Résilier un contrat en ligne : une nouvelle liberté ?

Il sera désormais possible à toute personne de résilier un contrat avec un simple clic en ligne. Une nouvelle liberté ? Pour Jacques Garello, il n’en est rien…

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Résilier un contrat en ligne : une nouvelle liberté ?

Publié le 11 juin 2023
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Un article de La Nouvelle Lettre.

 

Le 1er juin 2023 marquera-t-il une date clé de l’histoire de France ? Cette date est la mise en application de la loi du 19 août 2022, et précisément de son article 15 : il sera désormais possible à toute personne de résilier un contrat avec un simple clic en ligne.

À ce jour, la loi et cette « nouvelle liberté » offerte au peuple n’ont pas été clairement jugées : pour les uns il s’agirait d’une disposition normale, d’un simple progrès technique dû au numérique, pour les autres c’est un grand progrès de société conforme à la justice sociale. Pour les libéraux, c’est à mon sens un pas de plus sur la voie d’une révolution totalitaire inspirée par l’ignorance et l’idéologie.

 

Quelle innovation ? 

Pour juger clairement, il faut d’abord rappeler ce que n’est pas cette innovation.

Elle a été saluée par beaucoup de Français comme une réaction aux abus de certains contrats, et en particulier ces contrats d’assurance aux mille clauses illisibles par le commun des mortels. Il y a aussi cette accumulation d’abonnements mensuels qui finissent par ruiner la famille et dont on se sent prisonnier. Voilà donc quelque chose de populaire.

Le mérite en reviendrait au gouvernement, dont la mission serait de libérer le peuple de l’asservissement à de grands groupes, à des entreprises qui auraient forcé la main des consommateurs.

D’ailleurs, il suffit de lire sur Légifrance.fr la très longue explication donnée concernant le décret du 31 mai 2023 (mercredi dernier) « Décret n° 2023-417 du 31 mai 2023 relatif aux modalités techniques de résiliation des contrats par voie électronique ». C’est de la vraie bureaucratie française, c’est pour moi aussi incompréhensible qu’un contrat d’assurance. Mais, à la différence des contrats, les citoyens ne peuvent pas résilier un décret, ni un gouvernement d’ailleurs.

En résumé, voici ce que contient le décret :

  1. Tous les contrats sont concernés sans aucune exception, et en particulier tous les abonnements.
  2. Toutes les personnes physiques ou toutes les sociétés sont concernées, à l’exception des mutuelles.
  3. Peu importe que le contrat ait été passé en ligne, par téléphone ou par écrit.
  4. Les entreprises avec lesquelles le contrat a été passé vont désormais offrir une « fonctionnalité nouvelle et gratuite » : dans l’espace client elles devront prévoir un bouton « résilier son contrat ».

 

Le décret est donc bien conforme au texte de la loi dans son article 15 : les entreprises ont obligation de « mettre à la disposition du consommateur une fonctionnalité gratuite permettant d’accomplir, par voie électronique, la notification et les démarches nécessaires à la résiliation du contrat. »

Ces précisions n’ont peut-être pas été jugées ni connues du grand public. Elles portent en réalité trois erreurs liberticides : erreur sur le contrat, erreur sur l’entreprise, erreur sur la liberté.

 

Erreur sur le contrat

Un grand débat auquel ont participé de très nombreux économistes et juristes a porté sur l’ambiguïté des relations contractuelles : y a-t-il égalité entre les parties, entre l’entreprise et le consommateur (et peut-être plus généralement entre le vendeur et l’acheteur ?) ?

On s’est interrogé sur « l’asymétrie » du marché : l’un sait ce qu’il vend, l’autre ne sait pas ce qu’il achète.

Le consommateur serait donc nécessairement influencé, manipulé par le producteur. Il s’agit d’une fable, démontée par George Akerlof avec sa référence aux lemons (citrons). S’il existe un contrat d’apparence asymétrique, c’est bien celui des voitures d’occasion. L’acheteur d’un véhicule neuf bénéficie d’une information très complète, il se fait aussi une opinion d’après ce qu’il a observé dans son entourage. Mais la voiture d’occasion a, a priori, une mauvaise réputation : sans que ce soit visible, elle a pu être « pressée comme un citron », il peut lui rester pas grand-chose dans un proche avenir. Akerlof s’interroge alors : pourquoi le marché de la voiture d’occasion est-il si important partout et toujours ?

C’est que le risque contractuel est assumé par l’acheteur, au point que dans certains des États-Unis (comme la Californie) la rupture de contrat par l’acheteur l’oblige à indemniser le vendeur ! En d’autres termes, le vendeur a tout intérêt à être honnête et à proposer une juste transaction. Évidemment, il en est ainsi parce que le marché est libre, c’est-à-dire qu’il y a concurrence entre tous les offreurs.

