Accord de libre-échange avec le Mercosur : la France bloque toujours

L’accord commercial entre l’UE et le Mercosur divise l’Europe, avec la France en première ligne, craignant pour son secteur agricole. De plus, des critiques émergent quant à l’impact environnemental potentiel de l’accord. Cette impasse révèle un conflit entre la souveraineté nationale et les exigences environnementales européennes.

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Accord de libre-échange avec le Mercosur : la France bloque toujours

Publié le 20 septembre 2023
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L’Union européenne et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) ont conclu un accord commercial en 2019, après plus de vingt années de négociations complexes.

Mais celui-ci n’a pas été ratifié par les pays européens. Il est resté en suspens en raison des inquiétudes suscitées par la déforestation de l’Amazonie et le manque flagrant d’implication du Brésil de Jaïr Bolsonaro dans la lutte contre le changement climatique.

 

Des négociations qui s’éternisent

Le processus s’est grippé encore un peu plus en mars 2023 lorsque, dans un document annexe, la Commission européenne a fait part d’exigences environnementales supplémentaires pour parvenir à la conclusion de l’accord.

Ainsi que l’a formulé le ministère français du Commerce extérieur :

« Ce que nous souhaitons, ce sont des engagements contraignants et vérifiables de la part des pays du Mercosur en matière de climat et de biodiversité ».

Cette demande de garantie de la part des Européens a été ressentie par les pays du Mercosur comme une marque d’arrogance et une atteinte « intolérable » à leur souveraineté.

Le 19 juillet dernier, le président Lula l’a formulé en ces termes :

« L’Europe a écrit une lettre agressive pour menacer [le Mercosur] de sanctions et de punitions s’il ne remplissait pas certaines exigences environnementales […] J’ai dit à l’Union européenne : deux partenaires stratégiques ne discutent pas par le biais de menaces, mais par le biais de propositions. »

Le 14 septembre, une source du ministère brésilien des Affaires étrangères a néanmoins fait savoir qu’après consultation de ses membres, le Mercosur avait répondu à ces nouvelles exigences environnementales de l’Union européenne (dans des termes qui n’ont pas été rendus publics), et que la balle était désormais dans le camp européen.

 

Un projet favorable au libre-échange

Pour comprendre les obstacles qui empêchent la poursuite d’un processus bénéfique de libération du commerce entre le Mercosur, qui, avec ses 270 millions d’habitants pèse 67 % du PIB du continent sud-américain, et les 27 pays de l’UE, il faut se référer à la teneur de cet accord si longuement et âprement discuté.

Visant à faciliter et stimuler les échanges entre les deux blocs, il prévoit l’élimination en dix ans de la quasi-totalité des droits de douane appliqués aujourd’hui sur les exportations d’un continent vers l’autre.

Dans le cas du Mercosur, ces droits s’élèvent à 35 % pour les voitures, à 27 % pour le vin, et vont jusqu’à 18 % pour la chimie, ou encore 35 % pour les spiritueux. L’Union européenne a en outre obtenu un meilleur accès de ses entreprises aux marchés publics des pays du Mercosur et une sauvegarde de ses indications géographiques protégées.

En contrepartie, elle a accepté un quota annuel d’importation de 99 000 tonnes de viande bovine sud-américaine à taux préférentiel (elle en produit 7,8 millions de tonnes), un quota supplémentaire de 180 000 tonnes pour le sucre, et un autre de 100 000 tonnes pour les volailles.

L’opposition à cet accord se cristallise en Europe autour de deux thèmes : l’agriculture et le développement durable.

 

Tir de barrage des lobbies agricoles

Pour ce qui est de l’agriculture, sa mise en œuvre aurait un impact indéniable mais positif, ne serait-ce qu’en tant que facteur de stimulation de la concurrence, de progrès de la productivité et de baisse des prix favorisant l’élargissement du cercle des consommateurs.

La Commission européenne a de fait calculé que les importations de bœuf augmenteraient de 422 millions d’euros par an d’ici à 2030, celles du sucre progresseraient de 116 millions d’euros, et celles de poulet de 288 millions d’euros. Parmi les douze accords de libre-échange signés ou en voie de ratification avec l’Union européenne, celui avec le Mercosur entraînerait, selon elle, « la plus forte importation de produits agricoles » sur le Vieux Continent.

C‘est un casus belli pour les agriculteurs français qui, en réponse, brandissent l’étendard de la santé des consommateurs. Pour défendre leur pré carré, ils s’inquiètent à grands cris de certaines pratiques, courantes dans les élevages brésiliens, mais proscrites en Europe, à l’instar de l’utilisation des antibiotiques pour activer la croissance des bovins. On remarque toutefois que rien n’empêche aujourd’hui une ferme brésilienne d’envoyer en Europe un bœuf traité aux antibiotiques dès lors que les résidus ne dépassent pas un certain seuil.

