S’agissant de parler de la vérité, de quels autres propos plus pertinents s’inspirerait-on, si ce n’est de Karl Popper ?
Il a énoncé comme principe de la connaissance scientifique qu’elle fasse l’objet d’un débat public, et comme critères de son impartialité, que toute théorie, aussi inattaquable puisse-t-elle paraître, soit soumise à la critique et à l’expérience dans des conditions reconnues par tous.
Seul le pouvoir politique, quand il s’oppose à la liberté de critiquer, peut entraver le libre cours du développement scientifique et technique – le lyssenkisme en est un exemple.
C’est bien sûr parce que, jusqu’à présent, la connaissance n’y avait pas été corrompue par l’idéologie que la science et la technique ont connu leur prodigieux essor en Occident. Ne cherchez pas ailleurs. L’impartialité du savant n’y suffit pas, son objectivité est en quelque sorte conditionnée par le débat public autour de ses hypothèses et ses expériences.
Karl Popper (1902-1994), fin observateur de son époque, reconnut cette qualité à Marx ; moins à Hegel qui, s’il fût le reflet de son temps, en fut surtout le produit dans sa quête insatiable de notoriété officielle ; aussi à Platon auquel Popper a consacré le premier tome de La société ouverte et ses ennemis (cf. la chronique du 31 décembre 2022) dont le second tome fait l’objet de cet article, tous et d’autres, des philosophes du changement, témoins et parfois acteurs de la métamorphose du cadre social dans lequel vécurent leurs contemporains. Tandis que Platon y voyait la déliquescence d’une société s’éloignant de l’idéal aristocratique et tenta vainement de l’arrêter, Hegel et Marx, et d’autres plus encore de nos jours, tant le changement semble avoir tendance à s’accélérer, ont la prétention de le prédire et le contrôler par une planification à grande échelle, réservant à l’État, faut-il le préciser, un rôle sans cesse élargi.
Marx, concède Popper, était un rationaliste, autant qu’un Socrate ou un Kant. Il croyait à la raison comme principe unificateur de l’humanité.
Pour autant, Popper range Marx parmi les ennemis de la société ouverte.
Que lui reproche-t-il ? Son sens étroit de la raison et du rationalisme.
Marx – qui fit pléthore d’émules à ce niveau – place l’intelligence au-dessus de l’observation et de l’expérience. La pensée de Marx pèche par son déterminisme : d’une part sa sociologisation du vécu, à savoir que nos opinions sont formatées par nos intérêts de classe, sans toutefois qu’il ne tienne compte de ce que les siennes le sont aussi – on parle de sociologisme – ; et d’autre part sa présomption de prédire le cours de l’histoire, la lutte des classes devant nécessairement se terminer par le triomphe du socialisme sur le capitalisme – on parle d’historicisme – sans qu’il n’ait toutefois prévu que l’État, loin de disparaître, comme il l’avait escompté, ne cesserait de se renforcer au seul bénéfice de ceux qui le dirigent.
L’historicisme de Marx, pour optimiste et naïf qu’il fût, n’est pas différent en nature de celui d’un Platon, d’un Hegel ou d’un Spengler, pour citer avec celui-ci l’un des avatars connus de la prophétie historique au XXe siècle.
Mais beaucoup d’autres s’y exercèrent et prolifèrent encore de nos jours.
À tout prendre, un excès de rationalisme critique vaut mieux que la pensée magique, l’irrationalisme. L’histoire regorge d’exemples d’horreurs sur lesquelles le mysticisme prophétique, inévitablement empreint d’autoritarisme a débouché, quand il cherche à accéder au pouvoir : la pensée marxiste, à commencer par sa version léniniste, en a cautionné son lot.
« Un rationaliste, dit Popper, même convaincu de sa supériorité intellectuelle, n’imposera jamais son autorité, car cette supériorité dépend, il le sait, de son aptitude à accepter la critique, à reconnaître ses erreurs, et à faire preuve de tolérance, tout au moins envers ceux qui la pratiquent eux-mêmes […]Le choix, conclut-il, n’est plus entre connaissance et foi, mais entre deux sortes de foi, l’une qui fait confiance à la raison et à l’individu, l’autre qui s’abandonne à une mystique collective. » La société ouverte et ses ennemis, tome 2, Hegel et Marx, Karl Popper, 352 p, Éditions Points.
Marx n’était pas un rationaliste. Mais un ratiocinateur. Qui planquait son idéologie sous un habit verbeux. Evidemment, confondant la réalité de la mécanique humaine et sa propre attente de la vie, il s’est planté sur tout.
Je tiens Hegel en plus haute estime. Avec sa dialectique du maître et de l’esclave, il a visé juste. Au moins une fois.
Tres interessant mais de mon point de vue (et je ne suis pas la seule l’individu est composé de trois centres : la tête , le coeur et les trippes et non comme l’auteur semble le présenter : de raison et de mystique (dont on devine à travers ses lignes toutes les réserves) . On voit que les apôtres de la raison pure nous ont menés au délire tout comme les apôtres du coeur pur sans parler de la trippe .
Un apôtre aussi délirant et persuasif soit-il ne peut agir que sous certaines conditions. Ce sont donc les conditions, disons les circonstances, qui sont déterminantes. Et celles-ci sont l’état de la réalité sociale ou de sa perception.
Or l’apparition de ces phénomènes que Popper qualifie d’ennemis de la société ouverte, sont le fruit de la société ouverte : société ouverte = société dynamique = conflits potentiels. Car si dans la dynamique atmosphérique, les orages sont bénéfiques et rarement destructeurs, quelques fois pourtant ils le deviennent.
Marx (ce qu’il représente) aurait tout aussi bien pû rester une analyse, un poison sans flacon.
@indivisible oui et on peut aussi dire que remède ou poison c est surtout une affaire de dosage …