La création monétaire peut-elle sauver la planète ?

Dans Le Monde, Jézabel Couppey Soubeyran propose d’avoir recours à la création monétaire pour affronter les défis environnementaux. Pierre Robert oppose à cette solution qu’il juge inefficace et dangereuse une solution par les mécanismes de marché et l’innovation.

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Source : Mufid Majnun sur Unsplash

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La création monétaire peut-elle sauver la planète ?

Publié le 7 novembre 2023
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Le Ministère du futur est le titre du dernier livre de Kim Stanley Robinson, un grand auteur de science-fiction qui se revendique de la gauche et de l’utopie.

 

L’avenir, c’est le passé

La thèse qu’il défend dans ce roman est que nous n’avons plus le temps d’inventer un modèle économique alternatif pour assurer « la survie de la biosphère ». La seule approche réaliste pour y parvenir serait de recycler d’urgence « de vieilles idées en les poussant plus loin ».

À ses yeux, John Maynard Keynes est l’auteur de la principale de ces vieilles idées lorsqu’il énonce qu’étant à l’origine de la création monétaire, les banques centrales ont la capacité de l’orienter pour résoudre le problème le plus grave du moment, soit le chômage hier et le changement climatique aujourd’hui.

Jézabel Couppey Soubeyran n’a peut-être pas lu Le Ministère du futur, mais la tribune qu’elle a signée récemment dans Le Monde suit la même piste.

Elle y souligne à juste titre que bien des dépenses nécessaires à la transition écologique ne sont a priori pas rentables. On note, ce qu’elle ne fait pas, que c’est déjà le cas de toutes les dépenses régaliennes et de bien d’autres qui, elles aussi, nécessitent un financement public.

La difficulté est que déjà très dégradées, les finances publiques de la plupart des pays, et de la France en particulier, ne sont pas à même de prendre en charge ces dépenses supplémentaires.

 

Le retour de la planche à billets

Qu’à cela ne tienne !

Si on voit les choses de très haut, comme le font des adeptes de la macro-économie, on peut agir sur le système économique en maniant deux types de levier.

Le premier est l’impôt. C’est la voie qu’emprunte le rapport Pisani-Ferry en prônant la création d’un « ISF vert ». Le moins qu’on puisse dire est que cette proposition passe mal dans un pays déjà très surtaxé.

D’où l’idée de recourir à la monnaie qui est le deuxième levier. Jézabel Couppey Soubeyran s’en saisit en proposant la création, autant qu’il le faudra, de « monnaie sans dette » par les banques centrales qui s’uniraient dans un même élan de coopération pour vaincre l’hydre climatique.

 

Haut les cœurs !

En effet, selon elle, la monnaie-dette, « pilier du capitalisme », « exclut les investissements socialement ou environnementalement indispensables ».

Il faut donc se libérer de ce carcan, en désencastrant la création de monnaie du marché de la dette, c’est-à-dire en l’émettant jusqu’à plus soif, sans contrepartie. Dans cette hypothèse, il va de soi que les banques centrales perdraient leur indépendance, alors qu’elle est la seule garantie d’un minimum de stabilité monétaire. Elles seraient purement et simplement aux ordres des autorités politiques.

Il suffisait d’y penser, en ayant soin d’occulter les échecs flagrants du passé, comme la faillite du système de Law ou le naufrage des assignats.

Pourquoi d’ailleurs, comme le préconise aussi Kim Stanley Robinson, ne pas pousser plus loin cette idée en mettant la création monétaire, non seulement au service de la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi à celui de tous les objectifs collectifs (fixés par qui ? comment ?) dès lors qu’on peut les placer « sous les signes du non marchand, du social et de l’écologie » ?

Force est d’ailleurs de constater que le périmètre de ces dépenses indispensables mais estimées non rentables, et donc à financer par création monétaire, n’est jamais clairement défini par la tribune. Une bonne part de celles qu’elle pointe, comme le traitement des eaux usées ou la collecte des déchets, sont d’ailleurs déjà très bien assurées par des groupes privés.

