Blocage des réseaux sociaux : après les émeutes, vers un contrôle parental étatisé ?

Macron n’écarte pas le fait de bloquer les réseaux sociaux pendant les émeutes. Des mesures de sécurité qui se heurtent à de nombreux défis.

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Blocage des réseaux sociaux : après les émeutes, vers un contrôle parental étatisé ?

Publié le 10 juillet 2023
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La plateforme chinoise préférée des adolescents est-elle en passe de disparaître du paysage hexagonal ? C’est ce qui semble se profiler après les conclusions d’une commission d’enquête sénatoriale pointant les liens entre TikTok et le gouvernement chinois.

Dans un rapport de 181 pages publié il y a quelques jours, les membres de la commission ont démontré point par point les liens entre la maison-mère, ByteDance, et Pekin.

Ingérence et émeutes sont-ils à mettre sur le même plan moral ?

Nous vous laissons en juger, mais quelle que soit la réponse, l’époque semble être à une solution identique, puisque le président de la République ne s’interdirait pas de bloquer, à terme, les réseaux sociaux en cas de nouvelle salve de violences urbaines.

Après l’interdiction de Russia Today et Sputnik au niveau européen en mars 2022, c’est aujourd’hui l’ensemble des réseaux sociaux accessibles en France qui semble sur la sellette.

Une preuve de plus que les autorités françaises ne savent répondre aux enjeux politiques et même civilisationnels que par un traitement symptomatique et non de fond.

 

Rassurer, c’est réglementer ?

Ce mardi 4 juillet, le président de la République recevait à l’Élysée les maires des 200 principales communes touchées par les scènes de guérillas dont les images ont fait le tour du monde depuis une semaine.

Face aux maires, le pouvoir a fait ce qu’il sait faire le mieux : prendre la peur, la digérer et l’évacuer sous forme de répression.

« Nous avons besoin d’avoir une réflexion sur les réseaux sociaux, sur les interdictions qu’on doit mettre. Et quand les choses s’emballent, il faut peut-être se mettre en situation de les réguler ou de les couper. »

Nos élus en sortent rassurés. Pas de politique pénale plus sévère envers les atteintes aux personnes et aux biens, pas de recrutement d’agents de police ni de revalorisation de la profession, pas d’assouplissement en matière d’armes ou d’augmentation de la fréquence ridicule d’entrainement à leur maniement. La clef, estime Emmanuel Macron, est la course au buzz sur Snapchat et autres TikTok.

 

Des blocages « temporaires »

Si le ministre en charge de la question, Jean-Noël Barrot, a écarté toute décision à chaud, il n’en n’a pas moins instillé un peu plus l’idée dans les esprits lors des débats au Sénat qui se déroulèrent quelques heures plus tard dans le cadre du projet de loi visant à « sécuriser l’espace numérique ».

Concrètement, l’exécutif travaillerait ainsi sur des blocages temporaires, partiels ou complets, des réseaux sociaux.

Le lendemain, le porte-parole du gouvernement Olivier Veran a semblé vouloir éteindre l’incendie, n’évoquant que des « suspensions de fonctionnalités, comme la géolocalisation sur certaines plateformes ».

 

… juridiquement complexes…

En droit français et européen, toute atteinte à la liberté d’expression au nom de la protection de l’ordre public suppose des mesures « proportionnées et justifiées » selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.

Sur la proportionnalité, la loi Avia de 2020 a été grandement censurée, les Sages estimant que l’obligation fixée par cette loi aux plateformes de retirer sous 24 heures les contenus dits haineux était une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.

Sur la justification, aucune étude n’a prouvé sérieusement, pour le moment, que les réseaux sociaux avaient réellement un effet sur l’intensité des violences urbaines, hormis en se fondant sur un lien sophistique entre causalité et corrélation.

 

… mais techniquement possibles…

Sur le plan technique, ce blocage suppose de modifier le système d’aiguillage utilisé par les fournisseurs d’accès à Internet.

Si, il y a 30 ans, certains parlaient « [d’]autoroutes de l’information », la réalité est davantage à comparer au chemin de fer, avec des postes d’aiguillages : les noms de domaine.

Et ces outils ont déjà été utilisés par d’autres gouvernements autoritaires dans un passé plus ou moins récent : la Chine, la Russie, l’Iran, le Sénégal ou encore la Turquie entre 2014 et 2016, puis en février de cette année, après le tremblement de terre qui a frappé le sud du pays.

Des pays qui semblent de plus en plus servir de modèles à l’exécutif français déjà englué dans une pratique du pouvoir, des institutions et des mesures qui ne rassurent personne sur l’état de notre démocratie.

 

… et néanmoins contournables

Or, ces mesures sont facilement contournables.

