Loi travail : il faut aller plus loin, pour l’avenir des jeunes

La loi travail pourrait être l’occasion de se poser les bonnes questions sur la formation des jeunes.

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Loi travail : il faut aller plus loin, pour l’avenir des jeunes

Publié le 8 mars 2016
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Par Nelly Guet

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Lorsqu’Andreas Schleicher, au début des années 2000, a osé émettre des critiques sur le système éducatif de son pays, les milieux éducatifs les ont contestées, mais peu à peu les gouvernements des 16 Länder, en concurrence les uns avec les autres, ont opéré de grandes transformations, notamment en accordant une plus grande autonomie aux établissements scolaires, ce qui leur a permis de relever le défi du « choc Pisa 2000 ». On connait la suite : 16 ans plus tard, l’Allemagne réussit là où la France échoue.

Andreas Schleicher, actuellement directeur de l’éducation à l’OCDE, vient de s’exprimer le 26 février 2016, dans une interview accordée à un média français, sur notre système scolaire « trop focalisé sur la fabrication de l’élite ». Avec autant de tact que possible, il livre un constat sur nos déficiences : « Il semblerait que le système ne comprenne pas les besoins de la société ».

Les bonnes questions à se poser

Qu’adviendra-t-il de son constat et de ses conseils pour la France ? La loi El Khomri pourrait fournir aux Français l’occasion de se poser les bonnes questions sur l’emploi, la compétitivité, et leur corollaire, la formation des jeunes.

Or, tout se passe comme si les Français devaient être maintenus dans un état d’ignorance face aux évolutions de l’économie et de la société ou plus exactement comme si l’on s’évertuait à les empêcher de comprendre les connexions entre la vie de l’entreprise, l’enseignement supérieur et l’enseignement secondaire, afin de préserver un ordre établi depuis 50 ans.

Ces cloisons étanches permettent au système scolaire français de faire du sur-place, quand il ne régresse pas, et à la formation professionnelle de rester opaque et incompréhensible. Dans son rapport de synthèse de février 2015, intitulé Apprendre au-delà de l’école, l’OCDE faisait apparaître un écart considérable entre l’âge moyen des Français de 16 à 65 ans en formation professionnelle supérieure, soit 22 ans, et celui des 15 autres pays étudiés : 37 ans aux Pays Bas, 39 ans en Finlande. Un autre constat mettait en avant le fait que parmi les Français de 16 à 65 ans dont le niveau le plus élevé était une formation professionnelle du deuxième cycle du secondaire, seuls 14% se trouvaient en formation professionnelle supérieure, comparés aux 31% de Néerlandais, et aux 43% d’Allemands. Or rappelons-le, c’est en France qu’est né le concept de formation permanente !

En quoi ceci intéresse-t-il la réforme du droit du travail telle qu’elle apparaît dans la loi El Khomri ? Il est absurde de combattre, comme le font ses opposants, le plafonnement des indemnités prud’homales pour ceux qui sont restés plus de 20 ans dans la même société au moment même où les études prospectives nous démontrent que les 2 millions de jeunes Français, qui se trouvent ni à l’école, ni au travail, ni en formation ( les « NEET »), auront à apprendre différents métiers au cours de leur carrière et ont besoin d’être formés pour des métiers qui, souvent, n’existent pas encore. L’École 42 fondée par Xavier Niel fait parler d’elle au-delà de nos frontières, et à juste titre !

Ceux qui partent avec un meilleur bagage dès leur sortie d’études occuperont-ils pour autant, comme leur père ou leurs grands-pères un emploi censé être à vie et donnant lieu à d’importantes indemnisations en cas de licenciement ? Tournons notre regard vers l’avenir. Cessons de considérer qu’un diplôme obtenu à l’âge de 22 ans doit décider de toute une vie.

D’après l’association « Think Young », la situation actuelle en Europe et encore davantage celle à venir entre 2016 et 2025, est alarmante en raison de la distorsion entre les besoins du marché de l’emploi et les compétences des candidats à l’emploi. Si 74 % des responsables éducatifs estiment que les élèves au sortir de leur formation disposent des compétences indispensables pour les emplois offerts au XXIe siècle : esprit critique, capacité à résoudre des problèmes, confiance en soi, communication, compétences scientifiques et technologiques, créativité… seuls 38 % des élèves et 35 % des entreprises sont de cet avis (source Mac Kinsey). La compétence « résolution de problèmes » classe les jeunes Français en dernière position dans la comparaison avec leurs voisins européens (source Think Young).

