Êtes-vous en danger à l’hôpital en France ?

L’accumulation de tâches administratives menace la qualité de la médecine en France.

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Couloir d’hôpital (Crédits : Ralf Heß, licence CC-BY-NC-SA 2.0), via Flickr.

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Êtes-vous en danger à l’hôpital en France ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 27 juin 2015
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Par Bernard Kron.

Couloir d’hôpital (Crédits : Ralf Heß, licence CC-BY-NC-SA 2.0), via Flickr.
Couloir d’hôpital (Crédits : Ralf Heß, licence CC-BY-NC-SA 2.0), via Flickr.

Les tâches administratives, les pressions financières et les risques judiciaires retentissent sur la vie des praticiens et menacent la prise en charge des urgences. Le stress professionnel est croissant, il peut avoir de graves conséquences pour les patients et pour ces professionnels. Les procédures judiciaires sont une menace qui aggrave les sources de stress, entraînant chez certains praticiens des addictions pour y pallier. Le taux de suicide est deux fois plus élevé que la moyenne des professions médicales. Près d’un tiers des praticiens de bloc se disent « proches de craquer », en raison de ce niveau de stress qui s’amplifie chaque année.

Selon les résultats d’une enquête menée par l’Association de prévention du risque opératoire, un épuisement professionnel pourrait entraîner une augmentation des accidents opératoires. Pourtant beaucoup de chirurgiens maîtrisent tous les imprévus de leur pratique, exerçant ce métier avec passion et retrouvent avec un réel plaisir l’ambiance si spéciale de l’équipe du bloc opératoire.

Le savoir-faire chirurgical se perpétue dans nos hôpitaux publics et dans nos cliniques privées. Mais nombre de praticiens appréhendent la charge de travail quotidienne et quittent l’hôpital.

Une réorganisation indispensable 

Cette excellence est menacée par un acharnement à vouloir casser ce corps de métier leader dans son domaine. Ni le ministère de la santé, ni celui des affaires étrangères ne s’intéressent à cette aura de la chirurgie française et à sa promotion mondiale.

Nos hospitalo-universitaires et nos penseurs de la république devraient prendre conscience que des spécialités élargies sont irremplaçables. Ce savoir-faire risque de disparaître avec la retraite des derniers chirurgiens généralistes en activité.

Nous nous sentons bien seuls à porter le flambeau de notre pays. Or c’est la France que nous exportons, soit en accueillant nos collègues qui veulent apprendre, soit en allant les former sur place. Nos écoles de chirurgie forment des spécialistes venus du monde entier apprendre la french touch. Les spécialistes outre atlantique l’ont bien compris quand ils nous témoignent une certaine admiration devant un savoir-faire qui compense les insuffisances des budgets. L’habileté, la simplicité de la gestuelle et la parcimonie dans l’utilisation des matériels y sont légendaires bien au-delà de nos frontières.

Nos voisins ont créé un Surgery European Board alors que la France, dans son exception, a supprimé la spécialité de chirurgie générale, la considérant comme obsolète : no comment !

Le développement d’écoles de chirurgie avec de véritables laboratoires associant des simulateurs informatisés et des accès au modèle animal permettrait d’accélérer cet enseignement. L’AP-HP envisage de transférer l’École de chirurgie du Fer-à-Moulin à l’Hôtel-Dieu, ou à l’École Nationale Vétérinaire (ENVA) à Maisons-Alfort. À ce jour rien n’est encore décidé, mais pour les chirurgiens le temps perdu en déplacement serait pénalisant.

La plupart des sociétés françaises qui fabriquent les matériels chirurgicaux disparaissent, étranglées par le poids des charges. C’est toute une technologie qui s’évapore à l’étranger pour fabriquer en Allemagne, aux États-Unis, au Japon ou en Chine des instruments chirurgicaux conçus par nos spécialistes.

Il y a pire : lorsqu’une petite firme française de prothèses orthopédiques reconnue pour la qualité de ses produits, fait une erreur vénielle en oubliant le marquage du « label CE », la tutelle lui inflige des sanctions. Or, ce label n’est pas un gage de qualité, il donne simplement le droit de libre circulation sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Ces sanctions sont totalement disproportionnées par rapport au risque affiché comme nul, arguant du parapluie d’un principe de précaution, au péril même de la survie de l’entreprise.

