La stratégie de Bruxelles sur l’IA bénéficiera-t-elle d’abord au Royaume-Uni ?

La réglementation de Bruxelles sur l’IA a creusé un fossé de plus avec le Royaume-Uni. Une analyse de Jason Reeds pour Contrepoints.

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La stratégie de Bruxelles sur l’IA bénéficiera-t-elle d’abord au Royaume-Uni ?

Publié le 2 février 2024
- A +

Voilà maintenant quatre ans que le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne. Depuis le Brexit, la Grande-Bretagne a connu trois Premiers ministres, et d’innombrables crises gouvernementales. Néanmoins, malgré le chaos de Westminster, nous pouvons déjà constater à quel point les régulateurs du Royaume-Uni et de l’Union européenne perçoivent différemment l’industrie technologique. Le Royaume-Uni est un pays mitigé, avec quelques signes encourageants qui émergent pour les amateurs de liberté et d’innovation. L’Union européenne, quant à elle, poursuit une réglementation antitrust agressive sur plusieurs fronts.

 

La Déclaration de Bletchley

Cette tendance apparaît clairement dans le domaine de l’intelligence artificielle, peut-être le domaine d’innovation technologique le plus attrayant pour un organisme de réglementation. Rishi Sunak, Premier ministre britannique, est un féru de technologie et se sentirait comme un poisson dans l’eau dans la Silicon Valley. On le retrouve d’ailleurs régulièrement en Californie où il passe ses vacances. Cette vision du monde se reflète dans l’approche du gouvernement britannique en matière d’IA.

En novembre 2023, Rishi Sunak a même accueilli le premier sommet mondial sur la sécurité de l’IA, le AI Safety Summit. À cette occasion, des représentants du monde entier – y compris des États-Unis, de l’Union européenne et de la France – ont signé au nom de leur gouvernement ce qu’on appelle la « Déclaration de Bletchley ».

Sur la Déclaration de Bletchley, le gouvernement britannique adopte un ton modéré.

Le communiqué officiel indique :

« Nous reconnaissons que les pays devraient tenir compte de l’importance d’une approche de gouvernance et de réglementation pro-innovation et proportionnée qui maximise les avantages et prend en compte les risques associés à l’IA ».

En d’autres termes, la Grande-Bretagne n’a pas l’intention de laisser libre cours à l’IA sur un marché non réglementé, mais ne considère pas non plus l’innovation comme une menace. Elle reconnaît que ne pas exploiter les opportunités de l’IA reviendrait à faire une croix sur les bénéfices que les générations actuelles et futures pourraient en tirer. La Déclaration de Bletchley incarne une approche réfléchie de la réglementation de l’IA, qui promet de surveiller de près les innovations afin d’en détecter menaces liées à la sécurité, mais évite de laisser le gouvernement décider de ce que l’IA devrait ou ne devrait pas faire.

 

Rishi Sunak, Elon Musk et l’avenir de la Grande-Bretagne

La position britannique adopte donc un ton très différent de celui des régulateurs du reste du monde, qui semblent considérer toute nouvelle percée technologique comme une occasion de produire de nouvelles contraintes. Dans l’Union européenne, par exemple, ou aux États-Unis de Biden, les régulateurs sautent sur l’occasion de se vanter de « demander des comptes aux entreprises technologiques », ce qui signifie généralement freiner la croissance économique et l’innovation.

La Grande-Bretagne est sur une voie qui pourrait, si elle reste fidèle à sa direction actuelle, l’amener à devenir un des principaux pôles technologiques mondiaux. Rishi Sunak a même profité du sommet pour interviewer Elon Musk. « Nous voyons ici la force la plus perturbatrice de l’histoire », a déclaré Musk à Sunak lors de leur discussion sur l’IA. « Il arrivera un moment où aucun emploi ne sera nécessaire – vous pourrez avoir un travail si vous le souhaitez pour votre satisfaction personnelle, mais l’IA fera tout. »

De SpaceX à Tesla en passant par Twitter, Elon Musk, bien qu’il soit souvent controversé, est devenu un symbole vivant du pouvoir de l’innovation technologique et du marché libre. En effet, demander à un Premier ministre, tout sourire, de venir le rejoindre sur scène avait sûrement vocation à envoyer un signal au monde : la Grande-Bretagne est prête à faire des affaires avec l’industrie technologique.

 

Bruxelles, Londres : des stratégies opposées sur l’IA

L’approche britannique plutôt modérée de l’IA diffère radicalement de la stratégie européenne. Bruxelles se targue avec enthousiasme d’avoir la première réglementation complète au monde sur l’intelligence artificielle. Sa loi sur l’IA, axée sur la « protection » des citoyens fait partie de sa stratégie interventionniste plus large en matière d’antitrust. Le contraste est limpide.

