Inflation : l’Europe à la traîne ? (1)

Que ce soit en Europe ou aux États-Unis, l’inflation dépendra donc essentiellement de l’effet des politiques de taux d’intérêt sur le niveau de la masse monétaire en circulation.

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Inflation : l’Europe à la traîne ? (1)

Publié le 24 août 2023
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Selon Le Monde, « l’inflation américaine est jugulée » alors que l’indice des prix américains à la consommation de juillet a progressé de « seulement » 3,2 % sur un an.

Cependant, comme le fait justement remarquer le magazine Forbes, ce chiffre est en hausse par rapport aux 3 % enregistrés en juin.

 

Embellie aux Etats-Unis ?

Cette excellente nouvelle par rapport au pic de 9,1 % l’an passé reste encore au-dessus de l’objectif de 2,0 % de la Réserve fédérale américaine (Fed).

Le chiffre de juillet reflète en partie la hausse du prix de l’essence de près de 10 % en un mois, qui atteint désormais le chiffre astronomique de 0,93 euro le litre, en moyenne, contre 0,58 euro le litre le jour de l’investiture du président Biden.

Si cette augmentation de près de 60 % en deux ans et demi est probablement voulue par certains responsables de l’administration Biden – qui avouent forcer les consommateurs à acheter des voitures électriques (ici) – il n’en reste pas moins qu’elle participe à la hausse générale des prix, à court terme.

De plus, l’économie américaine fait encore face à des pressions inflationnistes persistantes dans les entreprises de services – comme les restaurants et les hôtels – où les salaires représentent une part substantielle des coûts : aux salaires proposés par les entreprises – c’est-à-dire, en gros, aux salaires d’il y a un an ou plus – il existe aujourd’hui 9,582 millions d’offres d’emplois insatisfaites et seulement 5,841 millions de chômeurs.

En d’autres termes, aux salaires offerts par les entreprises – salaires qui ont été fortement érodés par l’inflation – les nouveaux emplois ne trouvent pas preneur.

En fait, contrairement à ce que dit le journal Le Monde, le taux de participation au marché du travail – c’est-à-dire la part de la population active dans le total de la population américaine – est toujours en baisse par rapport au niveau de février 2020 : seulement 62,6 % de la population est active. Selon BlackRock, ce phénomène démographique dû au vieillissement de la population va perdurer et conduire à une période de stagnation économique (ici).

Si le chômage est faible – à 3,5 % de la population active – l’emploi n’a donc toujours pas retrouvé son niveau pré-pandémique.

 

Salaires en berne

La pénurie de main-d’œuvre a conduit les entreprises de services à augmenter les salaires : en glissement sur un an, ils ont augmenté de 4,4 % en valeur nominale ajoutant, à court terme, aux pressions inflationnistes parce que les entreprises ont généralement augmenté leurs prix pour couvrir leurs coûts.

Ainsi, si nous tenons compte de l’inflation, les salaires américains n’ont progressé que d’un pâle 0,9 % en un an.

La plus forte inflation en plus de 40 ans a conduit à des baisses de salaire réel (ici et ).

Depuis janvier 2021, le niveau général des prix a augmenté de 15,9 % alors que le salaire horaire moyen n’a progressé que de 12,8 % (ici).

Le président Biden répète à l’envie que ses politiques revitalisent l’industrie (ici).

Comme les « fact checkers » (qui sévissaient sous son prédécesseur en faisant semblant de ne pas comprendre ce qu’il disait) ont aujourd’hui complètement disparu, personne ne relève le fait que les créations d’emplois à salaires élevés de l’industrie manufacturière – traditionnellement les seuls emplois à haut salaires pour ceux qui n’ont pas de diplôme de l’enseignement supérieur – sont en baisse constante depuis juillet 2021.

En fait, dans les six derniers mois, l’industrie américaine perd à nouveau des emplois, alors qu’elle fait face à un regain de zèle réglementaire et à des taux d’intérêt élevés :

Ceci est un fort contraste par rapport à la période précédant la pandémie qui avait vu de fortes créations d’emplois industriels et une forte hausse des salaires réels, en particulier dans le bas de l’échelle des revenus (comme nous l’avions rapporté ici).