Dans d’autres domaines certaines sociétés ont pris des mesures inadaptées venant de leurs plus hautes sphères et en ont subi de coûteux échecs, voire même une disparition pure et simple. C’est une vraie menace pour la chirurgie française. Pour les éviter, l’expérience des acteurs de terrain comme, en son temps, celle des peuples premiers serait irremplaçable. Cassandre avait annoncé la chute de Troie, ce qui a fini par se produire.

La querelle entre les anciens et les modernes serait stérile, s’il n’en sortait pas un progrès, comme ce fut le cas en littérature. La spécialisation de la chirurgie est un progrès incontournable, mais l’urgence nécessitera, comme aux armées, un enseignement spécifique.

Certains de nos collègues quittent alors le pays sans bruit pour aller développer les acquis de leur expérience en France et rejoignent des hôpitaux étrangers où les chirurgiens sont plus respectés. C’est un miracle que d’autres « s’accrochent toujours » pour que le drapeau de notre corporation flotte encore au vent.

Qui s’en rend compte et qui le regrette au pays de l’égalitarisme béat et du « toujours plus de gratuit » ? Ce sont les patients ! Ces exigences, attendues par ceux qui se confient à nous, sont très bien comprises par nos malades. Certains nous gratifient encore au-delà des honoraires versés, parfois de cadeaux que la loi a l’outrecuidance d’imposer car ils sont assimilés aux avantages en nature. Ces attentions de la part de nos patients nous touchent profondément par leur valeur émotionnelle bien plus que par leur valeur marchande. Elles traduisent sans parole la confiance et l’estime qui nous sont prodiguées en regard des attaques récurrentes contre la profession. Certains opérés le comprennent, ou pour le moins ceux qui reconnaissent encore que leur chirurgien est un maître d’œuvre de leur santé, travaillant pour les sauver ou les soulager.

La média médecine, la robotique (cf. page 229 de Chirurgie chronique d’une mort programmée) sont de nouvelles donnes qui doivent être rapidement prises en compte pour la formation des chirurgiens de demain.


Bernard Kron est l’auteur de Chirurgie chronique d’une mort programmée, Éditions L’Harmattan.

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  • « nombre de praticiens appréhendent la charge de travail quotidienne et quittent l’hôpital »

    Il n’est pas certain que le travail du chirurgien soit moins prenant dans le privé, bien au contraire.
    Ainsi une infirmière de bloc me confiait qu’il fallait à peu prés multiplier par 10 l’activité de sa profession dans une clinique privée par rapport à l’hôpital, ce qui ne l’empêchait pas de préférer cette ambiance « active » de travail.

    • Clair !!

      pour avoir exercer 10 ans en public et 5 en libéral
      le public n’a aucune idée de la qtt de travail du libéral

      un stage en libéral devrait être obligatoire dans nos études pour apprendre l’optimisation et l’efficience qui font cruellement défaut au public.

      à pathologie équivalente (acte, GHS et GHM identiques), le libéral coûte 30% de moins.

      Confraternellement,

  • Lorsqu’un chirurgien a plus de 55 visites (1) à assurer dans la journée, le doute quant à la qualité des soins est permit (vécu).
    (1) Sur une journée de 10 heures, cela fait 5.5 visites/heure soit une visite toutes les 10 minutes. Cette moyenne est à tenir à la condition que les patients rentrent dans cette fourchette de temps, ce qui est très peu probable, et que le praticien ne s’arrête à aucun moment de la journée, même pour les besoins les plus ordinaires.

  • Nos concitoyens ne se rendent pas compte de la gravité de la situation car ils sont endormis par les « belles promesses du TPG ».
    Remplacer l’homme par la machine est une utopie car le robot ne sera au mieux que ‘le bras armé » du chirurgien
    Cinq Milliards d’êtres humains n’ont pas accès à la chirurgie dans le monde.
    Les politiques ne supportent pas l’indépendance des médecins.
    POUR ÊTRE CHIRURGIEN IL FAUT D’ABORD ÊTRE MÉDECIN ET AVOIR SACRIFIE SA JEUNESSE POUR PASSER LES CONCOURS
    La durée des études=SPO+Polytechnique+ENA……Ces mêmes énarques veulent nous dire »comment on doit tenir le bistouri ».
    C’est bien sur une image, mais elle est proche de la vérité avec l’accréditation, les référentielles et les quotas.
    Merci pour vos commentaires
    Cordialement

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