Si la Grande-Bretagne, en dehors de l’Union européenne, a réussi à réunir calmement les dirigeants mondiaux dans une pièce pour convenir de principes communs raisonnables afin de réglementer l’IA, le bloc européen était plutôt déterminé à « gagner la course » et à devenir le premier régulateur à lancer l’adoption d’une loi sur l’IA.

 

Les résultats de la surrèglementation de l’UE

La Grande-Bretagne post-Brexit est loin d’être parfaite, mais ces deux approches opposées de la gestion de l’IA montrent à quelle vitesse les choses peuvent mal tourner lorsqu’une institution comme l’Union européenne cherche à se distinguer par la suproduction normative. Une attitude qui tranche avec le comportement adopté par les ministres du gouvernement britannique à l’origine du projet de loi sur la sécurité en ligne, qui ont récemment abandonné leur promesse irréalisable d’« espionner » tout chiffrement de bout en bout.

Les résultats de la surrèglementation de l’Union européenne sont déjà évidents. OpenAI, la société à l’origine de ChatGPT soutenue par Microsoft, a choisi de placer sa première base internationale à Londres. Au même moment, c’est Google, autre géant de la technologie mais également leader du marché dans la course aux pionniers de l’IA via sa filiale DeepMind, qui a annoncé son intention de construire un nouveau centre de données d’un milliard de dollars au Royaume-Uni. Ces investissements auraient-ils été dirigés vers l’Union européenne si Bruxelles n’avait pas ainsi signalé aux entreprises technologiques à quel point le fardeau réglementaire y serait si lourd à porter ?

 

Se rapprocher de Washington ?

Malgré des discours d’ouverture et des mesures d’encouragement spécifiques destinés à attirer les startupeurs du monde entier, les bureaucrates européens semblent déterminés à réglementer à tout-va. En plus d’avoir insisté sur la nécessité de « protéger » les Européens de l’innovation technologique, ils semblent également vouloir recueillir l’assentiment d’officiels Américains sur leurs efforts de réglementation.

Le gigantesque Digital Markets Act et le Digital Services Act de l’Union européenne semblaient bénéficier de l’approbation de certains membres de l’administration Biden. La vice-présidente exécutive de la Commission européenne, Margrethe Vestager, a été photographiée souriant aux côtés des fonctionnaires du ministère de la Justice, après une visite aux États-Unis pour discuter de ses efforts antitrust.

 

Un scepticisme partagé à l’égard de la technologie

Lors du voyage transatlantique de Margrethe Vestager, il s’est révélé évident que l’Union européenne et les États-Unis adoptaient une approche similaire pour attaquer la technologie publicitaire de Google par crainte d’un monopole. Travaillaient-ils ensemble ? « La Commission [européenne] peut se sentir enhardie par le fait que le ministère de la Justice [américain] poursuive pratiquement la même action en justice », a observé Dirk Auer, directeur de la politique de concurrence au Centre international de droit et d’économie.

Lina Khan, la présidente de la Federal Trade Commission des États-Unis, connue pour avoir déjà poursuivi des entreprises technologiques en justice pour des raisons fallacieuses, a également indiqué qu’elle partageait le point de vue de l’Union européenne selon lequel la politique antitrust doit être agressive, en particulier dans l’industrie technologique.

Elle a récemment déclaré lors d’un événement universitaire :

« L’une des grandes promesses de l’antitrust est que nous avons ces lois séculaires qui sont censées suivre le rythme de l’évolution du marché, des nouvelles technologies et des nouvelles pratiques commerciales […] Afin d’être fidèles à cette [promesse], nous devons nous assurer que cette doctrine est mise à jour. »

 

Les électeurs européens sanctionneront-ils la stratégie de Bruxelles sur l’IA en juin prochain ?

La volonté de Bruxelles d’augmenter de manière exponentielle le fardeau réglementaire pour les investisseurs et les entrepreneurs technologiques en Europe profitera au Royaume-Uni en y orientant l’innovation.

Malgré son immense bureaucratie, l’Union européenne manque de freins et de contrepoids à son pouvoir de régulation. Des membres clés de son exécutif – comme les dirigeants de la Commission européenne, telle qu’Ursula von der Leyen – ne sont pas élus. Ils se sentent toutefois habilités à lancer des croisades réglementaires contre les industries de leur choix, souvent technologiques. Peut-être, cependant, seront-ils surpris et changeront-ils d’attitude à la vue des résultats des élections européennes qui auront lieu en juin prochain.