La demande dans le domaine des professions scientifiques et technologiques, couramment dénommées STEM en Europe (Science – Technologie – Ingénierie -Mathématiques) devrait croître de 13% entre 2015 et 2025 ainsi que celle des professions associées de 7% (source CEDEFOP). Deux millions d’emplois ne sont pas pourvus en Europe (source CEDEFOP) et notamment par manque de compétences dans les domaines scientifiques et technologiques. Est-il besoin de rappeler que l’enquête Pisa de 2012 de l’OCDE a révélé que 18% des jeunes Français de 15 ans ne possédaient pas les compétences de base en science, des résultats en cela comparables à ceux des élèves italiens et hongrois ?

Des institutions obsolètes

En France, la loi El Khomri peut changer la donne sur le court terme et le moyen terme, à condition toutefois de ne pas l’édulcorer. Mais, concernant la « bombe à retardement », il est indispensable de démanteler au plus vite l’actuel système éducatif et celui de la formation professionnelle, deux institutions obsolètes, en rien adaptées aux besoins de la société du XXIème siècle.

Gageons que les hommes politiques français, lorsqu’ils parleront d’éducation pendant la campagne présidentielle, n’auront qu’un mot à la bouche, « l’apprentissage », comme s’il s’agissait d’un remède miracle à tous nos maux. Bien évidemment, ce correctif ne peut suffire !

Aucun media, à ma connaissance, ne s’est fait l’écho de la Conférence de la présidence néerlandaise du Conseil de l’Union Européenne, qui a souhaité mettre l’accent sur l’emploi et l’innovation au cours du premier semestre 2016. Cette Conférence avait pour objet l’apprentissage et l’enseignement professionnel et a réuni 250 Européens, les 16 et 17 février dernier à Amsterdam.

Trois questions y ont été traitées : l’excellence professionnelle, la formation tout au long de la vie et l’internationalisation. L’honneur est sauf puisque sur ce dernier point, c’est un Français, Jean Arthuis, qui a pris l’initiative, soutenue par un groupe de parlementaires européens, de faciliter la mobilité des jeunes apprentis, grâce à Erasmus +, et de leur offrir une expérience professionnelle dans un autre pays que le leur. Nous pouvons donc bientôt espérer de jeunes Européens, talentueux, ouverts sur le monde, passionnés par le métier choisi, conscients d’en changer plus tard, grâce aux compétences technologiques, entrepreneuriales, économiques, financières, mais aussi personnelles et sociales, acquises sur le terrain et à l’école. Nous pouvons donc espérer qu’Entreprise et École sauront « co-élaborer » les formations, y compris dans les pays où ce n’est pas encore une réalité. Mais au-delà des apprentis, c’est à tous les jeunes, et non à quelques « happy few », qu’il faut proposer l’excellence et la mobilité, afin de rebâtir l’Europe !

Comme nous l’avons constaté à Amsterdam, la formation continue doit devenir une priorité, et les relations école-entreprise doivent être renforcées, car là où l’enseignement « dual » existe, en Allemagne, Autriche, Suisse… le chômage des jeunes n’est pas un problème. Là où l’entreprise est tenue à distance du système de formation initiale, non seulement le taux de chômage des jeunes atteint des sommets, mais l’entreprise ne joue pas le rôle attendu dans la formation professionnelle des adultes. Souhaitons par conséquent que les conclusions du rapport de synthèse de l’OCDE de 2015, cité plus haut, soient prises en compte : « La valeur des diplômes sur le marché du travail repose sur la participation des employeurs à leur élaboration, le nombre limité de diplômes et leur évaluation efficace », ainsi qu’une autre exigence : « … des enseignants qui allient des compétences pédagogiques à des connaissances et expériences réelles dans les secteurs d’activité auxquels ils préparent leurs élèves ».

Quel plan d’action ?

Le « Pacte pour la jeunesse », lancé le 17 novembre 2015 par Martin Schulz à Bruxelles a clairement défini les conditions à remplir pour éradiquer le chômage des jeunes et intégré l’obligation pour chaque pays membre de l’UE de définir un plan d’action national école – entreprise qui devra avoir abouti à la date butoir du 23 novembre 2017.

