Par Olivier Méresse.
Au lendemain du discours de politique générale de notre Premier ministre et au moment où notre pays repart en guerre, j’ai cru bon de m’interroger sur notre devise nationale.
L’ordre en est très important et lui donne sa vertu. La liberté vient en premier. Cela ne peut vouloir dire qu’une seule chose : toute la liberté. Vient ensuite, et ensuite seulement, l’égalité. On a trop tendance à ne voir qu’elle parce qu’elle est au milieu. Mais le fait qu’elle soit en deuxième place nous dit tout autre chose : cela nous dit que l’égalité est subordonnée à la liberté. L’égalité, oui, mais dans le plein respect de la liberté et nous allons voir ce que cela peut signifier. Vient enfin la fraternité, bonne troisième mais néanmoins sur le podium et qui ne saurait donc être que la fraternité dans le plein respect de la liberté puis de l’égalité.
Dans son discours à la Chambre du 16 septembre dernier, Manuel Valls a fait une grosse omission : il n’a pas mentionné une seule fois la liberté. En revanche, le mot égalité a été prononcé huit fois :
« … la politique de mon gouvernement est guidée par les valeurs de la République, des valeurs chères à la gauche, — la Nation, le principe d’égalité et de justice — qui s’adressent à tous les Français. »
« Nous devons retrouver nos valeurs, et notamment la plus essentielle de toutes : l’égalité. »
« … renouer avec les valeurs de la République, c’est reprendre le combat pour l’égalité. »
« … en agissant avec détermination pour l’égalité homme/femme. C’est le principe même de notre société. »
« Le grand dessein de la République, c’est l’égalité des possibles. »
« … l’égalité des possibles, c’est pouvoir débuter dans la vie et avoir une deuxième chance lorsque c’est nécessaire. »
« Renouer avec l’égalité républicaine… », formulé à deux reprises, pour la santé puis pour le logement.
Huit mentions auxquelles nous pouvons ajouter deux mentions du mot inégalité :
« … casser les inégalités » et « lutter contre les inégalités… »
Dix à zéro !
Depuis quelques semaines, libéral n’est plus un gros mot, ce qui n’est déjà pas mal. Maintenant ce serait bien que ceux qui emploient ce terme, surtout s’ils le revendiquent pour eux-mêmes ou leur action, en comprennent le sens. Et cessent par la même occasion de trahir notre magnifique devise nationale.
Car si nos anciens ont eu la sagesse de placer la liberté en premier c’est parce que celle-ci est pleinement en phase avec notre nature d’être humain. La liberté participe de la sacralité de l’individu et elle est tout ce qui nous différencie du bétail. L’individu est libre parce qu’il s’appartient ou il s’appartient parce qu’il est libre. Si nous avons chacun en nous la possibilité de distinguer le bien du mal, ce n’est pas pour obéir aux décisions de Bruxelles mais bien pour utiliser nos propres arbitrages dans la sphère qui nous appartient. On ne saurait être libre que sur ce que nous possédons, à commencer par notre propre corps, et la liberté n’a qu’une seule traduction juridique possible qui est la propriété. J’ajoute que la liberté est naturellement génératrice de prospérité puisqu’elle laisse aux individus la possibilité d’opter pour ce qu’ils préfèrent. La contrainte génère tout aussi automatiquement la misère puisqu’elle force les individus à faire autre chose que ce qu’ils auraient fait s’ils avaient été libres.
En plaçant l’égalité derrière la liberté, on en précise le sens. Car égalité peut vouloir dire beaucoup de choses. Égalité des conditions, égalité au départ, égalité à l’arrivée… Placée après la liberté, elle ne peut signifier qu’égalité des droits, égalité de tous devant la liberté. Notre liberté n’est pas celle des citoyens grecs ou romains qui s’accommodaient de l’esclavage de barbares. Cette liberté que nous chérissons s’applique à tous également.