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  • « Il y a certains moments où l’on pourrait souhaiter que l’avenir soit construit par les hommes du passé. »
    (Jean Rostand)

    • C est le monde des réactionnaires……

      • Pas plus que ça. Nos ancêtres croyaient au progrès. Pas aux fariboles du type : « le train va faire tourner le lait des vaches ».
        Aujourd’hui, dans la moindre avancée technologique, on ne voit que l’externalité négative.
        Pendant qu’on procrastine, à coup de lois et de taxes, les Chinois travaillent et les Américains mènent le monde.

        • Les usa innovent…..la chine copie ……l UE règlemente……..la France surtranspose…….
          Cette situation se traduit dans le pib par habitant par an
          70 000 dollars pour les américains, 51 000 dollars pour les allemands 43 000 dollars pour les français alors qu en 2000 leurs niveaux de vie étaient équivalents

  • « Il arrivera un moment où aucun emploi ne sera nécessaire – vous pourrez avoir un travail si vous le souhaitez pour votre satisfaction personnelle, mais l’IA fera tout. »

    Si elle fait « tout » comment sera-t-elle punie en cas de « connerie ? Elle fera aussi le travail du « capitaliste? ».

    une machine a besoin d’énergie pour faire quoique ce soit. Et les humais pour vivre?

    comment les ressources seront elles allouées. aux humains qui ne « travaillent pas?
    Ona trouvé une source infinie d’énergie et de matière première?
    On vit une curieuse époque où les prédictions les plus contradictories sont faites.

    Elon musk est un visionnaire technologique, reste que le monde est économique;..ce n’est pas parce qu’une technologie est faisable qu’elle se répand.

    Nous remarquons que des tas de tâches « mécanisables » ne le sont pas…
    une machine est en compétition avec un humain pour réaliser une tache… le salaire de l’ia est au moins l’énergie qu’il consomme pour fonctionner.

    Beaucoup de « réflexions » sr une rupture technologique à venir…

    On a pas fait ça pour l’informatisation..ou la mécanisation…
    Certes , on peut anticiper des bouleversements économiques et sociaux.. mais c’est souvent le rythme qui importe .pour que les société s’adaptent.

    Il y a quelque chose d’inquioetant à ce que de politiques et des experts discutent de ce genre de choses « pour le bien de tous »…

    le foutoir climatique ne nous suffit pas?

    • nous avons des experts qui ont discuté avec des politiques pendant des décennies pour savoir ce qu’il faudrait faire en cas de méchante pandémie… pour le bien de tous..

      et comme d’hab …c’est c’arroger le droit de choisir qui sacrifier.

  • Excepté un tacle à l’UE et sa réglementation sur l’IA, concrètement on apprend rien.
    En outre citer Musk qui défend les implants neuronaux comme plus sûr et prometteur que l’IA, c’est curieux.
    Un article, un de plus, sans réel intérêt.

    -2
  • Qui va négocier avec le RU/UK, j’espère que se ne sera pas Barnier

    • Encore un indispensable nuisible. N’était -il pas un « formidable ministre de l’agriculture 2007-209 défendant la PAC ?

      -1
  • Ce mythe de l’Intelligence Artificielle, pourtant judicieusement démonté par le rapport Lighthill il y a un demi-siècle, renaît périodiquement de ses cendres sous des appellations diverses (systèmes experts, parallélisme massif, réseaux de neurones, informatique quantique, …) puis à nouveau sous son appellation d’origine, optimale d’un point de vue de marketing politico-aristocratique (obéissez à notre techno-science qui est plus intelligente que vous autres, piétaille ignorante …).
    Cette résurrection s’appuie sur une mécompréhension des causes du progrès considérable de l’informatique:
    Ce sont les puissances de calcul qui ont explosé en 50 ans, se mesurant en pétaflops plutôt que mégaflops, donc un algorithme inutilisable parce qu’il lui fallait 10 ans pour trouver une réponse n’a plus besoin que d’une minute. S’il y a bien intelligence elle est fournie par les concepteurs du hardware à qui on doit les progrès de la miniaturisation (même remarque pour l’informatique quantique qui grosso-modo ne fait que multiplier le parallélisme). L’amélioration des algorithmes (qui nécessitait une intelligence phénoménale) n’a donc plus tellement d’intérêt à moins de démontrer la fameuse conjecture P=NP, probablement fausse à mon avis.
    On célèbre l’intelligence du tractopelle par rapport à celle de la cuiller.

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