Leçons sur les expériences de baisse des dépenses publiques dans les pays développés

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Leçons sur les expériences de baisse des dépenses publiques dans les pays développés

Publié le 1 juin 2024
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Le gouvernement et son ministre des Finances Bruno Le Maire semblent enfin décidés à prendre au sérieux la question des finances publiques et s’interroger, chose exceptionnelle, sur la manière dont le gouvernement pourrait assainir les comptes publics par une baisse des dépenses.

 

Ce qui frappe l’observateur, c’est la justification de ces politiques. Le problème n’est pas de nature morale. Il s’agit juste de réduire les dépenses pour se conformer aux critères de Maastricht et/ou pour améliorer l’efficience.

Pourtant, la meilleure justification d’une politique de baisse des dépenses publiques est morale et politique. Il faut réduire les dépenses pour désocialiser la consommation et rétablir la souveraineté de chacun sur l’usage de ses revenus. C’est probablement parce que les gouvernements avancent des raisons techniques aux ajustements budgétaires qu’ils échouent durablement dans la réduction des déficits publics, et que la situation budgétaire de la France ne cesse de se dégrader depuis 1974.

Cet article a cependant un objectif plus modeste. Il veut seulement montrer que de nombreux pays ont réduit leur dépense publique en adoptant soit une stratégie du rabot, soit la méthode de la revue de dépenses ; et le résultat fut une plus forte croissance économique.

Ce qui signifie que renforcer la souveraineté individuelle a aussi pour conséquence d’assainir les finances publiques et de soutenir l’efficience.

 

Les pays ayant expérimenté des politiques de baisse des dépenses publiques

Pour identifier une politique nationale de baisse des dépenses publiques ou de désocialisation de la consommation, plusieurs méthodes sont possibles.

La plus simple est de prendre l’évolution du ratio dépenses publiques sur PIB. Cet indicateur est cependant imparfait, car un pays peut réduire son ratio de dépenses sans les réduire, seulement en augmentant sa production (PIB) ou en enregistrant d’importants taux d’inflation.

L’autre indicateur est la variation des dépenses en volume, corrigée de l’inflation. Un tel indicateur reste dépendant de la conjoncture, car dans de nombreux pays, et la France en particulier, la hausse du chômage entraîne mécaniquement une hausse des dépenses. Sous la loi d’Okun moins de croissance de la production crée moins d’emplois et plus de chômage, donc plus de dépenses.

La troisième méthode aussi appelée d’event-based ou action-based par les analystes utilise les documents budgétaires et les intentions des gouvernements. Le problème de ce critère est qu’un gouvernement peut annoncer des baisses de dépenses, et finalement ne pas les exécuter.

Sur la base du ratio dépenses publiques sur PIB on peut lister un certain nombre de pays qui ont réussi à baisser leur ratio de dépense.

Entre 1980 et 2000 la Grande-Bretagne et les Pays-Bas ont réduit leur ratio dépenses publiques sur PIB de quasiment 11 points, l’Irlande sur cette même période de 22,5 points. Au XXIe siècle la Suisse, la Suède, la Norvège ont vu ce ratio baisser entre 3 et 5 points, alors que le Danemark a diminué son ratio de 9 points.

Il existe donc de nombreuses expériences réussies d’assainissement des finances publiques par la baisse des dépenses publiques dont le gouvernement et les gouvernements futurs pourraient s’inspirer pour que la France respecte, d’une part, les accords qu’elle a signé avec ses partenaires de la zone euro et d’autre part, se replace sur sa frontière des possibilités de production la plus haute, car cette mauvaise affectation des fonds publics est une des principales sources de la faible croissance de la France qui a, sur la période 2000 – 2022, enregistré juste devant l’Italie et la Grèce le plus bas taux de croissance du PIB par habitant de la zone euro. Alors que l’Irlande a eu un taux de croissance moyen d’environ 5 % l’an, la France avait un taux de 0,8 %.

 

Stratégie du rabot versus revue des dépenses

Pour réduire leur ratio de dépenses ou leurs dépenses totales, les gouvernements de ces pays ont :

  1. Fixé le montant d’économie à réaliser
  2. Répondu à la question où réduire le montant des dépenses publiques ?
  3. Défini le rythme de l’ajustement

 

Le montant des économies à réaliser peut être défini sur un critère financier, un critère économique et/ou un critère a priori.

Le critère financier est le niveau de dépenses publiques qui permet d’atteindre un horizon donné par les ratios d’endettement du Traité de Maastricht (3 % de déficit et 60 % d’endettement public). La baisse des dépenses sert uniquement ici à rétablir des excédents budgétaires capables de ramener la France aux critères des 3 % et 60 %.

