Le Starship de SpaceX, un géant réutilisable pour Mars

SpaceX bouleverse l’industrie spatiale avec des fusées réutilisables, réduisant les coûts et offrant une nouvelle approche pour l’exploration de Mars.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
image générée par IA

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Le Starship de SpaceX, un géant réutilisable pour Mars

Publié le 22 avril 2023
- A +

Imaginez qu’après chaque traversée de l’Atlantique on jette les avions à la mer. C’est un peu ce qui se passait avant l’arrivée de SpaceX sur le marché et la mise en pratique de l’idée géniale d’Elon Musk de récupérer puis de réutiliser le lanceur (premier d’une fusée de deux, trois ou quatre étages).

Depuis les V2 allemands de la Seconde Guerre mondiale, une fusée lancée était une fusée perdue (du moins dans ses éléments constitutifs). C’était l’époque où la pollution était une notion inconnue, où l’on disposait d’autant de métal que souhaité et où les usines tournaient sans trop de problème d’approvisionnement en métaux ou ergols (carburant + comburant). Sur cette lancée, si l’on peut dire, les fusées américaines de la grande époque de la conquête de la Lune (fin des année 1960/début des années 1970) étaient également jetables et donnaient satisfaction puisqu’on ne comptait pas les dollars dépensés et qu’on jetait aussi à peu près tout.

L’euphorie des premiers succès passés, on se dit que, tout de même, on pourrait faire des fusées comme des avions pour les seuls vols habités. Cela donna la navette spatiale, « the Shuttle », qui fut en service entre 1981 et jusqu’en 2011 (retraite un peu forcée après 135 vols pour des raisons de sécurité). Cet avion-fusée a rendu de grands services (sauvetage du télescope Hubble) mais il a coûté extrêmement cher en entretien. Il s’agissait notamment de réviser une à une la totalité des tuiles de protection thermiques après chaque vol. Et ce fut d’ailleurs un bloc de mousse de protection qui avait heurté une de ces tuiles au décollage qui provoqua la catastrophe de la navette Columbia (7 morts).

Quand il lança ses premières fusées en 2010, Elon Musk était animé par l’objectif Mars comme Tintin par l’objectif Lune. Et, sans aucun complexe (c’est un de ses traits de caractère) il voulut que sa fusée soit récupérable et réutilisable (il fallait évidemment qu’elle le soit pour revenir de Mars). Il commença ses lancements en 2006 et en 2015 il réussit sa première récupération (après plusieurs échecs ou demi-succès, mais c’est comme cela qu’il fonctionne). On était au vingtième vol et c’était un Falcon 9 (le seul lanceur dont la société disposait. Aujourd’hui SpaceX a lancé 216 Falcon 9 et Arianespace 84 Arianes 5 (depuis 2006). La différence est claire et la cause de la différence, c’est le coût aggravé par le fait que plus on lance moins le lancement coûte cher puisqu’on fait des économies d’échelle.

Le deuxième étage du Falcon 9 n’était pas récupérable mais cela n’avait pas vraiment de sens pour plusieurs raisons.

Premièrement la combustion des ergols du premier étage se termine très rapidement (trois minutes dans le cas du Starship) car il s’agit de s’arracher de la gravité terrestre à partir d’une vitesse nulle et pour ce faire non seulement de gagner en vitesse mais aussi en altitude, le plus vite possible. Après son utilisation, le premier étage se trouve donc à la verticale, très proche de son site de lancement. Au contraire le deuxième étage va prendre de la vitesse essentiellement à l’horizontale, en prenant lentement de l’altitude en fonction de sa vitesse qui le soustrait de plus en plus à la gravité. Il faudrait beaucoup d’ergols pour revenir sur le site de lancement très éloigné et à une vitesse initiale beaucoup plus élevée (peut-être pourrait-on le faire après une orbite complète ?).

Deuxièmement, dans une fusée classique le deuxième étage est un exhausteur d’altitude qui ne comporte ni beaucoup de métal, ni beaucoup de moteurs. Il est donc de ce fait moins intéressant.

Troisièmement, toujours dans une fusée classique, le deuxième étage en porte un autre (un module de service) qui lui-même en porte un autre (la capsule ou le satellite ou la sonde) même si l’expression « deuxième étage » est réservé exclusivement à cet exhausteur d’altitude. Le problème de la récupération est ainsi segmenté en plusieurs sous-problèmes. Si on lance un satellite, on ne va pas le récupérer, ce qui ne sera pas le cas d’une capsule si elle porte des passagers. Quant au module de service, il peut aller très haut, très loin, à une distance ou il ne sera pas plus récupérable que la sonde qu’il a lancée.

