Le grand retour de l’inflation aux États-Unis

L’inflation revient à des niveaux inquiétants aux États-Unis et l’on devrait probablement se poser la question de savoir pourquoi.

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Le grand retour de l’inflation aux États-Unis

Publié le 2 décembre 2021
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Par Philippe Lacoude.

L’inflation – qui a été relativement modérée pendant presque 30 ans – revient à des niveaux inquiétants aux États-Unis et l’on devrait probablement se poser la question de savoir pourquoi.

Théorie quantitative de la monnaie

Pour Milton Friedman :

L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire en ce sens qu’elle n’est et ne peut être produite que par une augmentation plus rapide de la quantité de monnaie que de la production.

Au risque de trop simplifier un problème extrêmement complexe, nous pourrions imaginer une économie qui produit annuellement y = 100 unités d’un bien unique qui serait échangé contre de la monnaie. S’il existe m = 200 unités de cette dernière, les détenteurs de monnaie enchériront les uns contre les autres pour les cent unités de biens, et le niveau général des prix p sera de 2,0 : chaque unité de bien sera achetée avec 2 unités de monnaie.

Mais l’hypothèse implicite que je viens de faire ci-dessus est que ces unités de monnaie ne circulent qu’une seule fois par an. Ceci est faux. Une unité de monnaie – pièce, billet, monnaie scripturale – est utilisée plusieurs fois par an. Le nombre de fois que la monnaie est utilisée chaque année est appelé vitesse de circulation de la monnaie, v.

inflation

Si notre monnaie a une vitesse de circulation de v = 3,0 il y aura alors l’opportunité d’utiliser 600 unités monétaires au cours de l’année et, par le même raisonnement que ci-dessus, le niveau général des prix s’établira à 6,0.

En d’autres termes, le nombre d’unités de monnaie multiplié par le nombre de fois qu’elles servent est égal au niveau de la production multiplié par le niveau général des prix :

m.v = p.y

Cette relation s’appelle la théorie quantitative de la monnaie (TQM).

Bien sûr, la production d’un grand pays est extrêmement hétérogène mais ceci n’est pas un problème : les quantités y et p sont simplement composites.

La vitesse de circulation est également très disparate : les pièces et billets circulent bien plus que la monnaie scripturale des comptes en banque.

Nous pouvons assez facilement vérifier qu’il existe bien une telle relation dans les faits : il suffit de comparer les variations des prix p et celles de la grandeur m.v / y.

S’il existe un écart entre les courbes ci-dessous, c’est plutôt dû au fait que toutes ces mesures – inflation, production, masse monétaire, vitesse de circulation de la monnaie – sont très difficiles à effectuer plutôt qu’au fait que la TQM serait fausse. On remarque d’ailleurs qu’au fil des décennies, les économistes américains ont fait des progrès considérables en matière de qualité des indices des prix :

inflation

J’invite vivement les lecteurs de Contrepoints à « jouer » avec l’application FRED et à modifier mon petit graphique. On pourrait tout de suite changer la définition de la masse monétaire ou remplacer les prix à la consommation par le déflateur du PIB ou par un indice composite. Défi aux lecteurs : comme il est possible de sauvegarder un graphique sur FRED, il serait possible de mettre un lien vers de meilleures versions auxquelles je n’aurais pas pensé dans les commentaires ci-dessous !

Conséquences directes

Cette courte présentation de la TQM est hélas très imparfaite mais on pourra la compléter par la lecture de la Vérité sur la monnaie de Pascal Salin, de loin le meilleur livre de théorie monétaire en langue française.

Ceci dit, nous pouvons tout de même en tirer quelques propositions très simples.

D’abord, si l’on double la masse monétaire m, le niveau général des prix aura tendance à doubler.

De même, si l’on baisse la vitesse de circulation de la monnaie v – c’est-à-dire si les individus thésaurisent – il est évident que les prix vont baisser.

Enfin, comme les humains sont capables d’inventer pour améliorer leur futur, il est inévitable que la productivité – c’est-à-dire le montant de biens produits pour un effort donné – va en s’améliorant. Ainsi, si m et v restent constants, comme la production a tendance à augmenter de 2 ou 3 % par an – la fameuse « croissance économique » – les prix ont tendance à baisser d’un même pourcentage.