En tout état de cause, la frontière entre les activités qui à un moment donné sont rentables et celles qui ne le sont pas n’est pas fixe. Elle ne cesse d’évoluer sous l’influence des forces du marché qui n’est pas une « fabrique du diable » comme le prétendent ceux qui se réclament de Karl Polanyi, mais le processus le plus apte à trouver des solutions viables.

 

La Gosbank revisitée

Si on suit madame Couppey Soubeyran, comme au bon vieux temps de l’URSS, les banques centrales émettraient donc de la monnaie sans contrepartie et sans motif autre que l’exécution des directives d’une autorité de planification centralisée.

La somme correspondante serait alors inscrite sur le compte d’une société financière publique (dirigée par qui ? selon quelles règles ?) qui distribuerait la manne pour réaliser des projets d’investissement, sélectionnés justement parce qu’ils ne sont pas rentables.

Les Shadoks ne sont pas loin.

 

Taxer pour éponger

Surgit alors sous la plume de l’auteure une question candide : faut-il craindre que cela soit inflationniste ?

Elle reconnaît bien volontiers que ça le serait inévitablement, d’autant plus qu’à la différence de la monnaie standard qui disparaît quand la dette sous-jacente est remboursée, celle-ci aurait une durée de vie illimitée et s’accumulerait indéfiniment.

Alors que faire ? Sans surprise, la réponse est de taxer in fine tout ce qui peut l’être pour retirer cette monnaie du circuit, dès lors qu’elle devient trop abondante. Sorti par la porte, l’impôt revient par la fenêtre.

 

Faire confiance aux mécanismes de marché

Pour ne pas alourdir encore une charge fiscale devenue contre-productive, ce sont les dépenses publiques actuelles qu’il faut parvenir à diminuer et à réorienter grâce aux marges de manœuvre ainsi dégagées.

Il faut aussi faire confiance aux innovateurs dont les réalisations dégageront les gains de productivité indispensables pour faire face à de nouvelles dépenses.

L’approche par « la monnaie, sans dette » n’est qu’une énième version d’une antienne bien connue, selon laquelle le capitalisme agresse l’avenir, alors qu’il a engendré une « prospérité de masse » (Edmund Phelps) dont bénéficie le plus grand nombre dans les pays industrialisés.

Pour que celle-ci perdure, il faut laisser l’économie de marché trouver les solutions pertinentes dont la mise en œuvre passe par la fixation d’un prix unique du carbone et par l’essor de nouvelles technologies permettant de réduire les émissions de CO2.

Le salut se situe aux antipodes des solutions constructivistes prônées par les économistes hétérodoxes.

Au nom de ce qu’ils estiment être « le bien commun », ceux-ci osent tout.

C’est même à cela qu’on les reconnaît.

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  • assurer « la survie de la biosphère »….

    règle numéro un de l’écologisme , être ambigu… surtout dans les objectifs

    • ceci étant dit…
      la création « monétaire » pose question ..quelque soit la raison invoquée..
      et avoir une seule monnaie OBLIGATOIRE aussi..

      crée on de l’or?

  • Parce que c’est bien connu, imprimer de la monnaie pour la distribuer à tout va, ça rend tout le monde plus riche! On l’a bien vu depuis trois ans avec la crise covid et l’argent gratuit.

    Si seulement on pouvait faire comprendre aux gens que l’inflation dont tout le monde se plaint aujourd’hui n’est que le résultat de la distribution d’argent gratuit, mais non! Il suffit de dire que c’est de la faute de Poutine, les gens goberont cette explication et l’honneur de nos politiques sera sauf.

    • certes..mais vos éludez la question première

      imprimer de la monnaie..combien et pourquoi.

      autrement dit l’état normal est déjà problématique.

  • « Faire confiance aux mécanismes de marché » en les détournant par une fixation autoritaire des prix du carbone. Sommes-nous bien sur un site libéral, ou bien, comme je le crois, sur un site gaucho-écolo déguisé ?