Le critère économique utilise la courbe de BARS. Pour la France, le ratio dépenses publiques sur PIB qui maximise la croissance du PIB par habitant est autour de 30 %. L’objectif devrait être de réduire de 27 points le ratio dépenses publiques sur PIB.
Le critère a priori est théorique. Il s’agit de savoir ce que doit faire ou ne pas faire le gouvernement, mais aussi de définir a priori la répartition des compétences entre les administrations centrales et les administrations publiques locales.

La théorie de l’État régalien limite les dépenses aux dépenses de sécurité, d’infrastructure et de justice, alors que la théorie des défaillances du marché étend à l’éducation et à la santé l’action publique.

On comprend ainsi que la baisse des dépenses publiques peut être accompagnée d’une réforme des périmètres d’intervention de l’État, une politique de privatisation, mais aussi une réforme de la gouvernance et de la répartition des tâches entre le local et le national.

Ces choix sont évidemment extrêmement importants, car la concurrence qui règne sur le marché, et la concurrence entre les niveaux d’administration locale permettent de produire à moindre coût un certain nombre de services, et de réduire ainsi les surcoûts de la production en monopole des biens publics par les administrations centrales. La décentralisation sans autonomie fiscale qu’a conduit la France depuis 1982 est une cause de la croissance des dépenses publiques, mais aussi de la détérioration de la qualité des services publics.

La cible fixée et la réforme des institutions considérée, il reste à définir les dépenses dont le montant doit être réduit. Certains pays choisissent de réduire toutes les dépenses du même montant, d’autres ciblent les baisses en fonction de l’utilité de la dépense.

La stratégie du rabot consiste à baisser uniformément toutes les dépenses de 10 %.

Une telle stratégie conduirait le gouvernement à baisser les budgets de toutes les administrations de 10 % afin d’économiser 154 milliards d’euros, le montant des dépenses publiques en France en 2022 étant de 1540 milliards d’euros. La force de la stratégie du rabot est sa simplicité. Tous les ministères et tous les groupes d’intérêt qui sont derrière eux savent que le montant des rentes qu’ils peuvent distribuer seront de 10 % plus faibles. L’Allemagne (2007-2011), la Suède et la Pologne ont globalement adopté cette méthode. Ils ont réduit les dépenses sociales par des réformes structurelles, notamment du marché du travail, afin d’accroître la participation au marché du travail et de diminuer en pourcentage du PIB quasiment tous les postes de dépenses.

Une telle stratégie ne garantit pas cependant que les dépenses publiques les plus improductives, les moins utiles soient celles qui seront réduites. Elle prend, aussi, le risque que les administrations réduisent la qualité des services publics sans limiter les surcoûts et/ou la sous-consommation des services publics. Cela explique le succès de la méthode des baisses ciblées appelées aussi stratégie de la revue de dépenses (spending review ou spending review framework).

Le Canada est un modèle. Sur la période 1994-1999 ce pays a mis en œuvre une méthode qui a été copiée ensuite par des nombreux pays, et le Royaume-Uni en 2010 en particulier. La revue de dépenses est une procédure ascendante où chaque ministère dépensier propose au ministre des Finances une économie sur son budget. Cet exercice impose aux administrations de répartir leurs dépenses en fonction de ce qu’elles considèrent comme leur priorité, il y a les 5 % de dépenses les moins prioritaires et les 5 % de dépenses les plus prioritaires. Ce mode de répartition des dépenses peut conduire à réaliser des économies plus importantes que ce qu’aurait imaginé le ministre des Finances et son chef de gouvernement. Les Pays-Bas (1995-1999) ont aussi utilisé cette méthode, mais en associant dès la phase de définition des dépenses prioritaires le ministre des Finances.

Sur la période 1990-2022, les dépenses qui ont le plus baissé sont les dépenses de sécurité sociale, les dépenses des services publics généraux (masse salariale), les dépenses d’aides économiques et le poste charges d’intérêts de la dette (classification COFOG).

1 – La baisse du poste charges d’intérêts de la dette est mécanique. L’État baisse ses dépenses, dégage des excédents primaires et réduit son endettement.

2 – Les pays qui ont fait le plus d’efforts sur les dépenses de sécurité sociale sont la Suède, les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande et l’Allemagne sous les gouvernements Schröder dans les années 2000.

La réforme du marché du travail (réformes Harz) a augmenté la participation des Allemands au marché et réduit les transferts aux chômeurs et aux inactifs.

La Suède en 1998, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont adopté des régimes de retraite hybride avec une forte dose de capitalisation. La Suède a prolongé ses réformes en refondant en 2000 tout son système de prise en charge de la maladie et de l’invalidité afin de limiter les effets d’inactivité de l’ancien système.