Cette baisse tendancielle des prix en l’absence de changements de la masse monétaire s’appelle de la déflation. Bien qu’elle ait mauvaise presse depuis la grande dépression, elle a longtemps constitué la norme, comme en Nouvelle Angleterre au XIXe siècle.

Une lente et régulière baisse des prix, facilement prévisible, est une excellente chose : après tout, nous souhaitons posséder de la monnaie parce qu’elle est une réserve de valeur. Si elle s’apprécie au fil du temps, elle remplit d’autant mieux sa fonction première.

Monétarisme

Ceci appelle deux courtes remarques.

Tout d’abord, il n’y pas de raison de « créer de la monnaie ». Une société donnée pourrait tout à fait vivre d’un système monétaire où les quantités sont constantes : l’activité de création monétaire est socialement nuisible.

Ensuite, il existe parfois une confusion qu’il convient de lever entre la TQM et le monétarisme. Ce dernier défend l’idée que, puisque la production augmente, lentement, de quelques pourcents par an, pour garder le niveau des prix constant, c’est-à-dire l’inflation à 0 % par an, il suffirait de créer une quantité de monnaie exactement proportionnelle au pourcentage d’augmentation de la production.

Milton Friedman notait ainsi :

Un taux de croissance monétaire stable à un niveau modéré peut fournir un cadre dans lequel un pays peut avoir peu d’inflation et beaucoup de croissance.

On peut très bien croire à la théorie quantitative de la monnaie – c’est-à-dire à l’idée que sur n’importe quelle période suffisamment longue, l’inflation est toujours un phénomène purement monétaire – sans pour autant être « monétariste ».

La masse monétaire ?

Mais si tout ceci est vrai, comment diable se fait-il que l’inflation aux États-Unis n’ait pas explosé il y a dix ans lorsque le bilan de la Réserve fédérale des États-Unis (Fed) fut multiplié par deux en quelques mois pour « sauver les banques » lors de la crise des subprimes en 2008-2009 ?

inflation

Depuis dix ans, les Cassandres nous prédisent l’inflation, la « fin de la bulle » ou que-sais-je encore. Malheureusement, il ne suffit pas de comprendre la TQM. Il faut aussi comprendre comment fonctionne le système bancaire pour pouvoir faire une prédiction plausible.

Car, contrairement à ce que pensent certains économistes amateurs, il n’y a pas de lien direct entre la taille du bilan de la Fed et celle de la masse monétaire. Cette dernière est surtout influencée par le niveau des crédits bancaires.

En temps normal, les banques peuvent prêter environ 8 à 10 euros par euro de fonds propres. Ce ratio peut varier : lors d’une série de faillites bancaires, les fonds prêtés peuvent parfaitement évoluer en direction contraire de la taille de bilan de la banque centrale.

En termes peut-être plus simples (mais moins précis), les banques commerciales prêtent moins d’argent – elles sont « frileuses » selon l’expression usitée habituelle – par rapport à leurs fonds propres.

Mais après la crise de 2008, avec énormément de mauvais prêts dans leurs actifs, chacun affectant négativement leurs niveaux de fonds propres, les banques ont dû restaurer leurs bilans, c’est-à-dire se débarrasser des mauvais crédits (prêts). La série d’« assouplissements quantitatifs » (QE1, QE2, et QE3) ont empêché une liquidation massive tout en permettant de ne pas (trop) changer l’accès des Américains au crédit bancaire.

Malgré les efforts de la Fed pour les renflouer et acheter les actifs dont personne ne voulait (comme les mauvais prêts immobiliers), les banques ont été « restrictives » dans l’émission de prêts en durcissant les normes de crédit.

Un chiffre qui illustre bien ceci est la part des dépôts de trésorerie des banques commerciales dans le bilan de la Fed : elle représente aujourd’hui 4188 milliards de dollars sur les 8674 milliards de bilan au 17 novembre 2021.

Il a fallu attendre fin janvier 2014 pour revenir aux niveaux de crédit de l’été 2008 :

inflation

Pendant tout ce temps, l’incertitude poussait les Américains à thésauriser leurs liquidités : la vitesse de circulation de la monnaie est tombée à un niveau historiquement bas comme nous pouvons le voir sur le premier graphique ci-dessus.

Masse monétaire inchangée ou presque (à cause d’un manque de crédits), combinée à une vitesse de circulation de la monnaie en berne, l’inflation n’avait aucune chance d’exploser malgré l’évolution du bilan de la Fed.