En revanche, dans les cas de monopoles ou de cartels, l’asservissement du consommateur ou de l’usager est possible. Encore faut-il préciser que les monopoles et cartels ne sont durables que s’ils sont protégés par la puissance publique, à travers ses réglementations et ses subventions.

Entre personnes privées (individus et sociétés) un contrat signifie une confiance mutuelle. Il a donc une dimension morale et sociale incontestable. Cette relation est spécifique à l’être humain, comme l’échange volontaire. L’honnêteté est la base de la vie en commun. La corruption est souvent le tribut du pouvoir.

 

Erreur sur l’entreprise

Il se trouve qu’en France on réduit généralement l’entreprise à sa fonction financière : la « rentabilité » serait le seul souci de l’entrepreneur ou de l’actionnaire, personnage d’ailleurs vilipendé parce que bénéficiaire d’une « rente ». Seul le petit artisan ou commerçant trouvent grâce aux yeux du public, tandis que les grandes entreprises s’emploieraient à grossir leurs marges au détriment des consommateurs.

C’est évidemment ignorer la logique de l’économie, qui est la science de l’échange, échange qui est le propre de l’être humain.

J’utilise volontiers l’étymologie du verbe entreprendre :

Entre signifie que l’entreprise se situe entre les besoins à satisfaire et les moyens de les combler, on pourrait presque dire entre demande et offre.

Prendre traduit l’activité essentielle de l’entreprise : trouver les facteurs de production nécessaires à obtenir le bien ou le service : le travail et le capital. Cette activité est un art, l’art d’entreprendre, appelé entrepreneurship.

On peut être un bon entrepreneur sans travailler ni investir. Certes, dans beaucoup d’entreprises c’est l’entrepreneur qui travaille (par exemple entreprise individuelle ou auto-entrepreneur), et/ou c’est l’entrepreneur qui apporte les fonds sur son propre patrimoine (sans recours au crédit pour investir). Mais même dans ces cas, très fréquents bien sûr, il ne faut pas éliminer tout le mérite de celui qui entreprend. Mais quel est ce mérite, quel est cet « art d’entreprendre » ?

La réponse des ignorants, mais de bonne foi, c’est le risque. Ainsi, le profit serait-il la rémunération du risque pris : l’entrepreneur serait celui qui ose engager son argent (ou celui qu’il emprunte) au lieu de le placer tranquillement auprès d’une caisse d’épargne ou en obligation (comme des bons du Trésor).

L’entreprise serait un jeu de casino, où l’on tente sa chance.

Israël Kirzner a démonté cette thèse et a expliqué très simplement que l’entrepreneur a pour mission d’observer le marché et d’en tirer les enseignements, puisque le niveau des prix et des profits est un indicateur de pénurie ou d’excédent.

L’art d’entreprendre est donc de percevoir ce qu’attendent les gens ; la vigilance, la clairvoyance de l’entrepreneur (alertness) lui permettent d’innover. Il a une « anticipation d’information », donc il prend moins de risques, il n’est pas un superman parce qu’il a une idée que personne n’a eu avant lui.

Kirzner conclut que n’importe qui peut devenir entrepreneur : il lui suffit de chercher le travail et le capital dont il a besoin, et ce peuvent être les siens). Cette présentation de l’entreprise est validée, non seulement par l’histoire de quelques entrepreneurs célèbres, mais aussi par l’analyse statistique des résultats de l’entreprise : la valeur du produit est largement supérieure à l’addition de la valeur du travail (salaires payés) et du capital (principal et intérêts versés).

Les comptables et statisticiens parlent souvent de ce mystérieux « facteur résiduel » qui n’est ni le travail ni le capital. Il n’y a en fait aucun mystère : l’art d’entreprendre est rémunéré parce que le produit de l’entreprise correspond au meilleur service de la communauté, à ce que les gens attendent, ce pour quoi ils sont prêts à payer en fonction de leurs préférences personnelles. Mais évidemment, cette évidence échappe à ceux qui parlent offre et demande sans s’interroger sur la façon de les adapter, sans prêter attention ni parfois sans comprendre ce qu’est le marché (sauf sur la place du village).

L’erreur sur l’entreprise s’est cristallisée depuis quelques décennies en France avec le concept d’entreprise sociale et solidaire (ESS).

Ce sont des entreprises qui n’en sont pas, puisqu’il s’agirait de mutuelles, de coopératives, d’associations, de fondations qui s’interdisent de réaliser et capitaliser des profits et sont généralement en partie publiques. Les ESS devraient employer environ deux millions de personnes.