L’importance que prend la stratégie de baisse des prestations sociales dans la diminution des dépenses a deux raisons principales :

  • ces dépenses sont les plus volumineuses. Il est difficile dans ces conditions de baisser les dépenses sans réformer les règles de répartition des dépenses de sécurité sociale.
  • ces dépenses ont de plus une nature improductive. Verser un euro public à quelqu’un sans contrepartie, c’est le désinciter à produire cet euro.

 

3 – La baisse de la masse salariale est aussi un moyen de rendre les dépenses publiques plus productives. Cette stratégie a été privilégiée par le Canada dans les années 1990. Entre 2009 et 2015, l’emploi public a baissé de 15 % en Grèce, de plus de 7 % au Portugal et de plus de 4 % en Irlande (OCDE). Ces pays ont gelé les salaires des fonctionnaires, mis en œuvre des plans de départs volontaires et réduit le nombre des embauches (règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur quatre en Grèce). Augmenter le nombre des agents publics ou leur rémunération sans gain de productivité, c’est augmenter le coût du travail de toutes les entreprises du pays. Comme il est important d’augmenter la productivité du travail dans une entreprise, réduire la masse salariale dans le secteur public et augmenter la productivité des administrations publiques sont des moyens de soutenir la croissance. L’Irlande a mixé les deux stratégies. Elle a réduit les prestations sociales et la masse salariale. De son côté, l’Espagne a réduit ses dépenses d’éducation en augmentant le nombre des élèves par classe et en augmentant les frais d’inscription à l’université.

 

Le succès des politiques anti-keynésiennes

Les pays qui ont réduit leur dépense et/ou réussi à ce que leurs dépenses publiques augmentent moins vites que leur production (PIB) ont généralement eu des taux de croissance plus fort (Schuknecht et al. 2005, Alesina et al. 2018), ce qui a distribué du pouvoir d’achat et limité les tensions politiques et sociales. Ces politiques ont été un succès.

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  • Sur ce sujet, j’ai a priori une approche ultra-simpliste.
    La France est champion d’Europe sinon du monde de la taxe et de l’impôt.
    Un peu de benchmarking et la question elle est vite répondue.
    On ne peut que vouloir tendre vers la moyenne, d’autant plus vite que la qualité de l’action étatique n’est plus du tout reconnue.
    Quand un fournisseur est cher et mauvais, on va voir ailleurs.

    • Benchmarking toujours…
      Regarder où les autres ont économisé. Comme le souligne l’article, commencer donc par taper dans les grosses dépenses : retraite, santé, chômage.
      Et, spécifique à la France, revoir l’organisation territoriale. Indice : avec ses 36000 communes, la France représente 40 % de toutes les communes des 27 pays d’Europe !

      • A mon humble avis, le plus important poste de dépenses inutiles c’est le gaspillage. Les économies ne se sont font jamais sur les gaspillages car pas assez visibles pour les électeurs. Et puis c’est reconnaître son incompétence. Ce qu’il faut avant tout c’est de la rigueur, de la discipline, un sens du service et non du privilège. Problème de bureaucratie !
        Et puis il faut stopper cette manie du chéquier ou du législatif pour “régler” les désordres. C’est comme si un artisan s’acheter une nouvelle boîte à outils devant chaque nouveau problème. Si ça suffisait ça se saurait pas vrai !

        • s’achetait

        • La notion de gaspillage est suffisamment floue pour finir dans une impasse car un gaspillage pour un citoyen c est aussi le salaire d un fonctionnaire, une subvention, une aide, un crédit d impot, une tva à taux réduit, l abattement de 10% sur l imposition des pensions de retraites, l entrée gratuite au musée piscine exposition…….

          • Dépenses en hausse continue, qualité des services en baisse continue, l’écart se nomme gaspillage. Certes ce dernier est protéiforme mais les ressorts à l’œuvre sont toujours les mêmes.
            D’ailleurs c’est facile de couper dans les dépenses sans s’attaquer au gaspillage. C’est du même ordre que ce qui conduit au gaspillage : bah j’suis pas capable de me contrôler..

  • Dégonfler le mammouth de la dépense sociale est une absolue priorité avec ses 850 milliards en 2023 soit un tiers de notre pib
    Par contre tout le monde sera impacté et les doléances vont pleuvoir très drues……voir les sempiternelles manifs……quel gouvernement sera assez courageux pour les affronter sérieusement sans capituler en rase campagne avec le carnet de chèques en main…..????
    Nos conservateurs soi-disant libéraux seraient parmi les premiers à monter au créneau……avec leurs petits copains de gauche…….🥳🥳🥳🥳

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