En particulier, les salaires ne suivent pas du tout la hausse des prix du logement, des transports et de la nourriture, appauvrissant donc les bas revenus de façon disproportionnée.

Ceci oblige les médias de gauche à faire des contorsions amusantes pour expliquer tour à tour que certains emplois non-qualifiés continuent de connaître des hausses réelles de salaires (ici) tout en expliquant que l’inflation est une bonne chose pour les pauvres et mauvaise pour les riches () dans un festival de contre-vérités désopilantes auxquelles les Américains ne semblent pas croire (ici).

 

Anticipations des actions de la Fed

L’arrivée de l’inflation en 2021 avait surpris les Américains et leur classe politique (ici). Plus encore, elle avait surpris la Fed qui aurait pourtant dû être au fait qu’elle venait d’augmenter la masse monétaire de 5717 milliards de dollars en l’espace de 20 mois !

Aujourd’hui, si la Fed peut prétendre avoir substantiellement réduit l’inflation (qu’elle avait créé), elle est confrontée à ce dilemme : soit elle continue à augmenter les taux d’intérêt pour ramener l’inflation à 2 %, risquant une éventuelle récession, soit elle marque une pause risquant de voir l’inflation reprendre sa hausse.

Les marchés nous permettent de deviner les futures actions de la Fed : les contrats à terme liés au taux directeur de la Fed reflètent une probabilité de 10 % que la banque centrale américaine augmente son taux d’intérêt au jour le jour de 5,25 % à 5,50 % lors de la réunion des 19 et 20 septembre (ici).

Il existe une probabilité d’environ 28 % d’une hausse des taux d’ici novembre, contre plus de 30 % avant la publication du rapport sur l’indice des prix de juillet.

En fait, selon ces contrats à termes, il serait peu probable que les décideurs de la Fed augmentent à nouveau les taux d’intérêt en 2023. Les opérateurs de marché prédisent même une baisse des taux au printemps 2024.

Ce pari paraît assez judicieux : nonobstant leur prétendue neutralité politique, les membres de la Fed feront tout pour doper l’économie afin d’éviter la possible réélection du président Trump au mois de novembre.

 

Masse monétaire

Quoi qu’il en soit, dans le long terme, le niveau général des prix, p, est entièrement déterminé par trois facteurs : le niveau y de la production intérieure brute (PIB), la masse monétaire m et la vitesse v de circulation de la monnaie.

Le PIB varie peu d’année en année. À court terme, y est presque en augmentation constante de 2 ou 3% par an.

Si nous laissons de côté l’épineuse question de la vitesse de circulation de la monnaie, nous voyons donc que le niveau général des prix est donc principalement déterminé par la masse monétaire.

Cette dernière a atteint un pic de 21 703 milliards de dollars en juillet 2022. Depuis, sa composante principale (M2) a non seulement arrêté sa hausse vertigineuse commencée en mars 2020, lors de la pandémie, mais elle a été en baisse presque tous les mois, pour finir à 20 889 milliards de dollars en juin 2023.

En augmentant les taux d’intérêt, la Fed a donc réduit la masse monétaire de près de 75 milliards de dollars par mois sur les 11 derniers mois.

Comme nous l’avions vu dans un billet précédent, si l’on applique la théorie quantitative de la monnaie (TQM), c’est-à-dire l’idée que m.v = p.y, nous devrions assister à une baisse drastique de la hausse des prix :

Le lien entre le niveau général des prix, p, et la quantité de monnaie par unité de biens produite m.v / y est proprement spectaculaire.

Il existe peu de lois économiques quantitatives qui aient un lien aussi solide dans les moyen et long termes.

La seule raison pour laquelle les prix ne baissent pas (encore) aux États-Unis est que la vitesse de circulation de la monnaie est enfin repartie à la hausse : en effet, pourquoi laisser son argent dans un bas de laine alors que les prix montent ?

L’inflation doit accélérer la vitesse de circulation de la monnaie. En effet, elle est un vol perpétré sur les détenteurs de monnaie. Elle en rend la détention plus onéreuse.

