La démocratie actionnariale n’est pas politique

Pour Frédéric Peltier, renier la parole des actionnaires, limiter leur droit d’influer par un vote sur des questions essentielles telles les rémunérations et le climat est une position d’arrière-garde.

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La démocratie actionnariale n’est pas politique

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 4 juillet 2023
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Par Frédéric Peltier, Avocat, Président de l’Association des Actionnaires Actifs.

 

Dans une tribune parue dans Le Figaro le 30 mai dernier, Alain Minc dénonce : « Pire que les Insoumis, le gauchisme actionnarial venu de Wall Street ».

Ce titre aux relents trumpiste illustre bien la radicalisation heureusement minoritaire, quoiqu’influente, de quelques grands esprits qui pensent que les dirigeants des grands groupes doivent demeurer au-dessus de la mêlée des actionnaires. Au nom d’une prétendue légitimité supérieure pour veiller aux intérêts des grands groupes cotés en bourse qui serait reconnue par une loi du marché des rémunérations de ces grands patrons, le débat est régulièrement relancé par des thuriféraires.

Alain Minc explique que le pouvoir donné par la loi aux actionnaires pour encadrer la rémunération des dirigeants a permis une intrusion du socialisme dans la gouvernance des sociétés cotées. Selon lui, le fonctionnement de la démocratie actionnariale en matière de contrôle des rémunérations serait infiltré par un gauchisme des actionnaires dont ils n’auraient même pas conscience.

Alain Minc est tout simplement resté bloqué au XXe siècle, où le capitalisme ultralibéral ne mesurait son efficacité qu’au regard du thermomètre des cours de bourse, au nom de la création d’une valeur actionnariale à court terme. On a compris, un peu tard avec la crise des subprimes de 2008 qui n’avait pourtant pas des ressorts différents du krach boursier de 1929, que davantage de régulation et de contrôle ne nuisaient pas à la stabilité de l’économie ainsi qu’à la création pérenne de richesses.

C’est dans ce contexte de marchés financiers débridés que la question du contrôle de la rémunération des dirigeants des grandes sociétés s’est posée. Aux États-Unis, Wall Street a demandé à la Maison Blanche de soutenir le monde financier qui s’écroulait. En contrepartie, la Maison Blanche, où personne ne chante l’internationale, y compris chez les Démocrates, a exigé un contrôle des rémunérations, pour octroyer le soutien demandé par ceux qui devaient corriger leurs graves erreurs de gestion.

En France, la question de la rémunération des dirigeants des sociétés cotées a été régulièrement posée à l’occasion d’excès certes isolés, mais revenant régulièrement depuis la fin des années 1990. Il a d’abord été fait appel à la raison, à la sagesse, puis à l’autorégulation dans le cadre d’un code de bonne conduite.

Le chemin à parcourir partait de très loin.

Domaine réservé du conseil d’administration, la rémunération des dirigeants était un tabou bien protégé depuis des lustres. Le système péchait par deux défauts majeurs : le manque de transparence, d’une part, l’absence quasi-totale de contrôle a priori comme a posteriori, d’autre part. Le spectre du conflit d’intérêts a conduit à la généralisation du comité des rémunérations pour s’assurer de l’impartialité du conseil d’administration. Mais force est de constater que le renforcement du contrôle par les actionnaires s’est finalement imposé comme la seule solution pour instaurer un réel contre-pouvoir dans la fixation des modalités de fixation de la rémunération des dirigeants.

Contrairement à ce que prétend Alain Minc, le régime français de contrôle de la rémunération des patrons de sociétés cotées n’est en aucun cas un copié-collé des pratiques américaines.

Il faut rappeler d’abord que le mouvement visant à consulter les actionnaires sur la rémunération des dirigeants a été instauré en 2013 par le code AFEP-MEDEF. On doit le passage du vote consultatif au vote contraignant des actionnaires instauré en 2016, dit « say on pay », à l’affaire Carlos Ghosn. Le Conseil d’administration n’ayant pas suivi un vote consultatif défavorable des actionnaires, il en a été conclu que l’autorégulation ne fonctionnait pas.

Mais surtout, il n’y a pas d’exception française où la question de la rémunération des dirigeants serait noyautée par des forces obscures de gauche. Le régime du contrôle de la rémunération des dirigeants par les actionnaires répond aux exigences d’une directive européenne : la directive en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires du 17 mai 2017.

Le régime juridique en vigueur depuis l’ordonnance du 27 novembre 2019 qui a transposé ce texte européen, a pour objectif de créer un dispositif unifié et contraignant encadrant la rémunération des dirigeants des sociétés cotées. Et, n’en déplaise aux critiques, ce système qui donne voix au chapitre aux actionnaires va dans le sens de l’histoire. Curieusement, la solution proposée par celui qui murmure à l’oreille de beaucoup de patrons, serait de laisser à la fiscalité le soin de rétablir le caractère exorbitant de certaines rémunérations. Alain Minc propose de remplacer un prétendu socialisme dans la détermination de rémunération des grands patrons par un socialisme fiscal.

