffisamment réduits pour que même en dépensant beaucoup plus pour chaque juge, le contribuable fasse de substantielles économies.

        Que le MEDEF veuille tuer cette instance n’est pas en soi un argument pour la maintenir, même si ça n’est pas non plus en soi un argument pour la faire disparaître. Mais je suis toujours à la recherche de raisons d’efficacité pour la conserver, en vain.

        • permettez moi ces contradictions :

          -conseiller prud’homal ou magistrat professionnel ne font que respecter et appliquer la loi. Cette loi est faites par le législateur. Le poids du code du travail ne dépend pas d’eux.
          -un magistrat professionnel n’est pas révocable, ce qui n’est pas le cas d’un conseiller prud’homal (cas vécu à 2 reprises dans mon tribunal)
          -en matière de délai de traitement un magistrat professionnel ne fera pas mieux qu’une instance prud’homale : les performances de la justice française, dans ce domaine, sont bien connues hélas, mais curieusement personne ne demande des comptes à cette justice……lente, très lente.
          -comme je l’ai écrit, le délai est fait par les avocats et leurs nombreuses demandes de report. Une justice professionnelle ferait-elle mieux ?

  • Dans notre société où l’emploi à vie tend à disparaître, il est quand même ennuyeux d’ajouter de nouvelles lois basé sur l’ancienneté. En effet, cela constitue un manque à gagner pour les salariés qui change d’employeur. Au lieu de donner plus de liberté aux employés, cela les incite à rester à tout prix le plus longtemps possible chez leur employeur. Dans les faits, ces indemnités sont une prime de départ en plus du salaire. Le risque de ce genre de règle est que ces indemnités indicatives deviennent une nouvelle norme.

  • Il est très risqué d’embaucher à cause des charges sociales, puis ensuite à cause des obligations sociales à partir de 10 ou de 50 employés.

  • Heureux d’apprendre que pacte de responsabilité et CICE sont des mesures libérales…

    Sinon, effectivement, pour l’employeur c’est psychologiquement mieux de savoir ce que coutera un licenciement.

    Pour le motif obligatoire, cela pose un problème plus souvent qu’on ne le pense dans les petites structures.
    Il peut arriver que les 2 protagonistes(employeur/employé) ne peuvent plus se sentir(au propre ou au figuré).
    Il est alors malsain de faire durer ces situations, d’inventer des prétextes bidons, ou de manigancer pour obtenir un départ volontaire ou le licenciement, tout comme il peut être malsain de donner la vraie raison.

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