Fast-forward to 2021

De la fin 2010 au début de 2020, les crédits bancaires sont remontés, d’abord au niveau d’avant la grande récession de 2008-2009, puis à des niveaux jamais vus. D’octobre 2010 à octobre 2016, ils ont progressé à 9,9 % l’an dans une économie atone. De la prise de pouvoir du président Trump en janvier 2017 jusqu’à février 2020 (juste avant la pandémie), ces crédits ont progressé plus raisonnablement à 4,2 % l’an dans une économie en croissance relativement plus forte.

Durant la présidence Obama, les banques ont accumulé des liquidités sans trop savoir quoi en faire : d’une part, il fallait qu’elles restaurent leurs bilans et d’autre part, les opportunités d’investissement manquaient dans un contexte réglementaire et fiscal peu favorable. Les banques sont restées prudemment assises sur leurs liquidités.

Durant la présidence Trump, les choses se sont grandement améliorées sur le plan réglementaire et fiscal : la baisse de l’impôt sur les sociétés de 35 % à 21 % a eu un effet massif sur l’économie. Les banques ont réduit leurs liquidités :

Comme nous pouvons le voir sur le graphique ci-dessus, l’arrivée de la pandémie a été un prétexte pour gonfler les liquidités à des niveaux jamais vus. Une grosse partie des fonds donnés aux ménages et aux entreprises a été épargnée lorsqu’elle pouvait l’être. Les entreprises sont passées d’environ 100 milliards de cash (moyenne sur les dix années avant COVID-19) à 268 milliards de cash de réserves, en pleine récession !

Entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021, la Réserve fédérale a acheté 2854 milliards de dollars de titres de la dette publique et 900 milliards de dollars de prêts hypothécaires titrisés (MBS).

En particulier, le récent plan de relance (keynésien) baptisé American Rescue Plan Act of 2021 a été presque entièrement financé par des achats de bons du Trésor par la Fed. Immédiatement décidé par le président Biden à son arrivée au pouvoir et voté avec une minuscule majorité au Congrès, ce plan ne comportait pratiquement aucune mesure fiscale permettant de financer les 1900 milliards de dépenses tous azimuts.

Selon une étude récente, sur les 700 milliards destinés au soutien des salaires pendant la pandémie, pas moins de 40 % de ces fonds ont été détournés. La majorité l’aurait été par des organisations criminelles en Russie et en Chine !

Quoi qu’il en soit, la Fed a absorbé 65,8 % et 60,8 % des émissions du Trésor public américain aux premier et second trimestres de 2021, respectivement !

Contrairement aux augmentations du bilan de la Fed lors de QE1, QE2 et QE3, ces opérations ont eu un impact direct et fort sur la croissance de la masse monétaire :

Comme nous pouvons le voir ci-dessus, la tendance (en bleue) est à une hausse géométrique de la masse monétaire, qui a progressé, en moyenne, de 6,1 % par an de 2000 à début 2020 (pendant que la vitesse de circulation de la monnaie baissait de -2,2 % l’an).

Notons que sur la même période, les prix ont augmenté de 1,9 % l’an et que le PIB réel a augmenté de 1,9 % l’an.

Comme 1,9 + 1,9 est à peu près égal à 6,1 – 2,2, nous retrouvons la Théorie quantitative de la monnaie ! En d’autres termes, comme le disait Milton Friedman, sur une période de temps suffisamment longue, « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire ».

5717 milliards en 20 mois ?

Pour revenir à la période 2020-2021, si m.v = p.y alors il n’y a qu’une issue possible : si la masse monétaire m augmente en flèche de 5717 milliards en 20 mois alors que la production y – le fameux PIB – est en berne à cause de la pandémie, alors les prix ne peuvent que monter en flèche.

À moins que la vitesse de circulation de la monnaie ne tombe brutalement encore plus bas que le minimum historique qu’elle connaît aujourd’hui… Est-ce plausible ?

Non ! Car pourquoi a-t-elle autant baissé ? Parce que des dizaines de millions d’Américains ont accumulé de l’argent plutôt que de le dépenser car il y avait moins de choses à acquérir.

Certains individus ont moins dépensé par prudence. D’autres par nécessité car les voyages, les boîtes de nuit, les grands concerts, les bars, les restaurants étaient fermés.