Enfin, et enfin seulement, la fraternité, comme une récompense en fin de mission, presque une conséquence de ce qui précède, et qui vient nous redire que l’égalité n’est que celle des droits. En effet, il ne peut y avoir de fraternité qu’entre personnes différentes, le fort aidant le faible, le héros secourant la victime. Il y a toujours un grand frère et un petit frère car même les jumeaux naissent l’un après l’autre. Nous sommes libres d’échanger, de nous donner librement, de nous entraider librement. La fraternité n’est pas la solidarité. La fraternité ne saurait entrer en contradiction avec la liberté mais elle lui donne une couleur ou une direction : le souhait de nous voir nous associer pour réaliser ensemble des projets, éventuellement d’envergure.
Plutôt que de répéter trois fois liberté, notre devise a précisé le trait :
« Soyons libres ; soyons tous également libres ; profitons tous d’être ainsi également libres. »
On aurait pu dire : « Propriété ; isonomie ; coopération » mais c’eût été un peu cuistre, on a préféré : « Liberté, Égalité, Fraternité. » Cette devise n’est pas française, elle est universelle. C’est notre vraie déclaration des droits de l’individu.
Je préférerai que l’on remplace « égalité » par « Justice »…
Très intéressant comme article et fort juste,
Merci 🙂
« Le 14 juillet fut l’an I de la liberté. On considère le 10 août 1792 comme l’an I de l’égalité. Mais c’est à la mi-décembre 1790 qu’a eu lieu la première apparition, discrète, du mot « fraternité ». […] On est vite passé de la liberté de faire ce qui ne nuit pas à une liberté de Gitans, je vois, je veux, je prends. L’égalité des droits […] est vite devenue […] une égalité de fait. […]
Pour concilier des termes si opposés, il doit y avoir un autre concept, qui les régule, voire les commande. La fraternité est donc une nécessité.
La fraternité [n’est donc pas une récompense] : c’est le fléau de la balance, le seul qui puisse équilibrer ces deux antagonismes, et sans lequel ceux-ci resteront une réalité boiteuse.
(Jean Lugand, « Benoît », Jets d’Encre éditeur, page 232)
Je ne partage pas totalement votre conception de la liberté. En effet, vous dites « celle-ci est pleinement en phase avec notre nature d’être humain », ce qui peut laisser croire que la liberté serait innée, serait synonyme à « libre-arbitre », conception renforcé lorsque vous dites « pour utiliser nos propres arbitrages dans la sphère qui nous appartient ». Ce qui pose d’ailleurs un problème puisque si on considère que la liberté n’est que le libre-arbitre, rien ne peut s’opposer à la liberté, puisqu’elle fait partie de la nature de l’individu. Pour ma part, je considère la liberté d’une manière spinoziste (ce qui me semble le plus adapté), c’est-à-dire, que la liberté se définit comme « puissance d’agir », les actions que peut effectuer un individu. Selon cette acception, la liberté n’est donc pas innée mais se construit aussi bien l’interaction de l’individu avec le monde extérieur, l’individu apprenant à maîtriser ses pulsions, augmentant sa connaissance, mais agissant également sur le monde extérieur, celui-ci devant lui offrir les conditions pour agir selon sa volonté.
Là où je suis total désaccord avec vous c’est lorsque vous dites « on ne saurait être libre que sur ce que nous possédons, à commencer par notre propre corps, et la liberté n’a qu’une seule traduction juridique possible qui est la propriété. » Selon moi, c’est un glissement qui tente de justifier la propriété par la liberté invalide. Dire « être libre sur ce que nous possédons » n’a pas grand sens selon moi. Il convient mieux de dire : nous sommes libres de nos actions. On peut entièrement être libre sans pour autant posséder quoi que ce soit et on peut s’approprier quelque chose qui réduit la liberté, les droits d’autres individus. Par exemple, un individu qui s’approprie une terre réduit la liberté d’autres individus qui ont tout autant de droit sur cette terre que le propriétaire.
La liberté et l’égalité en droit dépendent en grande partie des lois. La fraternité ne se décrète pas: elle ne peut exister si les deux premières valeurs sont bafouées. Exemple: la solidarité basée sur la coercition étatique finit par tuer la générosité