Or, il vaut mieux prévenir que guérir, surtout lorsque l’on songe aux systèmes de rémunération qui permettent d’optimiser la fiscalité.

Les actionnaires représentent le capital.

Leur donner le droit d’encadrer certains pouvoirs conférés au conseil d’administration n’a rien de scandaleux. Au contraire. En matière climatique, on voit bien que les débats d’assemblées d’actionnaires au sujet des résolutions sur la réduction de l’empreinte carbone poussent les conseils d’administration à appréhender ce problème comme une priorité s’imposant à une vision étriquée de l’intérêt social qui serait de faire du bénéfice à tout prix. À quand donc la critique de l’écologisme des actionnaires ?

Renier la parole des actionnaires, limiter leur droit d’influer par un vote sur des questions essentielles telles les rémunérations et le climat est une position d’arrière-garde.

Les vrais « cadors » dont Alain Minc craint la désertion des grands groupes cotés en raison du contrôle des actionnaires sur leur rémunération sont ceux qui savent dialoguer avec leurs actionnaires. Rappelons que ces derniers sont en grande partie des investisseurs institutionnels qui prennent des engagements écologiques, sociaux et de gouvernance vis-à-vis des épargnants qui leur confient des fonds.

Il n’y a pas d’investisseurs qui gèrent leurs participations dans des sociétés cotées en faisant de la politique. Il y a en revanche de plus en plus d’investisseurs et donc d’actionnaires qui ont des exigences sociétales dans un monde en danger climatique, où l’on ne peut pas non plus ignorer l’impératif d’une réflexion sur l’équilibre du partage des profits générés par les grandes sociétés cotées.

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  • Houlala, pourquoi invoquer le climat dans cette affaire? Les actionnaires sont les propriétaires de l’entreprise. C’est à eux d’approuver les grandes orientations et c’est bien de la politique. Pourquoi le nier?

    • Il me semble que la position de l’auteur est que les Etats étant de gré ou de force de plus en plus majoritaires en tant qu’ « actionnaires », il serait logique qu’ils imposent leurs lubies.

  • « au XXe siècle, où le capitalisme ultralibéral ne mesurait son efficacité qu’au regard du thermomètre des cours de bourse »
    Voilà qui mériterait d’être appuyé par quelques éléments chiffrés et quelques sources. Parce que le capitalisme « ultralibéral » du XXe siècle valait bien le pseudo capitalisme réglementé à tous crins du XXIe, en matière de résultats, d’innovation et de progrès, non ?

  • Les rémunérations exhobitantes de nombre de patrons ne sont pas justifiées. S. Tchuruck a mis en faillite Alcatel qui comptait 120.000 salariés à son arrivée. P. Tron a été forcé de céder aux américains Alstom pour éviter de croupir dans une de leurs geôles. Et ce ne sont que les cas les plus médiatiques.
    Les patrons français forment une caste qui circule d’entreprise en entreprise et se votent entre eux leurs augmentations. En effet, chacun a des jetons pour participer aux conseils d’administration des autres entreprises.
    Il ne sont pas créateurs d’innovations ou de productivités dans les grandes entreprises. Leurs jobs est d’obéir et mettre en œuvre les décisions des actionnaires majoritaires et de virer les récalcitrants à ces décisions.
    Pour y avoir travailler, ils n’ont aucune vision pour l’entreprise. C’est pour eux une cash machine qu’il faut quitter dès que ça pue.
    Enfin, un dirigeant qui touche 5 millions d’euros par an, soit 416.666€ par mois, est il plus efficace que 28 ingénieurs qui touchent 15.000€ (salaires en brut bien sûr) ? 28 ingénieurs, c’est déjà une PME. Et dans le salaire du patron, n’ont pas été comptées les actions gratuites sont il bénéficie.
    D’ailleurs, aucun de ces grands patrons ne montent une PME. Cela en dit long sur leurs compétences.
    Sont exclus de ces propos les patrons propriétaires de leurs boîtes comme B Arnaud, la famille Dumiez, etc, qui eux méritent leurs salaires car ils sont personnellement motivés pour faire perdurer leurs boîtes.

  • La fausse route du carbone pour influer sur le climat mais pas sur les subventions.
    Un jour il faudra expliquer cette fourberie au peuple

  • Avatar
    Stephane Lallement
    8 juillet 2023 at 12 h 51 min

    En vérité, c’est la mission des statuts de décider qui détient quel pouvoir et quelle responsabilité précisément. Une entreprise doit être gérée conformément à ses statuts. Ce sont eux qui doivent préciser qui prend quelle décision, et sous quel contrôle.
    Ce n’est que dans un régime fasciste que le gouvernement se substitue aux statuts pour décider qui décide de quoi.

  • Les commentaires sont fermés.

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