Pendant la mise en place chez SpaceX de l’innovation/révolution qui consistait à récupérer le premier étage, les institutionnels, NASA ou ESA, regardaient sans comprendre qu’ils étaient en train de perdre le marché, obnubilés par leur crainte que la fiabilité du lanceur récupéré ne serait jamais suffisante et par le fait que pour revenir se poser sur le sol terrestre, un lanceur devait utiliser entre 10 et 15 % des ergols embarqués.

 

Les lanceurs réutilisables : une bonne idée

Compte tenu de l’évolution des coûts et donc des prix des lancements, vu également l’allongement du track-record positif de SpaceX, ces mêmes institutionnels finirent par se dire que cette réutilisation des lanceurs n’était peut-être pas une mauvaise idée.

Mais le retard accumulé est considérable. À ce jour aucune fusée de la NASA construite par ULA (United Launch Alliance = Boeing + Lockheed Martin) n’est récupérable et l’ESA envisage la récupération/réutilisation pour les années 2030. D’ici là tout le marché, sauf protection très coûteuse, sera pris par SpaceX. C’est d’ailleurs presque déjà le cas sauf pour les lancements d’organisations captives pour des raisons politiques (l’ESA utilise forcément les services d’Arianespace).

Mais Elon Musk voulait aller plus loin. Il voulait aller sur Mars et c’est pour cela qu’il décida de créer un lanceur lourd adapté pour ces missions lointaines avec un nouveau concept de deuxième étage qui devient un second étage. Ce second étage fait un bloc de tous les segments supérieurs des fusées car il a besoin de conserver leurs fonctions. Si on veut envoyer des hommes sur Mars, il faut s’organiser pour qu’ils puissent revenir et donc que le second étage qui va les emporter sur Mars puisse en revenir en bon état, avec le minimum d’entretien sur place et qu’il puisse être approvisionné sur place en ergols pour bénéficier de l’énergie suffisante pour le voyage (moins que pour l’aller car la gravité martienne est nettement plus faible que la gravité terrestre).

Par la même occasion, il faut que le vaisseau spatial puisse revenir avec un module de propulsion type deuxième étage propulsif classique, avec un module de service classique pour assurer toutes sortes de fonction nécessaires à l’habitat mais pas seulement (correctif d’attitude notamment) et avec un habitat. À noter qu’il est totalement exclu d’apporter sur Mars les ergols nécessaires au retour car il faudrait doubler la masse qu’il conviendrait d’arracher à la gravité terrestre à l’aller (ergols suffisants pour repartir de Mars plus les réservoirs pouvant les contenir). Cela reviendrait à trimbaler avec soi un corps mort inutile pendant la moitié du voyage (qu’il faudrait en plus maintenir pendant deux ans à des conditions de températures particulièrement basses).

C’est ainsi donc qu’est né le concept de ce Starship et de son lanceur SuperHeavy dont on peut espérer assister au premier vol orbital cette semaine. Avec lui, le deuxième étage et les autres sont intégrés et la récupération entre dans la fonction elle-même du vaisseau spatial.

Si le Starship peut voler, le concurrent, également conçu et fabriqué selon des principes traditionnels par ULA, nommé SLS (Space Launch System), celui qui a mené à bien la première mission Artemis autour de la Lune, deviendra complètement obsolète. En effet il n’aura pas une capacité d’emport comparable. Sa capsule, Orion, a un volume pressurisé de 19,57 m3 dont un volume habitable de 9 m3 alors que le Starship aura un volume viabilisable de 1100 m3, habitable pour plus de 800 m3. Par ailleurs Orion serait totalement incapable de repartir de Mars après y être descendu. Il faudrait qu’il reste en orbite en étant assisté de l’équivalent d’un appendice léger, l’équivalent du module lunaire  (LEM) du temps d’Appolo pour descendre sur Mars puis remonter à l’orbite. Inutile de dire que ses capacités d’emport ne pourraient être qu’extrêmement limitées en volume et en masse (deux personnes et quelques équipements, comme un rover pour les transporter). En second lieu le coût du SLS se monte à plus de quatre milliards de dollars alors que celui du Starship atteint juste le milliard. Bien sûr c’est un coût initial et il diminuera si l’on construit plusieurs fusées ; mais c’est mal parti pour le SLS étant donné qu’il n’est et ne sera pas réutilisable.

Donc le SLS n’est qu’une solution provisoire en attendant que le Starship soit prêt. Quant à l’Europe/ESA, on en reparlera plus tard quand elle aura réussi à faire un lanceur réutilisable. Mais pour le moment elle n’est définitivement pas dans la course et ne tiendra dans les années qui viennent que parce que ses fusées seront payées par les impôts des contribuables.