Plus l’inflation est élevée et plus la monnaie – sous toutes ses formes – doit circuler plus rapidement. À l’évidence, nous retrouvons cet effet sur le graphique ci-dessous :

Aujourd’hui, aux États-Unis, si la vitesse de circulation de la monnaie n’était pas en hausse, les prix baisseraient parce que la masse monétaire baisse.

 

L’Europe à la traîne

En décembre 2021, nous nous demandions dans ces pages ce qui « se passera si les politiques de la Banque centrale européenne (BCE) conduisent un jour aux mêmes conséquences qu’aux États-Unis en ce moment ? »

À l’époque le taux d’inflation de la zone euro était de 4,9 % (pour le mois de novembre).

Sans grande surprise pour ceux qui pensent que la TQM s’applique dans les moyen et long termes, l’inflation atteindra finalement un sommet de 10,6 % en octobre 2022, soit plusieurs mois après que l’inflation américaine ait atteint son propre pic de 9,1 % en juin de la même année.

Aujourd’hui, l’inflation européenne semble également reculer.

Pourtant, la décrue est en retard sur les États-Unis.

Objectivement, la BCE gère la monnaie encore plus mal que la Fed américaine.

Comme aux États-Unis, la masse monétaire a explosé durant la pandémie, augmentant de 25 %, soit 3048 milliards d’euros, en l’espace de 32 mois. En d’autres termes, dans la zone euro, un euro sur quatre aujourd’hui en circulation n’existait pas avant la pandémie.

La banque centrale a commis le péché capital de créer de la monnaie alors que la production était, au mieux, stagnante ou, au pire, en décrue.

Mais non contents de faire la même bêtise que les Américains, ses dirigeants ont mis beaucoup plus de temps à répondre. Quand ils ont fini par prendre conscience de l’ampleur du désastre, ils ont réagi mollement, ne relevant pas autant les taux que leurs homologues américains :

Les mauvais diagnostics

Pour cette raison, l’inflation européenne va encore perdurer quelques mois.

Ceci est d’autant plus vrai que l’opinion générale dans les médias veut que cette crise monétaire que nous vivons soit due à des causes externes : le mois dernier, pour annoncer que le taux d’inflation européen s’était établi à 5,5 %, l’Associated Press a doctement expliqué :

« La flambée initiale d’inflation a été alimentée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a fait grimper les prix de l’énergie et des denrées alimentaires. Le rebond de l’économie mondiale après la pandémie de COVID-19 a également mis à rude épreuve l’approvisionnement en pièces et matières premières » (ici).

De son côté, l’inénarrable Paul Krugman expliquait au printemps 2021 que le plan de dépenses de 1900 milliards de dollars du président Biden, – plan financé par des obligations en grande partie souscrites par l’augmentation du bilan de la banque centrale –, n’allait pas conduire à de l’inflation. Non !

Selon lui, les monétaristes sont des « cafards » – excusez du peu ! – et aucune inflation « ne s’est produite aux États-Unis, même pendant les périodes où les agrégats monétaires comme M2 ont augmenté de façon spectaculaire. Quiconque prétendait que de fortes augmentations de M2 présageaient une flambée de l’inflation se trompait encore et encore depuis les années 1980. Je veux dire se trompait vraiment, vraiment. »

Pour notre keynésien en chef, au printemps 2021, les prix augmentaient car « une économie en reprise se heurte à des goulots d’étranglement – pénuries de bois, de conteneurs d’expédition, de voitures d’occasion, etc. Je crois, et la Fed croit, que ces pénuries sont temporaires, que ce n’est qu’un soubresaut et que l’inflation va se calmer. » (ici)

Ceci est parfaitement absurde.

Pourquoi la Suisse – qui a très peu augmenté sa masse monétaire – aurait alors un taux d’inflation de 1,8 % en glissement sur un an, pendant que l’Europe subit 5,5 % d’inflation ?

Ceci me rappelle les explications alambiquées des années 1970 pour expliquer l’inflation d’antan : le coupable était le prix du pétrole. Le « choc pétrolier » était alors dans la bouche de tous les charlatans qui ont fait l’école buissonnière le jour du cours d’économie monétaire.