Mais maintenant, alors que les interdictions prennent fin et que les vaccins sont disponibles, il y a de fortes chances que la thésaurisation diminue et donc que la vitesse de circulation de la monnaie augmente.

Ceci est d’autant plus vrai que cette dernière croît en période de forte inflation : en effet, lorsque la monnaie perd, disons, 1 % de sa valeur tous les mois, il convient de se dépêcher de dépenser son argent. Évidemment, dans les périodes d’hyperinflation, il faut avoir dépensé tout son argent le premier du mois…

Lorsque l’inflation est passée de 5,2 % en janvier 1977 à 13,9 % en janvier 1980, la vitesse de circulation de la monnaie a augmenté de 1,689 à 1,869, soit une hausse de 10,7 %. Ceci est une fort mauvaise nouvelle pour le président Biden.

Mesures de l’inflation

David P. Goodman l’explique fort bien dans Asia Times :

Dans une spirale d’inflation classique, les clients accélèrent leurs achats pour acheter avant que les prix n’augmentent davantage, aggravant les contraintes d’approvisionnement et forçant les prix à la hausse.

Ceci est déjà visible dans « l’enquête d’octobre de la Réserve fédérale de Philadelphie sur le secteur manufacturier américain. [Ces] données […] sont des indices de diffusion qui reflètent les changements par rapport au mois précédent, et non des niveaux absolus de prix ou de production. Ils mesurent la dynamique de l’inflation, et non le niveau d’inflation en tant que tel. »

Les données sont extrêmes : cette enquête mensuelle n’avait pas montré une telle dynamique d’inflation depuis les années 1970, avant qu’elle n’atteigne 13, 14 ou 15 % l’an, à l’époque.

Il est amusant de lire la presse de gauche, toute surprise de découvrir que les ventes au détail augmentent plus rapidement que prévu en octobre alors même que l’inflation pousse les prix à la hausse. Pour CNBC, « l’inflation a augmenté au rythme le plus rapide en 30 ans, mais les consommateurs ne semblent pas réduire leurs achats » comme si, justement, il n’y avait pas une forte incitation en période de hausse des prix pour avancer ses achats !

Réactions de l’administration Biden

Un ancien conseiller économique du président Obama « avait [pourtant] mis en garde » les démocrates contre l’inflation et se demande comment Biden s’est « tant trompé ».

Pour le moment, comme pour toutes les catastrophes récentes qu’elle a créées – crise des migrants à la frontière sud, explosion du prix de l’essence, Américains coincés en Afghanistan, crise des dockers, problèmes pandémiques – l’administration Biden nie le problème.

Le chef du personnel de la Maison Blanche a tweeté que l’inflation était un problème de riches :

 

De son côté, la porte-parole, Jen Psaki pense qu’« aucun économiste ne prévoit que cela aura un impact négatif sur l’inflation » de financer 1850 milliards de dépenses supplémentaires par de la dette achetée par la Fed ! Il faut reconnaître que l’économie n’est pas son fort : c’est la même personne qui pensait qu’il serait « absurde et injuste » que les hausses d’impôts sur les entreprises puissent impacter négativement les salariés…

De son côté, la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, ne pense pas que le plan de relance causera de l’inflation : « Je ne pense vraiment pas que cela va arriver. [L’inflation avant la pandémie] était trop faible plutôt que trop élevée.[…] Si cela s’avère inflationniste, il existe des outils pour y faire face » !

Ce n’est pas l’avis des économistes du Congrès qui ont mis fin aux élucubrations consistant à dire que ce plan de relance de 1850 milliards ne coûterait rien

Jen Psaki, toujours elle, tweete et fait des conférences de presse pour dire que les salaires sont en hausse. Effectivement, les salaires nominaux ont augmenté de 4,9 % en un an, depuis l’élection du président Biden, mais les prix à la consommation ont augmenté de 6,2 % dans le même temps ! Les salaires réels ont donc baissé de 1,3 %. Comme l’explique cet article de Microsoft News (MSN), l’augmentation du coût de la vie absorbe complètement les hausses de salaires de la plupart des Américains.

Enfin, il y a les prix à la pompe ! Ils sont un peu à part car le quasi-doublement du prix de l’essence en un an n’est pas un phénomène purement monétaire. Mais la réponse politique est la même : après avoir unilatéralement mis fin au projet Keystone XL pipeline – oléoduc entre le Canada et les États-Unis – et après avoir décidé de fermer un des principaux oléoducs du Michigan et pris de nombreuses autres décisions réglementaires contre les énergies fossiles, le pays – qui avait enfin acquis son indépendance pétrolière en 2019 – se retrouve sans essence.