Les Français devraient comprendre que l’Europe n’est pas celle qu’on leur présente le plus souvent sous un mauvais jour et que la France est la seule responsable du retard pris par son économie, son agriculture, son système de formation.

La « coalition européenne en faveur des STEM » cherche à faciliter, dans tous les pays membres de l’UE, l’émergence de stratégies nationales basées sur une coopération, désignée par le terme de «  triple hélice », entre les entreprises, le gouvernement et les établissements scolaires. C’est chose faite aux Pays-Bas, au Danemark, en Estonie … D’autres pays, comme le Portugal, l’Espagne, l’Italie sont demandeurs. En France, à ma connaissance, seule une lettre de mission datée du mois d’août 2015 et signée conjointement par 2 ministres (Éducation Nationale, Économie) et un secrétaire d’État (Enseignement Supérieur) devrait donner lieu, un jour, à l’élaboration d’un rapport.

S’il doit subir le même sort que celui demandé par Pierre Moscovici, alors ministre de l’Économie, intitulé La définition et la mise en œuvre d’une stratégie nationale en matière d’éducation financière, rapport de 200 pages, rendu public en février 2015, et non suivi d’effet, seule une minorité de jeunes Français continuera à développer des compétences financières et scientifiques de haut niveau, réservées à une élite et le pays n’acceptera pas de se réformer.

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  • … La compétence « résolution de problèmes » classe les jeunes Français en dernière position…
    Cela s’observe très bien dans 2 domaines pourtant traditionnels, la plomberie et la mécanique, on est éffaré par le manque de logique pour l »établissement du diagnostic, la généralisation de la méthode essais – erreurs et itérations successives parfois en boucle. L’informatique n’est parfois pas mal non plus.

    Je ne me prononce pas sur la Médecine, mais comme ils ont la même formation de base à la logique, on peut être inquiet.

  • Pour la compétence « résolution de problèmes », il faut réaliser que c’est une conséquence des insuffisances graves de la formation de base:
    Au manque de culture générale, y compris scientifique, s’ajoute un enseignement infiltré par l’idéologie: on apprend aux jeunes ce qu’il faut penser, et non à penser par eux-mêmes.
    J’ai eu à revoir avec une élève ee 3e le chapitre sur l’énergie.
    L’organisation du chapitre, la taille des photos, tout est fait en vue de la promotion des énergies renouvelables (et encore pas l’hydroélectrique)
    Rien sur l’électricité comme résultat de la transformation d’une énergie d’un autre type
    Aucune comparaison objective avantages/inconvénients entre les différents moyens de fabriquer de l’électricité: des avantages d’un côté, des inconvénients de l’autre.
    Au contraire, une double page consacrée à l’éolien et au photovoltaïque comportant des questions dont les réponses sont sur la même page, histoire d’encadrer la réflexion des jeunes dans le politiquement correct.
    Des élèves ont demandé au professeur ce qui se passait quand le vent ou le soleil étaient absents. L’enseignant a évacué la question comme non pertinente…
    Même en français, la réflexion est encadrée par l’idéologie. Et tout le monde sait ce qu’il en est de l’histoire.
    Ce n’est pas en formatant les jeunes de cette façon que l’on aura des chercheurs, des inventeurs.
    Par contre, on aura des adultes cherchant des idéologies toutes faites, que ces dernières viennent de l’Etat ou de sources beaucoup plus dangereuses. Qui peut dire que cela n’a pas déjà commencé?

  • Les 62% de jeunes qui estiment ne pas avoir reçu les compétences adéquates, pourquoi ne sont-ils pas dans la rue pour virer leurs 74% de responsables éducatifs qui croient le contraire, et leurs 100% de responsables syndicaux étudiants et lycéens qui pensent uniquement à maintenir le statu quo, plutôt que pour défendre un code du travail qui est un vrai défi au bon sens ?

    • parce que « dans la rue » il n’y a pas de place pour un message nuancé, seulement deux messages possible : celui de la colère « tout foutre en l’air » et celui du désespoir et de de la peur « Faites que rien ne change ».

      Et donc si les jeunes sont plus désespérés et apeurés que en colère, ils se rallieront au statu quo rassurant.

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