Innovation frugale et effectuation : points communs et différences

Comment innover avec des moyens limités ?

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innovation, Crédits : Thomas Hawk, via Flickr ((CC BY-NC 2.0))

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Innovation frugale et effectuation : points communs et différences

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 14 avril 2015
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Par Philippe Silberzahn.

innovation (Crédits : Thomas Hawk, licence Creative Commons)
Innovation (Crédits : Thomas Hawk, (CC BY-NC 2.0) )

 

L’innovation frugale suscite un intérêt important dans le domaine de l’innovation. Le concept d’innovation frugale recouvre deux notions : c’est à la fois un moyen, innover avec des moyens limités, et un objectif, créer des produits simples et robustes destinés (à l’origine) aux pays émergents. Regardons les liens entre l’innovation frugale et l’effectuation, la logique des entrepreneurs.

À première vue, la complémentarité de l’innovation frugale avec l’effectuation est évidente. L’effectuation observe en effet que les entrepreneurs démarrent avec les moyens dont ils disposent, et non pas en considérant ceux dont ils pourraient disposer. Ces moyens sont très souvent limités, c’est même le propre de l’entrepreneuriat. À l’approche causale qui part de la définition d’un objectif ambitieux et subordonne la recherche de ressources à l’atteinte de cet objectif (« De quoi ai-je besoin pour faire ce que j’ai décidé de faire ? »), l’effectuation pose le problème entrepreneurial en terme d’objectifs imaginés à partir des ressources disponibles. En substance, l’entrepreneur effectual répond à la question: « Que puis-je faire avec ce que j’ai ? » Toutefois, « ce que j’ai » n’est pas avant tout défini en termes matériels ou financiers. L’effectuation observe que ce que tout entrepreneur (et en fait tout individu) a, ce sont trois choses : sa personnalité, ses connaissances, et son réseau de relations. Le démarrage peut se faire sans aucun moyen financier ni ressource physique. On a bien là un appel à l’imagination, à la créativité, à la capacité à faire quelque chose avec rien ou presque. Il s’agit de ce que les économistes appellent « un effet de levier sur les ressources » et qui a été décrit depuis longtemps dans le domaine entrepreneurial. En soi, le concept de frugalité n’est donc pas nouveau.

La réutilisation des technologies existantes pour leur donner de nouvelles applications est également une approche décrite depuis longtemps. Le propre d’un entrepreneur est d’imaginer (le mot est important) une utilisation nouvelle pour une ressource qui peut parfois exister depuis longtemps et n’avoir pas de valeur pour d’autres. J’ai illustré l’importance de ce principe avec mon article sur la chinoise Cheung Yan qui a créé un des leaders mondiaux du recyclage de papier en récupérant ce dernier gratuitement auprès de décharges américaines qui ne savaient quoi en faire. Certaines l’ont même payé pour qu’elle les en débarrasse !

L’innovation frugale met également en avant la flexibilité et plus généralement la mise à profit des contingences : on tire parti des situations rencontrées, on part de l’existant. C’est également un point que l’effectuation met en avant avec le principe de la limonade qui souligne que les entrepreneurs tirent parti des surprises, bonnes ou mauvaises.

Il y a toutefois des différences. Une première différence est que si l’effectuation postule que l’entrepreneur peut démarrer avec presque rien, elle ne destine pas le projet entrepreneurial à un environnement démuni. Dit autrement, on peut commencer petit mais finir très grand, c’est l’effet boule de neige du processus entrepreneurial effectual. L’effectuation n’est donc pas spécifiquement une méthode entrepreneuriale pour la « base de la pyramide », c’est à dire des populations cibles n’ayant pas beaucoup de moyens. L’effectuation est plus générale : de grandes multinationales ont été créées avec les principes qu’elle met en avant. Naturellement, le fait qu’elle préconise de commencer petit et qu’elle montre qu’il faut souvent peu de choses pour débuter la rend néanmoins très pertinente dans les pays en voie de développement ou pour des populations défavorisées.

Une seconde différence est que l’effectuation insiste sur un mécanisme-clé du développement du projet entrepreneurial, celui du lien social. C’est la capacité de l’entrepreneur à rassembler autour de son projet un nombre croissant de parties prenantes engagées qui déterminera la réussite de son projet. L’effectuation met donc en avance la nature sociale de l’innovation, beaucoup plus que le côté créatif et débrouillard mis en avant par l’innovation frugale. Pour l’effectuation, la créativité s’exprime et se réalise en travaillant avec les autres.

On le voit, l’innovation frugale et l’effectuation partagent un élément de base : on peut faire beaucoup avec très peu. Mais l’effectuation explique comment ce « beaucoup » se fait, en travaillant avec d’autres, et surtout elle montre que démarrer avec très peu n’empêche pas d’aller en plus très loin.

Au contraire de l’innovation frugale, elle ne se contente pas d’un principe de pensée, voire un slogan, mais elle offre des principes d’actions qui peuvent être mis en pratique par tout entrepreneur.


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  • La naïveté des gens ne cesse de me stupéfier …

    A part l’emballage, cette solution vantée par Tesla n’a, d’un point de vue technologique, STRICTEMENT RIEN de ‘disruptif’ :

    – stocker l’électricité dans des batteries, on le fait depuis que l’électricité a été maîtrisée (voir les batteries de voiture, les alimentations de secours, …)

    – utiliser des batteries Li-ion se fait depuis de très nombreuses années dans les voitures hybrides et électriques, les téléphones portables, les ordinateurs portables, voire même certains systèmes aéronautiques (voir, p.ex. le Boeing 787 et ses problèmes d’incendie liés à ses batteries Li-ion). Cette technologie est d’ailleurs de plus en plus souvent remplacée par celle des batteries Li-polymer, preuve s’il en était besoin que la Li-)ion est loin d’être ‘disruptive’ …

    – la solution proposée est destinée, de l’avis même de Tesla (de leurs pubs), à absorber la production, p.ex. de panneaux photovoltaïques pour la redistribuer quand la consommation est plus importante mais surtout, à être rechargée par le courant de nuit, bien moins cher que le ‘courant de jour’ … On est donc loin de l’énergie gratuite

    – le prix attractif annoncé, ne comprend pas l’indispensable onduleur qui doit transformer la tension continue des batteries en tension alternative pour alimenter nos équipements ; il faut donc ajouter le prix d’un onduleur 3 kW/kVA pour correspondre à la puissance max de la solution Tesla

    – ce système peut fournir une puissance de 2kW en continu (3,3 kW en pointe) ce qui est très très largement insuffisant pour une utilisation courante dans une habitation : cela représente moins qu’un fer à repasser, moins que 2 taques de cuisson électrique, moins qu’un lave-linge ou s’èche-linge pendant la phase de chauffage, …

    – si on utilise, comme Tesla le présente, ce système pour recharger les batteries au courant de nuit (10kWh correspondant à la consommation moyenne d’un ménage belge mais beaucoup consomme plus, en particulier les grandes familles, …) et qu’on économise 0.20€ /kWh (la différence entre courant de jour et de nuit est bien plus faible que cela), il faudra 5 ans pour amortir le système et encore quelques mois de plus pour amortir l’onduleur … Et au bout de 5 ans et près de 2.000 cycles de charge/décharge des batteries, elles n’auront pus la capacité nominale et seront ) remplacer …

    Où est la ‘rupture’ ? A part le bel emballage et le battage marketing ?

  • Les commentaires sont fermés.

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