Qu’à cela ne tienne ! Le président Biden – en grande difficulté dans les sondages sur ce sujet sensible – décide de vendre une partie de l’essence de la Strategic Petroleum Reserve, le stock conservé par le gouvernement américain en cas de crise géopolitique grave. Ceci n’aura aucun effet à long terme car la vente représente deux jours et demi de consommation, un fait qui était inconnu de sa secrétaire à l’énergie…

L’annonce de cette vente est en soi révélatrice d’une politique de pure communication sans aucune substance réelle : au cours du discours, – prononcé dans un faux bureau construit récemment et arborant de fausses fenêtres qui montrent l’extérieur de la Maison Blanche bien qu’il n’y soit pas situé –, le président a déblatéré un discours tout préparé, lisant même la ponctuation (!), dans un de ces moments d’étourderie dont il a le secret.

Au cours du discours, il a même tenté de rassurer les Américains sur le fait qu’il y aurait assez de dinde pour tout le monde au cours de la fête nationale de Thanksgiving.

Les médias et l’inflation

L’affaire du prix de la dinde a amusé toute la presse pendant tout le mois de novembre. Chaque chaîne de télévision a fait son petit calcul commenté par ses propres « économistes » :

La majorité des journalistes minimisent le problème.

Pour Stephanie Ruhle, de MSNBC, il faut garder tout ceci en « perspective ». Le correspondant de NBC, Tom Costello, aimerait que les Américains arrêtent de se plaindre de leur facture de chauffage, qu’ils baissent le thermostat, et mettent des « rideaux plus épais » (ici).

Bien sûr, ils ont établi une liste de fins conseils auxquels la ménagère n’aurait jamais pensé ! Reuters a envoyé ses brillants limiers qui sont revenus avec une bonne nouvelle : on peut encore faire des affaires.

Au New York Times, on est beaucoup plus vulgaire et malencontreusement raciste – je ne peux pas traduire les propos de ses journalistes car Contrepoints a des principes – mais, essentiellement, tout ce qu’on entend dans les médias est un remous causé par les riches et les blancs.

Buy Nothing

De son côté, le Wall Street Journal consacre un article absolument consternant à un phénomène parfaitement anti-économique, le buy nothing (n’achetez rien). Le vénérable journal nous expose un mouvement, reposant sur le don, qui n’est pas sans rappeler les systèmes de troc qui ont spontanément émergé lors de la grande inflation de la République de Weimar. Dans une société où les réseaux sociaux ont pris une place importante, le don ou le troc sont bien plus faciles qu’en 1923.

Bien évidemment, le début d’une période d’inflation est au contraire le moment d’acheter le plus de biens de consommation non périssables dont on sait qu’on aura besoin dans le futur ainsi que des actifs qui ont traditionnellement bien résisté aux fortes hausses des prix, dans le passé.

Dévaluation des actifs

En effet, l’inflation défavorise tous ceux qui ont de l’épargne sous forme liquide et incite clairement à dilapider cette forme d’épargne avant que sa valeur ne soit érodée.

A contrario, elle favorise tous ceux qui épargnent peu ou ont la perspicacité d’être endettés à taux fixe.

En particulier, l’organisation la plus endettée de toute est l’État. Pour cette raison, il adore l’inflation – elle lui permet de rembourser sa dette en ponctionnant les rentiers qui ont fait la bêtise de lui prêter de l’argent – et les hommes de l’État n’ont donc aucune incitation à arrêter la production de fausse monnaie.

Les financiers comprennent très bien ceci : il existe aux États-Unis des bons d’État dont le taux d’intérêt est automatiquement abondé du taux d’inflation. Par exemple, si l’inflation est de 5 % et que le taux fascial d’une obligation était de 2,31 % à son émission, le Trésor paie 7,31 % sur cette obligation.

En comparant les prix de ces obligations à ceux des obligations classiques – non-protégées contre l’inflation – nous pouvons d’ailleurs en déduire le taux d’inflation moyen anticipé par les marchés sur la durée – de 5 à 10 ans – de ces obligations.

Pour les particuliers, les effets de l’inflation sont peu clairs dans la vaste majorité des esprits. L’Américain moyen comprend qu’elle est mauvaise pour son pouvoir d’achat mais il n’est généralement pas capable de réallouer son portefeuille d’actions en conséquence.

