Laïcité à l’école : le Conseil d’État tranche sur le port de tenues religieuses

Entre le respect de la laïcité et la liberté de culte, l’équilibre est précaire. Décryptage de la dernière décision du Conseil d’État sur les tenues religieuses à l’école.

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Conseil d'État, image provenant de Flickr

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Laïcité à l’école : le Conseil d’État tranche sur le port de tenues religieuses

Publié le 23 septembre 2023
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Le Conseil d’État fut saisi par un référé-liberté (article L.521-2 du Code de justice administrative, CJA) par l’association « Action droits des musulmans » afin de suspendre l’acte de droit souple de nature impérative en question s’appliquant dans l’enseignement primaire et secondaire.

La note de service prévoyait notamment, qu’en vertu de « l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation, qui reprend la loi du 15 mars 2004, le port de telles tenues [l’abaya et le quamis], qui manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse, ne peut y être toléré ».

La note de service prévoyait également, toujours concernant ce même sujet, qu’à « à l’issue d’un dialogue avec l’élève, si ce dernier refuse d’y renoncer au sein de l’établissement scolaire ou durant les activités scolaires, une procédure disciplinaire devra être engagée ».

La note de service faisait donc application de l’article L.141-5-1 du Code de l’éducation qui dispose dans son alinéa premier que, « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. » L’alinéa deux complétait celui-ci en disposant que, « le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève ».

 

Rappel historique

À ce stade préliminaire du raisonnement, on peut déjà par une subsomption, constater en creux la légalité de la note de service au regard de la loi du 15 mars 2004.

En effet, on peut noter d’une part, qu’elle ne fait que compléter ou du moins, préciser ce qu’il faut entendre par « port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » et que d’autre part, elle prévoit un dialogue avec l’élève antérieurement à sa sanction disciplinaire car ce n’est qu’à l’issue de ce dialogue que l’administration appréciera les éléments lui permettant de sanctionner l’élève en question.

On peut noter à cet égard, que la note de service du 27 août 2023 joue le même rôle que la circulaire du 18 mai 2004 car dans les deux cas, tel est le but du droit souple, on vise à préciser les dispositions législatives, ou de donner une interprétation conforme à l’administration, afin que cette dernière puisse agir sous couvert de la légalité.

La circulaire du 18 mai 2004 précisait aussi ce qu’il fallait entendre au regard de l’article précité.

Elle affirmait :

« Les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive. La loi est rédigée de manière à pouvoir s’appliquer à toutes les religions et de manière à répondre à l’apparition de nouveaux signes, voire à d’éventuelles tentatives de contournement de la loi. »

La circulaire précisait cependant que, d’une part, « la loi ne remet pas en cause le droit des élèves de porter des signes religieux discrets » et que d’autre part, « elle n’interdit pas les accessoires et les tenues qui sont portés communément par des élèves en dehors de toute signification religieuse ».

La position du Conseil d’État a alors changé au même rythme que l’évolution législative en la matière. Si avant 2004, le Conseil d’État censurait les interdictions trop générales, après cette date, la plus haute juridiction administrative appliquera strictement le principe de laïcité.

Par exemple, dans son avis rendu le 27 novembre 1989, le Conseil d’État estime :

« Le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui, et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité ».

Il en a déduit que le port de signes d’appartenance religieuse ne saurait faire l’objet d’une interdiction générale et absolue : le port par un élève d’un signe visible manifestant son appartenance religieuse n’est donc pas en lui-même, c’est-à-dire en principe, contraire au principe de laïcité.

Autre exemple d’avant 2004, le Conseil d’État estime, en 1992, (M. Kherouaa et a., n°130394, du 2 novembre 1992) que, « la liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui, et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité ».

Donc :

« Le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses, mais cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuses qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public ».

La jurisprudence antérieure à 2004 n’aidait guère l’administration à clairement délimiter le religieux du non religieux, de ce qui a fait l’objet d’une pression, ou non, ou de ce qui relève du prosélytisme.