  • Attention, il y a la bonne et la mauvaise création monétaire.
    La bonne est celle du prêt à un investisseur qui va, avec, faire des investissements lui permettant de rembourser sans problèmes. La création monétaire n’est alors que transitoire jusqu’à cette résorption par remboursement.
    La mauvaise est celle de la création au profit d’un gouvernement qui va bien sur en profiter pour utiliser cette manne et donc détourner une partie de la production physique vers ses propres objectifs (pas forcément optimaux et pas forcément réalisés de façon optimale). Comme cela n’aura pas généré des moyens supplémentaires de production, il faudra rembourser soit en prélevant des impôts, soit en laissant filer l’inflation (qui n’est qu’une forme d’impôt). Dans ces deux cas, ce sont bien les ménages qui en feront les frais.
    La création monétaire avec contrepartie (les prêts aux entrepreneurs ayant de bons projets) est un mécanisme économique très sain car s’il n’y a qu’elle, la masse monétaire évolue comme l’outil de production. Ce qui est désastreux c’est la création sans contrepartie.

    • La création monétaire n’est bonne que quand il y a un manque de monnaie avéré. C’est le constat de ce manque qui doit la régir, et non un quelconque jugement sur les projets qui l’utiliseraient, jugement hypocrite et biaisé par principe.

      • Que la monnaie soit créée par une banque ou qu’un particulier prête son épargne (pas de création monétaire dans ce cas), il faut bien se demander si l’emprunteur a des chances de rembourser. Cela peut passer par une hypothèque ou par l’évaluation d’un projet reposant en partie sur des garanties qui ne sont pas toutes matérielles (idées, qualité du management…). On peut se tromper dans l’évaluation du projet mais prêter sans évaluer serait aller bien plus souvent à la catastrophe. Les banques non soutenues par les états qui prêtent sans discernement ne durent pas très longtemps.
        En quoi est ce hypocrite ?
        Et quand vous achetez des actions, vous ne vous interrogez pas un peu sur la qualité de la société ?

        • Ne mélangez pas le besoin avéré pour des investissements rentables avec les investissements bien en cour dont il est sûr que l’Etat (et donc le contribuable) interviendra pour compenser le manque de rentabilité. Quand j’investis en bourse, je tente de mesurer la rentabilité future de la société concernée. Quand ma banque investit, en prétendant d’ailleurs être bien plus compétente que moi pour ce faire, elle se contente de mesurer combien de subventions publiques la boite touchera. Vous le dites vous-même, mais en retournant la phrase « les banques qui prêtent sans discernement mais sont soutenues par les Etats durent très longtemps ». Sauver la planète est la meilleure façon d’obtenir la garantie de l’Etat pour des projets à rentabilité négative, et de passer ainsi devant les autres pour confisquer la création monétaire à son profit.

  • « Notre » Europe se rapproche de plus en plus de l’Union Soviétique, avec son Gosplan (directives pour la transition énergétique), sa nomeklatura (cette oligarchie non élue à la tête de la commission européenne) nommée par les gouvernements, sa montagne de régulations et ses amendes. L’ecologie punitive en est un des aspects ruineux les plus frappants.

  • C’est une excellente idée que de créer de la monnaie pour financer l’écologie. Cela va créer de l’inflation qui n’est qu’une forme parmi tant d’autres de créer un impôt. Les sans-dents applaudiront béatement à cette création qui va les tondre encore plus.
    La Chine, l’Inde, les états du golfe et autres grands générateurs de CO2 qui n’ont cure de la pollution regarderont notre civilisation européenne s’effondrer grâce aux écolos. Même plus besoin d’y envoyer des terroristes.

  • Comment transformer notre pays en Venezuela sans pétrole , ça va être rigolo . On peut être sûrs que les projets les plus farfelus vont naître dans les têtes des filous pour avoir une part du gâteau , et malheureusement , pas que dans les têtes, on peut être également sûrs que les porteurs de tampon donnant accès à la manne auront aussi leur part de bénéfice , quant au peuple et aux honnêtes , eh bien , la ruine , la fuite ou bien les deux (au mieux ) . Quelle pitié quand même .

  • Avant ces délires, j’attends toujours qu’on me démontre sérieusement que le CO2 a un effet sur le climat…

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