En France, où l’inculture économique est proprement effrayante (au point que certains attribuent l’inflation au libéralisme), beaucoup sont satisfaits de leurs « investissements » en livrets A, en plan d’épargne logement, ou pire encore (car moins transparents), en « assurance-vie », tous ces produits d’« épargne » qui servent presque uniquement à financer les énormes déficits publics.

Que se passera-t-il si les politiques de la Banque centrale européenne conduisent un jour aux mêmes conséquences qu’aux États-Unis en ce moment ?

Dans les années 1990, avant l’avènement de l’euro, un haut-fonctionnaire de Bercy devenu célèbre avait refusé de faire des graphiques de la théorie quantitative de la monnaie pour son ministre car « la TQM ne s’applique pas en France ».1

S’il avait tort à l’époque, il est à craindre que ceux qui ont mis leurs économies dans les produits financiers délétères à la mode en France prendront l’inflation de plein fouet…

  1. À l’époque, j’enseignais à l’Université Paris IX Dauphine. Une conseillère dudit Ministre m’avait demandé de faire ce petit travail à la place de ce grand génie de l’économie monétaire… Ceci en dit très long sur les pouvoirs des politiques face à l’insubordination des « hauts » fonctionnaires.
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  • Trois petites remarques suite à ce excellent article :

    1. La TQM est incomplète car elle ne prend en compte que les transactions sur les biens et services. En réalité, le pouvoir d’achat de la monnaie signifie aussi combien d’immobilier ou d’actifs financiers vous pouvez acheter avec 1 unité monétaire. En généralisant la TQM, on comprend que la hausse de la masse monétaire depuis vingt ans a d’abord résulté dans une inflation extrême des prix des actifs. Et paradoxalement cette inflation des actifs a longtemps eu un impact négatif sur les prix des biens et services (si votre revenu disponible progresse peu, mais que vos coûts de logement et d’épargne montent en flèche, vous aurez fatalement moins d’argent pour consommer).

    2. Du coup, la question de cette inflation récente sur les biens et services doit être analysée différement. Selon moi, elle est certainement liée à l’inadéquation entre une demande économique sous stéroïdes dans les pays occidentaux (conséquence du « quoi qu’il en coûte »), et d’autre part une offre qui reste très contrainte en face. La question centrale étant la volonté affichée de certains pays producteurs (Chine, OPEP+) d’arrêter de subventionner nos économies surendettées et fondées sur la fuite en avant. Concrètement, ils arrêtent de surproduire, quitte à laisser les prix monter.

    3. Il est vrai que l’on pourrait en théorie se satisfaire d’une masse monétaire constante. Néanmoins, le concept de création monétaire est intimement lié à celui de prêt avec intérêt, et donc à l’essence même du capitalisme. Sans ça, pas de croissance économique durable.

    • Le sujet est effectivement passionnant. Le drame de l’économie politique est qu’elle est polluée par des considérations politiques qui la conduisent à fuir les considérations simples et à jeter un écran de fumée sur les réalités. Pour moi la monnaie n’est que la contrepartie d’actifs de plus ou moins bonne qualité. Un préteur sérieux (un banquier) ne doit logiquement pas accorder un prêt si celui qui le sollicite n’a pas soit un actif à mettre en gage soit un projet de production suffisamment convaincant pour que préteur prenne un risque. Là où la situation se gâte c’est quand l’emprunteur est un état et qu’il n’a pas d’autre contrepartie que son pouvoir de lever des impôts dans le futur. L’état peut faire pression sur les banquiers ordinaires et centraux pour que ses reconnaissances de dette soient acceptées. Et bien sur s’il fait ainsi trop monter la masse monétaire, l’inflation est inéluctable.
      Je suis assez peu convaincu par les théories sur la vitesse de circulation. Normalement circulation monétaire et circulation de biens se font simultanément. Que cela change t il qu’un bien immobilier change de mains une fois ou 100 fois dans l’année ? S’il change souvent il atteindra plus vite sa valeur de marché mais celle-ci atteinte, cela ne changera plus.

      • Très bonne remarque. La « vélocité » est un concept encore mal défini.

        On serait tentés de dire que c’est juste la variable qui permet de relier la masse monétaire aux prix et transactions dans l’équation. Mais ce serait un peu léger.