Après la loi de 2004 venant clarifier tout cela, la jurisprudence du Conseil d’État va se durcir, notamment en interprétant de manière constructive l’article L.141-5-1 précité.

En effet, à côté de la catégorie « signes ou tenues, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse », le Conseil d’État crée la catégorie des signes ou tenues différents dont le seul port manifeste ostensiblement une appartenance religieuse « en raison du comportement de l’élève » (Conseil d’État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 05/12/2007, n°285394, Publié au recueil Lebon ). Le Conseil d’État a alors pu faire de la casuistique en faisant entrer, au cas par cas donc, dans cette catégorie, un bandana (CE, 5 déc. 2007, n° 295671 ) ou le keshi sikh (n°285394 précité). Le reste n’est que casuistique, et il est revenu aux tribunaux administratifs de dire au cas par cas, ce qui pouvait tomber dans les catégories légales et prétorienne.

 

Commentaires de l’ordonnance

Voilà donc un rappel juridique nécessaire avant d’entamer le commentaire de l’ordonnance de référé n°487891 du 7 septembre 2023.

Il faut préciser que le Conseil d’État intervenait dans le cadre d’un référé-liberté (article L.521-2 CJA).

Il devait donc vérifier deux éléments cumulatifs pour constater l’urgence :

  1. D’une part si la mesure n’était pas manifestement illégale
  2. D’autre part, si elle ne portait pas atteinte de manière grave à une liberté fondamentale1 au sens de l’article L.521-2 du CJA.

 

L’office du juge est donc assez strict car il doit statuer en 48 heures. Son contrôle ne porte donc que sur des illégalités flagrantes et des violations flagrantes des libertés fondamentales. La rédaction de l’ordonnance suit cette contrainte temporelle avec le recours à l’imperatoria brevitas pour affirmer sa position, ce qui explique le peu de justification de cette ordonnance (rien d’étonnant dans ce type de recours).

Le Conseil d’État commence par rappeler les catégories précitées (considérant 4) qui sont les principes de base de la laïcité. Les considérants 5 et 6 sont les plus développés.

Dans le considérant 5, le Conseil d’État établit une présomption de religiosité à l’égard de l’abaya.

En effet, il note :

« Les signalements d’atteinte à la laïcité liés au port de signes ou de tenues méconnaissant les dispositions de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation dans les établissements d’enseignement publics ont connu une forte augmentation au cours de l’année scolaire 2022-2023 ».

Qu’est ce qui fait l’objet de tels signalements ?

Le Conseil d’État relève que, « ces signalements ont trait, en grande majorité, au port par des élèves d’écoles, de collèges et de lycées publics de tenues de type abaya ».

Et c’est là que s’opère la présomption de religiosité : « le choix de ces tenues vestimentaires s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse » notamment au regard « d’un discours mettant en avant des motifs liés à la pratique religieuse, inspiré d’argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux ».

La conséquence logique de tout cela se trouve dans le considérant suivant dans lequel le Conseil d’État estime que l’interdiction opérée par la note de service ne porte pas atteintes aux libertés fondamentales invoquées par l’association requérante. Dès lors, l’urgence au sens de l’article L.521-2 n’est pas constatée et la requête est donc rejetée.

Au regard de l’évolution récente de la jurisprudence du Conseil d’État (ex :CE, 29 juin 2023, n°458088-4595478-463408, « FFF »), cette solution paraissait évidente. Renforcé par la « loi séparatisme », le principe de neutralité a pris le dessus sur le droit au port individuel d’insignes religieux qui a cédé à une vision stricte, séparatiste, de la laïcité, s’agissant des élèves (hors universités) et même parfois des personnes accompagnantes scolaires ou périscolaires.

Le Conseil d’État et les autres juridictions administratives disposent donc de nouveaux arguments plus solides pour valider des dispositifs comme la note de service. La décision du 7 septembre 2023 était donc tout à fait conforme à l’état du droit et à la vision de laïcité tel qu’elle transparaît dans les récentes évolutions législatives ou jurisprudentielles.