Comme le confirme la Commission, « rien dans l’accord ne modifie la manière dont l’Union européenne adopte et applique ses règles de sécurité alimentaire », qu’il s’agisse des produits européens ou des produits importés. Ce n’est donc pas un argument recevable pour le contester.

 

Une menace pour la planète ?

L’autre angle d’attaque est celui du développement durable.

En favorisant la consommation de viande, l’accord est de fait un chiffon rouge pour le parti animaliste, les végans, les décroissants, les écologistes, et tous les altermondialistes.

Au-delà des dispositions précises du texte, ils s’opposent au principe même de ces grands accords qui favorisent les échanges commerciaux. En réduisant les barrières douanières, ils sont accusés de contribuer à augmenter les émissions de gaz à effet de serre liées à la production et au transport de marchandises.

« Pourquoi faire traverser l’Atlantique à un bœuf élevé en Amérique du Sud » s’interroge doctement Cécile Duflot, ancienne ministre, et aujourd’hui directrice d’Oxfam France qui voit dans l’augmentation des flux commerciaux, non un puissant facteur d’amélioration du niveau de vie, mais « la cause principale du réchauffement climatique ».

Avec un tel raisonnement, c’est l’intégralité du commerce international auquel il faut mettre un terme, ce qui serait le plus sûr moyen d’appauvrir très vite l’ensemble de l’humanité. En tout état de cause, il n’y a pas d’accord de libre-échange avec la Chine, et pourtant nous importons massivement des produits fabriqués dans ce pays, ainsi qu’indirectement le carbone lié à leur production. Ce ne sont donc pas les accords de libre-échange qui génèrent en tant que tels une dégradation de l’environnement et du climat.

Pour ce qui est de la déforestation de l’Amazonie que le développement de l’élevage impulsé par l’accord pourrait accélérer, selon quelques experts, le président Lula a tenté de répondre aux inquiétudes des Européens :

« Nous avons un engagement qui n’est pas un accord entre les parties, mais un engagement historique de ma dernière campagne : zéro déforestation jusqu’en 2030. C’est un engagement pris envers nous, les Brésiliens, pas envers l’UE, envers les Brésiliens. »

De surcroît, le texte inclut un chapitre sur le développement durable qui couvre « la gestion durable et la conservation des forêts, le respect des droits des travailleurs et la promotion d’une conduite responsable des affaires ».

Il se réfère même explicitement à l’accord de Paris sur le climat et au sacro-saint « principe de précaution », garantissant que les autorités publiques pourront « agir pour protéger la santé humaine, animale ou végétale, ou l’environnement, face à un risque perçu, même lorsque l’analyse scientifique n’est pas concluante ».

 

Dissensions européennes

Dans le combat pour l’adoption de cet accord de libre-échange salutaire pour tous, dans la mesure où il incite chacun à valoriser au mieux les facteurs de production dont il est doté, notre pays est en position d’arrière-garde.

Pour de nombreux observateurs, la France semble ne pas avoir de stratégie claire envers la région, contrairement à l’Espagne qui y conserve une forte influence, et à l’Allemagne dont les firmes industrielles ont tout intérêt à ce que l’accord soit ratifié.

Notre pays semble s’orienter vers une approche bilatérale et, « en même temps », soutient la stratégie européenne des Global Gateway. Définie sous sa présidence en 2021, son objectif est d’offrir aux pays en développement une alternative à l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie par le biais d’une série d’aménagements d’infrastructures à l’échelle mondiale. Cette démarche fait l’économie d’accords commerciaux globaux, mais son financement reste hypothétique car il est très dépendant des initiatives du secteur privé.

Cette attitude ambiguë des responsables français cache mal un protectionnisme agricole larvé dénoncé par un Lula pourtant peu suspect de libéralisme. Le président brésilien a fait valoir que « Les problèmes et les difficultés ne sont pas uniquement dus à l’Amérique latine ». Il s’en est pris à la France comme étant la principale responsable du blocage des négociations au nom de la protection de ses actifs agricoles, alors même qu’elle conteste la manière dont le Brésil préserve son propre modèle agro-industriel : « Tout comme la France a cette primauté à défendre bec et ongles son patrimoine productif, nous avons intérêt à défendre le nôtre. La richesse de la négociation, c’est qu’il faut bien que quelqu’un cède ».

 

Des opportunités qui risquent d’échapper à l’UE

De cet accord on peut attendre des conséquences bénéfiques sur le pouvoir d’achat, et un impact positif sur la croissance des pays partenaires.

Il est possible que cela accroisse la pression sur l’environnement en Amérique du Sud, mais de toute façon, avec ou sans l’accord, cette pression s’exercera.

Si l’Europe ne fait pas progresser ses pions en Amérique latine, le terrain sera occupé par d’autres puissances économiques, en particulier la Chine.