        En fait, c’est plus compliqué que la définition académique traditionnelle. Selon moi, il s’agit plus d’une propension marginale des agents à acquérir tel bien, tel service ou tel actif, pour 1 unité de masse monétaire supplémentaire.

        Par conséquent, les facteurs explicatifs de cette variable appelée vélocité sont à la fois complexes et instables dans le temps.

        • la premiere question au sujet de la monnaie est d’abiord le monopole « d’état. »..

          il doit être expliqué et justifié

          ensuite il faut expliquer l’interet de créer de la monnaie… bien sur surtout expliquer en quoi cela est juste et équitable…

          or non…

          pour moi la « complexité » est illusoire et choisie.

          • Pour la question du monopole de l’Etat, je renvoie à une interview très intéressante de Charles Gave dans laquelle il évoque cette question assez délicate. C’est sur la chaîne Grand Angle. Je ne dis pas que partage le point de vue, mais il est relativement bien étayé.

            Pour la question de la création de monétaire, le lien entre développement technologique, capitalisme et prêt bancaire est relativement bien expliqué par Harari dans son ouvrage Sapiens. Là encore, je ne dis pas que cela justifie la création monétaire en soi, mais ça explique pourquoi elle est très présente depuis quatre siècles (avec des crises fréquentes bien évidemment).

        • La masse monétaire est la somme de toutes les dettes. Elles ne sont pas toutes exigibles à la même échéance, ce qui complique le problème. Il faut au minimum actualiser (pas simple quand les taux d’intérêt sont manipulés artificiellement !) tout cela pour pouvoir faire la somme. Et il faut aussi déprécier dans les bilans les dettes irrécouvrables (si j’ai emprunté sur la foi de mes revenus futurs et si je meurs avant d’avoir remboursé par exemple). Normalement puisqu’à chaque dette correspond un actif tangible en contrepartie (la force de travail de l’emprunteur étant aussi un actif), on devrait avoir l’égalité dette = contrepartie. Si la dette est plus grande que la contrepartie, c’est là que l’inflation entre en jeu. Il suffit que la contrepartie soit réévaluée nominativement (i.e. la monnaie perd sa valeur par inflation) pour rétablir l’équilibre. C’est bien pourquoi l’inflation peut être forte sur les actifs échangeables tout en restant modeste sur des produits de consommation courante.

      • J’ai eu la même surprise que vous de voir qu’apparemment la théorie compare une masse et un débit (ou flux); je vais y réfléchir.

        • En fait, la vélocité est le facteur qui permet justement de « transformer » le stock de monnaies en circulation en flux. De ce point de vue là, la formule est homogène. Mais c’est une bonne remarque en soi.

  • la monnaie d’etat et surtout sa création: destruction c’est compliqué ou simple à souhait.

    J’adore que l’on me laisse à penser que l’impression de monnaie est « necessaire » et donc pensée au petit oignons par des cranes d’oeufs quelque part…dans un but précis et clair…

    or non.. c’ets un jeu d’obtenir le plus pour soi, en utilisant au mieux sa position dans le flux d’argent nouveau.

    je ne peux que rappeler que pour le profrane une des mission de la BCE est de « maintenir le pourvoir d’achat » ce qui ,EN SOI, est une connerie sans nom!!!
    la baisse du pouvoir d’acaht est un SIGNAL pour changer de comportement!!!

    ces discussions qui devraient me passionner dès lors que j’ai quelques économies.. m’ennuient..

    à l’instar de la retraite par répartition.. je sais qui gagne…et ça n’a rien à voir avec une idée de justice.

  • Article très intéressant. Merci à l’auteur.

  • De toute façon, l’objectif d’avoir une monnaie fiduciaire monopolistique, c’est justement l’inflation. S’il y a liberté et concurrence monétaire, l’Etat ne peut pas faire défaut par l’inflation. On (les acteurs économiques) se contenterait de changer de monnaie. L’inflation n’est pas une conséquence d’une mauvaise gestion. C’est l’objectif premier le monnaie fiat monopolistique à cours légal, forcé, et avec création monétaire par réserve fractionnaire. On a mis ce système en place pour ça, et uniquement pour ça. Il ne faut pas s’étonner que ça se produise.

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La commercialisation de l’IA générative a apporté son lot d’inquiétudes, notamment en matière d’atteintes aux droits fondamentaux.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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