  1. Les « libertés fondamentales » sont ici celles qui sont identifiées comme tel par le Conseil d’État. Il y a à ce jour 39 libertés fondamentales parmi lesquelles, la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre, l’interdiction du travail forcé, le droit à un recours effectif devant un juge ou plus récemment, en septembre 2022, le Conseil d’État a reconnu le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
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  • Manque de courage et de connaissance de l’islam de nos politiciens. Pourtant, c’est très simple.
    Un homme adulte n’a pas le droit de parler ou échanger des messages avec une femme musulmane (c’est à dire pubère) et inversement : son mari, son père, son frère ou un membre de sa proche famille doit servir d’intermédiaire. Conséquence : pour les élèves féminines qui revendiquent cette religion en classe, un professeur homme n’a pas le droit de leur parler directement et de recevoir leurs copies sous peine de lapidation ou de coups de fouet. Ainsi, ils doivent les ignorer totalement en cours et systématiquement mettre 0 à leurs interrogations sans même les lire. Si dans ces pays seules des femmes peuvent leur donner des cours , la France n’a pas à appliquer cette règle.
    Concernant les garçons, le vendredi étant le jour de repos imposé par le prophète, le professeur doit ignorer leur travail ce jour là. Cela veut dire qu’une interrogation doit automatiquement amener à un 0 sans même la lire.
    Et là, pas de recours possible des associations islamiques : la laïcité de l’école respecte la loi de leur religion.
    Enfin, en cas de reproche par les parents, le retour en arrière doit être impossible sans une attestation de l’imam local statuant que l’enfant et ses parents (cette religion est héréditaire) n’appartiennent pas à cette religion.

  • définition de tenue religieuse..

    la solution simple pour certains est l’uniforme..

    et ça pourrait être vrai si il n’xistait pas un refus de se mettre d’accord sur un uniforme neutre…

    ça rappelle le débat sur les menus de cantine..

    PAYER des impots pour « éduquer » son gamin d’une façon qui vous convient ou vous agace ou vous révolte..

    se servir de l’état pour « emmerder les emmerdeurs » est « acceptable » pour certain voire « justifié ».. et puis un jour…

  • Le Conseil d’État ne « tranche » pas sur le fond, il s’agit d’un référé-liberté, comme mentionné dans l’article.
    La seule chose qu’il « tranche » ici, c’est la question de savoir s’il est urgent de statuer ou non. Le juge a estimé que le critère d’urgence n’était pas là, et qu’en conséquence la circulaire peut rester en place, en attendant un éventuellement jugement sur le fond de l’affaire.
    À ce stade, rien n’est joué.

  • Le port le l’abaya n’était peut-être pas un signe religieux mais il l’est devenu. Mais il faudra également l’interdire pour d’autres motifs : c’est un signe séparatiste, identitaire, communautariste, de conquête. Il faut inscrire ces motifs pour interdire tous ces signes dans les écoles et dans l’exercice de services publics.

  • On peut commenter ad nauseam les décisions du CE.
    Depuis le match Dieudonné-Valls ou le tordage de bras du gouvernement dans le contrôle technique moto, je considère que c’est peine perdue.
    Cette institution n’est pas fiable. Elle ne dit pas le droit. Elle donne la température.
    Sur l’abaya et son interdiction, l’honnête homme se réjouira.
    Pour le reste…
    Carpe diem, quam minimum credula postero.

  • On peut commenter ad nauseam les décisions du CE.
    Depuis le match D.eudonné-Valls ou le tordage de bras du gouvernement dans le contrôle technique moto, je considère que c’est peine perdue.
    Cette institution n’est pas fiable. Elle ne dit pas le droit. Elle donne la température.
    Sur l’abaya et son interdiction, l’honnête homme se réjouira.
    Pour le reste…
    Carpe diem, quam minimum credula postero.

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