Comme l’a déclaré M. Lula da Silva à un groupe de journalistes lors du sommet entre l’Union européenne et 30 pays sud-américains qui s’est tenu à Bruxelles en juillet :

« Si l’Europe ne veut pas faire d’investissements, d’autres pays veulent en faire […] À l’ère de la concurrence, les pays doivent comprendre qu’il est important de tirer profit de l’Amérique latine ».

Il en a aussi profité pour affirmer que son pays pourrait jouer un rôle de fournisseur d’énergie, car « les parties du monde [qui veulent] l’hydrogène d’origine renouvelable ont besoin de l’Amérique du Sud », et produire des médicaments dont la pénurie a été un problème majeur lors de la pandémie de Covid-19.

L’Union européenne a de son côté saisi l’occasion de ce somment pour lancer Global Gateway en se disant prête à mobiliser dans ce cadre 10 milliards d’euros pour la région, et en présentant 108 projets de développement portant sur les infrastructures, la transition verte et le numérique.

Mais, désaveu flagrant, selon les responsables brésiliens les investissements envisagés par l’Union européenne dans leur pays ne correspondent pas aux besoins actuels de la population, et ne sont pas définis en coopération avec les autorités. Ce qui compte à leurs yeux est la ratification de cet accord qui ouvre la perspective d’un ensemble économique riche de plus de 750 millions d’agents.

Si tel n’était pas le cas, cela entamerait sérieusement la crédibilité de l’Union européenne en tant que partenaire, et renforcerait la position de ses concurrents dans la région.

 

Des enjeux qui vont bien au-delà du seul commerce

Pour l’Europe, son adoption serait en revanche une formidable opportunité de sortir de l’entre-soi et de la spirale infernale d’un durcissement systématique des normes, à un moment où beaucoup de responsables politiques européens demandent une pause dans la mise en œuvre de l’agenda vert.

Les contraintes de plus en plus sévères qu’il tente d’imposer à tous piétinent désormais allègrement les libertés économiques les plus élémentaires. Rendre l’accord opérationnel pourrait marquer l’ouverture d’une ère plus libérale.

Pour les pays du Mercosur les enjeux ne sont pas moins importants.

L’accord permettrait en effet de sauver cette zone de libre-échange menacée par des tensions internes, alors qu’un pays comme l’Uruguay envisage de signer une traité bilatéral de libre-échange avec la Chine. Pour les dirigeants latino-américains il s’agit d’éviter d’être pris en tenaille entre les États-Unis et la Chine. Leur intérêt rejoint ici celui des Européens.

Alors que le groupe des BRICS s’est ouvert à six nouveaux partenaires dont l’Argentine, il est aussi de lutter contre la fracturation du monde entre le « Sud global » et l’« Occident » qui renforcerait plus encore la dépendance de l’Union européenne envers les États-Unis.

Comme le résume un diplomate européen cité par Le Monde dans son édition du 17 juillet dernier :

« Si l’on veut que l’Union européenne devienne un acteur géostratégique, l’un des premiers instruments nécessaires, c’est bien ce type d’accord commercial ».

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  • on va parler des sacrifiés..

    des secteurs économiques compétitifs délibérément passés à la trappe parce que les politiques ont préféré favoriser un autre..

    libre change signifie libre échange..

    • je pauvre type en amazonie apprend qu’il n’ a plus le droit de couper des arbres car le brésil veut vendre je ne sais quoi. ou se voit interdire ceci ou cela au nom de la lutte pour le climat…..

  • La vraie question est : pourquoi impose-t-on aux producteurs européens des normes qui ne le sont pas ou ne sont pas contrôlées dans les autres pays ?
    À partir de là, il n’y a plus de libre concurrence.
    Même chose pour l’écologie qui nous impose des belles éoliennes et supprime les énergie fossiles, interdit des insecticides et oblige 20% de haies dans les terres agricoles, etc. Si c’est appliqué en Europe, alors cela doit l’être dans ses importations au nom de l’égalité des concurrences.

    • Chaque pays est souverain et determine ses normes
      La concurrence se joue aussi sur d autres parametres comme le cout de la main d oeuvre…la grandeur des exploitations agricoles de type industriel qui permet des economies d echelle……..
      La france doit faire des choix meme sur l agriculture, elle ne peut pas tout produire et doit se specialiser sur les cereales, les vins les spiritueux les fromages……….ou les marges sont confortables grace au label france…….

    • c’est précisément la raison pour laquelle je comprends que les agriculteurs, spécialement en France, rejettent cet accord : le fait de recourir à l’innovation et à de meilleures techniques permettant d’améliorer ses productivité est valide, à condition d’avoir, d’un point de vue réglementaire, la possibilité de recourir à ces pratiques. Dans le cas contraire, je ne vois aucun espoir.
      Le problème est clairement politique, il s’appelle « farm to fork », « 0 artificialisation nette » et autres bêtises qui coulent nos pays…

    • c’est écrit : accord politique…

      donc obligations et interdictions arbitraires…

      la blague est d’appeler ça libre échange…

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