Mais précisément, la loi du 19 août 2022 élargit le cercle des ESS pour affirmer que toute entreprise a une vocation sociale. Cette idée court depuis longtemps. Elle a été lancée par le président Valéry Giscard d’Estaing : dès son élection en 1974 il a voulu faire appliquer le « rapport Sudreau » qui assignait aux entreprises une mission sociale, très au-delà de leur mission financière.

Cette mission devait être définie avec les syndicats, dont la responsabilité devait être élargie dans la gestion de l’entreprise. Les idées à la mode étaient celles de la cogestion, dans sa version allemande (mitbestimmung) ou dans sa version socialiste (Michel Rocard et les soixante-huitards).

Aujourd’hui, cette dimension sociale de l’entreprise a déjà été intégrée dans le droit du travail, elle a conquis la classe politique et médiatique : l’art d’entreprendre est l’art de politiser, syndicaliser et étatiser l’entreprise.

 

Erreur sur la liberté

La liberté ne peut pas être organisée par l’État. L’État a pour mission de protéger la liberté, c’est-à-dire de faire en sorte que chacun puisse librement exercer ses propres capacités dans le cadre du contrat et de l’entreprise.

Puisque l’entreprise a pour mission d’améliorer le service de la communauté en répondant aux besoins révélés par le marché, son rôle social est évident. Mais là-dessus, les pouvoirs publics ont inventé le droit du travail, qui échappe à la logique du contrat. Ils ont multiplié les réglementations, les subventions, les niches fiscales, les prélèvements dits sociaux, de sorte que l’on a du mal à comprendre l’entreprise, l’entrepreneur et les actionnaires.

En fait la référence au « social » est une manière élégante de poursuivre dans la voie de la lutte des classes. Grâce à notre président Emmanuel Macron, elle a maintenant le beau nom d’Économie sociale et solidaire, que je qualifierai de pléonasme puisque l’économie est par définition sociale et solidaire. Mais les hommes d’État et l’élite éclairée de ce pays ne peuvent s’empêcher de mettre leur grain de sel et doivent rappeler que rien ne peut s’exercer sans eux.

Leurs idées prolongent naturellement celles de Marx et du socialisme, qui ne voient l’économie que comme l’affrontement entre le capital et le travail.

L’entreprise, c’est le capital, l’organisation du prolétariat et le syndicalisme, c’est le travail.

De là découlent toutes les illusions et les contradictions internes de la participation obligatoire, des partenaires sociaux, etc. Est supprimée toute liberté pour l’entreprise d’organiser sa propre gestion, d’harmoniser travail et capital en fonction du service du client et du consommateur. Mieux encore : avec le décret du 31 mai, la version traditionnelle de la lutte des classes prend maintenant la forme de l’oppression du consommateur par l’entrepreneur.

Finalement, je conclus que ce décret révèle non seulement une erreur sur la liberté, mais la détruit et nous engage dans la voie du totalitarisme : c’est une porte ouverte, non seulement sur la ruine, mais sur la révolte, la haine, l’affrontement : tout le contraire de la solidarité.

La solidarité n’est pas sociale, elle est personnelle. Au cœur de l’économie, entreprendre c’est servir la communauté.

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  • « C’est que le risque contractuel est assumé par l’acheteur, au point que dans certains des États-Unis (comme la Californie) la rupture de contrat par l’acheteur l’oblige à indemniser le vendeur ! »

    C’est (heureusement) le contraire. Les « used car lemon laws » protègent l’acheteur en obligeant le vendeur à réparer, remplacer ou rembourser un véhicule d’occasion défectueux. De telles lois sont en vigueur dans seulement 6 états: Connecticut, Massachusetts, Minnesota, New Jersey, New Mexico, New York.

  • Tout en étant en accord avec l’ensemble des arguments exposés, j’éprouve des difficultés à suivre leur cheminement vers la conclusion d’un ensemble d’erreurs liberticides.
    Alors que tout simplement ce décret est liberticide parce qu’il supprime la liberté d’établir des contrats solides entre les entreprises et leurs clients, avec les conséquences prévisibles liées à cette précarité sur les coûts et la nature même de ces contrats.

  • « L’Etat a pour mission de protéger la liberté, mais ne peut pas l’organiser ».
    Très intéressante proposition (l’organisation de la liberté serait d’ailleurs un oxymore) qui devrait servir aux ordolibéraux comme limite à leurs préconisations d’interventions étatiques.

  • Superbe article de Jacques Garello bravo et merci encore pour cette ode a la liberté et a l’humanisme !!!

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