Nous savons pourtant que l’inflation n’est jamais importée, pour la bonne et simple raison que l’échange international se fonde les prix relatifs – plutôt que sur les prix absolus – ce qui veut dire que l’augmentation du prix d’un ou plusieurs produits d’importation particuliers n’entraîne pas la hausse générale des prix intérieurs mais plutôt la baisse relative du prix des autres produits d’importation.

La récession qui a commencé en Allemagne et en Pologne ne peut pas être expliquée par le renchérissement de l’énergie dû à la guerre en Ukraine : cette hausse des prix ne peut pas avoir mis en récession – au même instant ! – deux pays importateurs de produits pétroliers et deux pays exportateurs comme les Pays-Bas et l’Arabie Saoudite. Pourtant les quatre pays sont maintenant en récession économique.

On ne peut pas résoudre un problème sérieux sans faire un diagnostic correct, et ceux qui pensent que l’inflation était due à des pénuries sectorielles causées par la pandémie ou par la guerre en Ukraine se sont spectaculairement trompés : l’inflation postpandémique était sérieuse et les prix vont finir par être environ 20 % supérieurs à ce qu’ils étaient avant la pandémie quand cette péripétie sera terminée.

 

Le bon diagnostic

Sur n’importe quelle période de durée substantielle, l’inflation est toujours un phénomène d’ordre monétaire.

Que ce soit en Europe ou aux États-Unis, son niveau et son évolution dépendront donc essentiellement de l’effet des politiques de taux d’intérêt sur le niveau de la masse monétaire en circulation.

Si les banques centrales abaissent les taux d’intérêt trop tôt, l’inflation réapparaîtra.

Ce n’est pas impossible : dans les années 1970, il y eu une série de hausses des taux suivies de récessions conduisant à des baisses de taux prématurées. BlackRock s’attend ainsi à ce que l’économie stagne pendant un an avant le retour de l’inflation en 2024 (ici).

Ce scénario hante probablement une partie des membres du comité directeur de la Fed. Aux États-Unis, il y a donc un risque que la banque centrale ait déjà trop augmenté les taux.

A contrario, la lente et faiblarde réaction de la BCE peut faire douter de la volonté de juguler l’inflation.

Quoi qu’il en advienne, le temps donnera raison aux « cafards ».

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  • P.Krugman, ce crétin nobelisé, n’ignore pas, le bougre, que « l’inflation ne confère aucun bénéfice social général; plutôt, elle redistribue la richesse en faveur des premiers arrivants et aux dépens de derniers de la course. L’inflation est, en effet, une course-pour voir qui peut acquérir la nouvelle monnaie en premier. » (Murray Rothbard) Et les premiers servis sont, pour les nommer, l’Etat et les banques. Les seconds, vous et moi, les sempiternels tondus du troupeau.
    Pour un bon diagnostic, ne comptez pas sur un Krugman aussi véreux qu’incompétent, ce dernier trait lui a sans doute valu le premier. Ce n’est, en effet, pas ce gogo préféré de toute la politicaillerie internationale qui démêlerait la confusion entretenue autour du terme inflation. Non, il ne désigne pas à la fois l’augmentation de la masse monétaire et la hausse des prix généralisés. /!\ L’inflation (cause), c’est le décuplement de la masse monétaire qui provoque une augmentation des prix généralisés (conséquence). /!\
    Dans un monde normal (libéral), l’augmentation des prix n’est pas qu’anormale elle est carrément contraire à leur (les prix) trajectoire naturelle qui devrait être baissière (quand la monnaie est saine). Une chose que nous avons du mal à concevoir tant le battage médiatique oriente jusqu’à notre entendement en mode veille (hélas)…
    J’attends le deuxième volet de votre article avec intérêt 🙂

  • Avatar
    The Real Franky Bee
    25 août 2023 at 7 h 39 min

    À ma connaissance, Le Monde n’est pas une référence dans le domaine économique, mais plutôt un blog d’idéologues socialistes et partisants de la théorie monétaire moderne, la fameuse MMT selon laquelle l’argent n’est rien d’autre qu’un flux et peut donc être imprimé à l’infini sans aucune conséquence sur le système et la société (ce que l’histoire a pourtant infirmé de manière assez claire). Leurs références dans le domaine s’appellent : Piketty, Giraud, Kelton, Krugman, ou encore Stiglitz.

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