Voir les commentaires (9)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (9)
  • La lourdeur de l’ESA empêche le développement de systèmes complexes pour 2 raisons majeures.
    1) l’ESA consomme à elle seule, simplement en frais de fonctionnement, 25% des budgets qui lui sont alloués. Et pour une valeur ajoutée ridicule. D’où les dépassements permanents des coûts de chaque projet.
    2) l’ESA impose des retours géographiques et industriels (obligation de PME) qui vont à l’encontre de la performance économique de l’investissement dans les projets. Ce qui prime dans le choix d’une entreprise participant à un projet n’est pas son savoir faire, mais sa localisation géographique en Europe et sa taille.

  • Avant l’arrivée du privé dans le spatial, il y avait un intérêt géopolitique à posséder ses propres lanceurs. Désormais la donne est différente, l’Europe/ESA peut bien se centrer sur d’autres aspects du spatial comme les satellites, capsules, modules ou autres produits pour stations habitées. Il y a encore des places à prendre…

  • Pour cette fois, c’est raté. Explosion du Starship…

    • En soi, ça ne devrait rien signifier pour l’avenir. Mais le discours comme quoi cette explosion sera bien plus instructive qu’un succès a un petit quelque chose d’inquiétant…

      • On ne peut pas dire que le fait que le SuperHeavy n’ait pas réussi à monter plus haut que 34 km et à libérer son Starship soit un succès. Mais encore une fois le but n’était pas de mettre un vaisseau en orbite, le but était d’étudier le comportement du Starship intégré en vol. Pour prendre une comparaison « footbalistique » que beaucoup comprennent, ce vol était un entraînement pour un match, ce n’était pas le match.

        • Quiconque réussit n’a pas manqué de connaître auparavant bien des échecs. Mais celui qui ne réussit pas, c’est exactement pareil.

    • Non ce n’est pas « raté ». Le but d’Elon Musk était « to learn as much as we can about the first fully integrated Starship ». Cela ne veut pas dire qu’il n’aurait pas été préférable que le SuperHeavy monte jusqu’à l’altitude où il aurait pu libérer le Starhip-vaisseau.
      Mais il y a beaucoup d’enseignements à tirer de ce test, notamment le renforcement de la table de lancement (car ce serait des blocs de cette table qui auraient endommagé les moteurs du lanceur).

      • D’après la vidéo, il me semble que c’est le contrôle d’attitude le problème. L’incident s’est produit à Max Q, ce qui suggère que les moteurs n’ont pas pu braquer assez pour stabiliser la fusée.
        La perte (relativement) asymétrique des moteurs peut en être la raison. Mais leur perte entraine aussi une trajectoire avec un profil aérodynamique moins agressif, ce qui diminue le Max Q.
        On verra les conclusions, ca peut être facile à corriger ou non (s’il faut revoir le montage des moteurs).

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Voilà maintenant quatre ans que le Royaume-Uni a officiellement quitté l'Union européenne. Depuis le Brexit, la Grande-Bretagne a connu trois Premiers ministres, et d'innombrables crises gouvernementales. Néanmoins, malgré le chaos de Westminster, nous pouvons déjà constater à quel point les régulateurs du Royaume-Uni et de l'Union européenne perçoivent différemment l'industrie technologique. Le Royaume-Uni est un pays mitigé, avec quelques signes encourageants qui émergent pour les amateurs de liberté et d'innovation. L'Union européenne, qua... Poursuivre la lecture

2
Sauvegarder cet article

It has been four years since the UK formally left the European Union. Since Brexit, Britain has been through three prime ministers and countless government crises. Nonetheless, despite the chaos of Westminster, it is already becoming clear how differently regulators in the UK and EU view the technology industry. The UK is a mixed bag, with some encouraging signs emerging for fans of freedom and innovation. The EU, meanwhile, is pursuing a path of aggressive antitrust regulation on various fronts.

 

AI ‘Bletchley Declaration’

Now... Poursuivre la lecture

Le CNES, Centre national d’études spatiales, est l’agence spatiale de l’État français. Elle est chargée d’élaborer et de proposer à son gouvernement un programme spatial, puis de le mettre en œuvre. Son président, Philippe Baptiste, a présenté ses vœux à la presse le 9 janvier. Ce qui frappe à première vue dans son message, c’est l’ambition, ce qui est bien, mais aussi le grand nombre d’objectifs. La France, pionnière dans le domaine spatial, a une tradition qui l’entraîne à se lancer dans de multiples projets. Mais, en tant que puissance pub... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles