Et si l’industrie privée permettait un déploiement de la fusion nucléaire d’ici 2030 ?

La fusion nucléaire, un horizon lointain ? Pas si sûr. Les avancées fulgurantes des startups spécialisées remettent en question les échéances conservatrices, et ouvrent la porte à une révolution énergétique avant 2030.

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Et si l’industrie privée permettait un déploiement de la fusion nucléaire d’ici 2030 ?

Publié le 14 novembre 2023
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Dans son cours à l’École des Mines numéro 6 Jean-Marc Jancovici n’envisage pas un début d’exploitation commerciale de la fusion nucléaire avant 2095 : « vous oubliez, cela ne fait pas partie des moyens du bord ». Il l’assimile au projet ITER qui, effectivement, progresse lentement.

Mais dans le privé, l’écosystème est en plein boom, avec plus de 40 entreprises sur le créneau, comme le rapportait en mars 2023 The Economist, et il y a maintenant de sérieuses raisons d’avancer cette date drastiquement.

Parce que le nucléaire a longtemps voulu dire chantiers pharaoniques nécessitant l’intervention des États, Jean-Marc Jancovici considère que cela ne peut pas changer.

Mais on disait de même du spatial, souvenez-vous : seuls quelques États peuvent concevoir et fabriquer des fusées, et aucun d’entre eux ne pourra jamais les faire se reposer. Jusqu’à ce qu’Elon Musk vienne dynamiter ces idées reçues. Il en a maintenant inspiré plus d’un dans d’autres domaines, longtemps considérés comme étant la prérogative des nations.

 

L’exemple de Commonwealth Fusion Systems

Commonwealth Fusion Systems a levé deux milliards de dollars, elle vise la première réaction à énergie positive pour 2025, avec un déploiement commercial rapide à partir de 2030.

2030 ! Là où Jean-Marc Jancovici nous parle de 2095. Mais que s’est-il passé ?

Voici le résumé d’un entretien avec le fondateur de Commonwealth Fusion Systems, intitulé « Peut-on remplacer toutes les centrales au charbon d’ici à 2040 ? » :

Des innovations récentes en science des matériaux ont permis de mettre au point des superconducteurs pouvant ensuite être utilisés pour faire des aimants bien plus puissants que ce qu’on savait faire jusque-là : « un changement radical dans les 300 ans d’histoire des aimants ».

La communauté des chercheurs sur la fusion leur a dit : « Si vous aviez cet aimant, cette machine fonctionnerait et serait très petite. Nous ne voyons pas de véritables obstacles, à part cet aimant ».

Ils ont réussi créer cet aimant, deux fois plus puissant que l’état de l’art jusque-là.

Commonwealth Fusion Systems s’en sert pour construire un appareil pour la fusion bien plus petit que ce que fait ITER, qui n’utilise pas ces innovations : ça tient dans un garage, contre un bâtiment de la taille d’un stade pour ITER, qui est le plus grand projet de construction en Europe.

En fait, Commonwealth Fusion Systems a fait en trois ans sur leur technologie des aimants, ce qui a pris 25 ans à ITER.

ITER vise la première réaction à énergie positive pour 2035, Commonwealth Fusion Systems vise 2025.

Ensuite, le déploiement commence en 2030, et pourra aller très vite. Comme Commonwealth Fusion Systems a un système compact et utilise la fusion pour faire chauffer de l’eau, pas forcément besoin de reconstruire des centrales à partir de zéro, ils vont pouvoir reconvertir les centrales au charbon et gaz dans le monde.

En avril, les autorités aux États-Unis ont décidé que la fusion serait beaucoup moins réglementée que la fission nucléaire, car présentant bien moins de risques. Les déploiements seront bien plus faciles politiquement, et donc plus rapides et moins chers.

 

Intéressons-nous également à un deuxième acteur, Helion

Helion a levé 500 millions de dollars en 2021, dont 375 millions investis par Sam Altman, qui n’est autre que le CEO d’OpenAI. Avant cela, il était le CEO de Y Combinator, l’incubateur à succès très réputé derrière des succès comme Airbnb, Dropbox ou Stripe.

Il s’agit de son plus gros investissement jamais réalisé dans une start-up.

Il écrivait en juillet 2022 :

« Helion a progressé encore plus vite que prévu et est en bonne voie en 2024 pour 1) démontrer la fusion avec un gain d’énergie net et 2) résoudre toutes les questions nécessaires à la conception d’un générateur de fusion à fabriquer en masse. […] Les objectifs sont assez ambitieux : une énergie propre et à 0,01 $/kWh et la capacité de fabriquer suffisamment de centrales électriques pour satisfaire la demande électrique actuelle de la Terre d’ici à dix ans. »

Sam Altman avait initialement investi 10 millions de dollars dans Helion, mais avait ensuite considérablement augmenté son investissement, il était convaincu que cela allait fonctionner.

Helion prévoit à terme de construire des centrales de la taille d’un grand container (15 m²) capables de produire de l’électricité d’une puissance de 100 MW. Par comparaison, avec des panneaux solaires, il faudrait environ 60 000 fois plus de place.

En mai 2023, Helion annonçait un accord d’achat d’électricité avec le géant du logiciel Microsoft. Helion mettra sa première centrale en service en 2028, et atteindra sa pleine capacité de production d’au moins 50 MW moins d’un an plus tard.

David Kirtley, fondateur et CEO d’Helion a déclaré :

« Il s’agit d’un accord contraignant qui entraîne des sanctions financières si nous ne parvenons pas à construire un système de fusion. Nous nous sommes engagés à pouvoir construire un système et le vendre commercialement à Microsoft. »

Les progrès technologiques dans les domaines des ordinateurs, de l’électronique et des réseaux à fibres optiques rendent maintenant l’approche d’Helion possible. Helion compte utiliser de l’hélium-3, mais pas besoin d’aller le chercher sur la Lune, il sera produit en fusionnant du deutérium dans ses générateurs à fusion. Les océans contiennent assez de deutérium pour répondre à tous les besoins énergétiques actuels de l’humanité pendant des milliards d’années.

Les entreprises les plus en pointe parlent donc d’un début de déploiement dès 2028 et 2030 ! Il y aura certainement du retard, mais de là à dire qu’il ne faut rien en attendre avant 2095, tout de même ! J’ai demandé à Jean-Marc Jancovici, qui m’a déjà répondu en personne sur d’autres points, s’il souhaitait revoir cette date à l’aune de ces dernières informations, j’attends encore sa réponse.

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  • Vous n’évoquez pas Blue Laser Fusion et Nakamura qui n’est autre que l’inventeur de la led. Pourquoi ? BLF a également pour objectif la fusion en 2030.

  • Sauf pour le projet sparc (cfs), qui est un tokamak dans la ligne d’alcator mod, on rêve pas mal. Ce sont des startups…. Quand leurs machines vont opérer à fortes puissances, les vrais problèmes vont arriver. Pour rappel on était certain de faire la fusion avec les tokamak en 1980…on voit le résultat ! Donc beaucoup de rêve pour attirer les investisseurs qui n’y connaissent rien et seront plumés 🤣🤣🤣

  • Totalement incompatible avec les règles de l’UE.

  • Bon il ne fait pas de doute que les entreprises privées seront à même de délivrer les premiers réacteur à fusion commercialisables et donc rentables. Par contre les délais annoncés ressemblent davantage à des effets d’annonce afin de lever plus de fonds, qu’à des visions réalistes. Après pourquoi pas rêver effectivement, quand on voit l’efficacité des acteurs privés dans le spatial à comparer aux acteurs gouvernenmentaux on peut effectivement être optimiste d’un certain point de vue.

  • Intéressant mais relativement peu crédible. Ceci étant, le choix étatique d’un énorme machin (Iter) au coût faramineux est peut être plus lié à la volonté de donner à l’Etat la maîtrise alors que de multiples acteurs plus petits auraient ou auront plus d’efficacité. Du reste, le projet Iter se réalise depuis plus de 20 ans sans qu’il ait été profondément modifié. On peine à croire qu’en deux décennies, les problématiques seraient les mêmes. Avec cette procédure, nous aurions vu sortir la voiture de Cugnot ces derniers jours.

  • Il faut se souvenir du cas de l’enrichissement isotopique de l’uranium. Les premières techniques demandaient des installations pharaoniques (diffusion gazeuse) et les décideurs de l’époque n’avaient pas assez d’imagination pour voir autre chose que plus grand. Quelques physiciens ont fait une tentative vite avortée d’enrichissement par laser. Et finalement ce sont des ingénieurs avec les pieds sur terre qui ont gagné en ressuscitant la vieille idée de l’ultracentrifugation boostée par des matériaux plus résistants et des paliers magnétiques contrôlés. Le même scénario n’est pas exclu pour la fusion.

  • Plutot que se concentrer sur la fusion, nous ferions mieux de redevelopper la filiere a neutrons rapide initiee par superphenix, fermé grace a Jospin Voynet, et qui permettait de bruler nos dechets nucleaires actuels soit 3000 ans de reserves selon Yves Brechet, ancien commissaire a l’energie atomique. En tous cas les chinois et les russes le font, alors que nous ne sommes meme pas capables de demarrer Flamanville.

    • Nuance : nous sommes capables d’éviter indéfiniment tout démarrage de Flamanville.

    • Et n’oublions pas non plus la filière Thorium (Th232->U233) à sels fondus qui nous assurerait 2 à 3 millénaires d’énergie mais on s’en désintéresse curieusement.

  • Article un peu hâtif. D’une part la filière nucléaire englobant les surgénérateurs est au point et nous apporte une énergie suffisante pour des siècles, avec notamment nos réserves en uranium appauvri, et en thorium si ça ne suffit pas, d’autre part, même avec des aimants plus petits, l’avenir de la fusion se situe plutôt dans des machines laser, bien plus compactes que les tokamaks.

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