Comme l’évoquait il y a quelques jours notre collègue et informaticien de profession H16, il existe plusieurs manières de contourner ces restrictions si elles venaient : utilisation d’un VPN, de navigateurs spécifiques ou encore application du principe de décentralisation en multipliant les abonnements à différentes plateformes et la création de groupes privés sur WhatsApp ou Telegram.

 

Idée illusoire pour piège mortel

Dans un article de la Fondation pour l’éducation économique publié dans nos colonnes vendredi et que nous vous invitons à consulter si ce n’est pas déjà fait, la chercheuse et professeur au Cato Institute Kerry McDonald constate que ces mesures de censure relèvent d’une ingérence de l’État dans une compétence qui relève normalement de l’éducation, et donc des parents. Ce que prône aujourd’hui le gouvernement n’est rien d’autre que l’étatisation du contrôle parental utilisé sur la plupart des plateformes numériques.

McDonald note également l’inefficacité de ce type de mesures en s’appuyant sur plusieurs exemples historiques.

 

Une persistance incompréhension présidentielle

Dans la suite des mesures d’état d’urgence, de confinement ou encore de lois sécuritaires diverses et variées, le blocage des réseaux sociaux ne sera qu’un coup de canif de plus envers la liberté de chaque Français.

S’ils se sont taris, les événements qui se sont déroulés il y a 10 jours ne se régleront pas à coups de subventions ou de répression, mais bien par un traitement de fond, civilisationnel, des véritables causes de cette guérilla qui a frappé l’Hexagone : l’impunité, la déresponsabilisation et l’infantilisation.

Or, en prenant la place des parents dans leur rôle éducatif vis-à-vis des réseaux sociaux, il y a fort à parier que la leçon n’a pas encore été comprise en haut lieu.

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  • Il est inadmissible que les dégâts et pillages des 3.000 émeutiers soient payés par les contribuables/citoyens. Une véritable justice serait de poursuivre et faire payer les auteurs et d’en faire transparence et suivi pour rassurer la population et donner la mesure des sanctions aux récidivistes.

    • Mais ils sont insolvables et vivent d’aides sociales ! Les dealers auraient bien les moyens mais eux sont armés, et pas de feux d’artifice.

      • Eh bien qu’ils apprennent à vivre sans aides sociales et en étant réellement insolvable, à commencer par sans téléphone portable.

  • L’Etat français est déjà infoutu de bloquer les sites « xxx » qui ne contrôleraient pas correctement l’âge des internautes.
    Alors Tic et Toc et Amstramgram Pic et Pic et Colegram !…
    Par contre, il est de son ressort – et c’est une demande citoyenne – de réguler un peu plus finement l’immigration… De couper les vivres aux familles désinvoltes… Ou encore de sanctionner correctement les émeutiers et toutes les personnalités qui font preuve, à leur égard, d’une certaine complicité amoureuse.

    • Bien d’accord, mais ces mesures ne sont pas vivre-ensemble-friendly. D’ailleurs, je n’ai pas entendu Macron dire qu’il voulait « emmerder » les émeutiers…

  • Entièrement d’accord avec votre article.
    On constate, encore, que l’Etat ne s’attaque pas à la racine du mal mais juste aux apparences. Il veut traiter les symptômes au lieu de s’attaquer au mal qui demande en fait un traitement de fond.
    Car, comme vous dites, il faut un traitement de fond et vous citez : « l’impunité, la déresponsabilisation et l’infantilisation », j’ajoute la haine de soi et la repentance + flagellation éternelles.
    Il est temps de revoir les programmes scolaires, la formation des enseignants, et de retirer aux syndicats leur pouvoir sur les carrières. C’est le travail de fond indispensable, avec le retour du respect du pays et de son histoire.
    Et dans l’immédiat, se rappeler que Jérôme Kerviel a pu être condamné à verser 1 million d’euros à la Société Générale… alors qu’est-ce qui empêche de condamner des délinquants à prendre en charge le coût de leurs dégâts ?

  • Ne pas s’attaquer aux coupables : trop risqué. Il pourrait y avoir de nouvelles émeutes.

    • De nouvelles émeutes feraient remonter la cote de popularité de Macron, notre gardien suprême face au chaos, non ?

  • On accusait souvent le forum Davos d’être un rassemblement de bourgeois en quête d’autorité. Leurs déclarations delirantes, entendues à intervalles plus ou moins réguliers lors des grandes messes, revenaient presque chaque année. A la réflexion, cette aspiration au totalitarisme, perceptible dans les détails, semble progressivement se frayer un chemin à travers les canaux des « Young Global Leaders » dont Sarko, Holland et Macron font partie. Les réseaux, c’est un axe de l’idéologie, une sorte de communisme 2.0 qui nous révèle une autre facette de l’incidieuse attaque contre les libertés et droits individuels en occident : l’assaut contre la propriété individuelle.

  • Les commentaires sont fermés.

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