Les conventions constitutionnelles et l’interprétation de l’article 40 : une norme subjective ? (2/2)

L’utilisation stratégique des énoncés constitutionnels met en lumière un potentiel abus et une défiance qui fragilisent le système de contrôle du pouvoir.

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Les conventions constitutionnelles et l’interprétation de l’article 40 : une norme subjective ? (2/2)

Publié le 4 juin 2023
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Les conventions de la Constitution comme norme informelle dans l’appréciation des conditions de l’article 40

Il n’appartient pas au chercheur de se prononcer sur la recevabilité financière d’une proposition de loi. Seul ce qui est décidé par les interprètes authentiques vaut norme, le reste n’est que jugement de valeur, une « signification subjective » comme dirait H. Kelsen dans la seconde édition de sa Reine Rechtslehre.

Il faut dès à présent admettre que les décisions et interprétations des juges de la recevabilité ne disposent que de la « force de chose décidée » et ne valent que si elles n’ont pas été contredites par un interprète supérieur, en l’occurrence le Conseil constitutionnel, qui joue le rôle d’un « juge d’appel en dernier ressort » des décisions des organes parlementaires ou celui d’un « arbitre » entre les parlementaires et le gouvernement.

Le contrôle de la recevabilité financière n’est définie, ni par la Constitution (article 40) ni par la LOLF (article 47). Dès lors, il revient à chaque assemblée, sur le fondement du principe de l’autonomie réglementaire, de régler la procédure de contrôle de la recevabilité financières des initiatives parlementaires.

Au regard de l’autonomie réglementaire, véritable « système de contournement normatif » (J. Barthélemy), l’importance du droit non-écrit et notamment des conventions de la Constitution (I. Jhennings et P. Avril) est prégnant, bien qu’il dépendra du degré de formalisme desdits règlements. C’est en effet de l’autonomie réglementaire que découle l’autonomie décisionnelle des organes parlementaires. Dès lors, le contrôle « juridictionnel » s’opère au regard de l’appréciation des différents acteurs parlementaires.

Le contrôle par les « juges » de la recevabilité financière est différent au regard des amendements ou des propositions de loi. Cette différence est souvent omise dans les commentaires sur la proposition de loi LIOT. En effet, si le contrôle pour les amendements est systématiquement opéré par le président de la Commission des finances (sauf exception des 11 juillet et 27 octobre 2022 où il fut fait par la présidente de l’Assemblée), le contrôle des propositions de loi n’est que formel et bénéficie d’une relative immunité quant à leur recevabilité.

Dans le cadre d’une proposition de loi devant l’Assemblée nationale, une délégation du Bureau de l’Assemblée peut soulever l’irrecevabilité au sens de l’article 40 si celle-ci est manifeste (article 89 al. 1 RAN). Les alinéas 2 et 3 de l’article 89 RAN ne sont pas applicables au cas des propositions de loi. Il faut donc se tourner vers l’alinéa 4 RAN pour poursuivre la procédure de contrôle au regard de l’article 40 de la Constitution.

Selon les dispositions de cet alinéa, l’irrecevabilité peut être soulevée à tout moment par le gouvernement ou par un député, à l’égard de la proposition initiale ou du texte validé en commission compétente au fond. Ce contrôle est effectué par le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire ou un membre de son bureau désigné à cet effet.

C’est en l’espèce ce que Éric Coquerel a fait en validant la recevabilité financière de la proposition de loi. Sa décision revêt seulement l’autorité de chose décidée, autrement dit, d’une « normativité politique » ou d’une « convention de la Constitution ».

Ainsi, l’interprétation de cet interprète n’est pas authentique, elle peut toujours être remise en cause. Si dans le cas des amendements, son interprétation peut être remise en cause par la présidente de l’Assemblée, ce n’est pas le cas dans le cadre des propositions de loi. Pour autant, l’autorité de la décision d’Éric Coquerel ne dispose que d’une normativité politique, elle n’est qu’une interprétation subjective de la norme constitutionnelle qu’est l’article 40.

Or, cette normativité politique peut très bien être remise en cause par une autre interprétation d’un organe supérieur. Ainsi, la PPL doit être examinée et adoptée devant la Commission des affaires sociales. Ici, par une interprétation extensive de l’article 14 RAN selon lequel « le Bureau a tous pouvoirs pour régler les délibérations de l’Assemblée », le Bureau pourrait se saisir pour statuer sur la recevabilité de la mesure au regard de l’article 40.

Néanmoins, cela serait un pari risqué car une délégation du Bureau a déjà jugé les deux PPL recevables, car gagées. In fine, au bout du cheminement parlementaire (très improbable), le Conseil constitutionnel statuera sur la recevabilité financière de cette loi, confirmant ou infirmant l’interprétation des différents acteurs parlementaires du « système de vérification des pouvoirs » (M. Waline).

 

L’utilisation et l’interprétation de la Constitution

On voit que chaque interprète utilise stratégiquement les énoncés indéterminés afin d’assurer sa place dans ce système parlementaire. En utilisant ainsi la Constitution, chaque interprète tente de se conserver afin d’asseoir sa légitimité au près des autres acteurs du système. Face à des énoncés indéterminés qui expriment une règle (ex : article 40 C), s’exprime le « paradoxe de l’application des règles » soulevé par L. Wittgenstein.

Pour lui, il n’y a pas de distance entre la règle et son application. Autrement dit, la signification de la règle se détermine par son application. Dès lors, c’est la pratique des acteurs qui détermine la signification des énoncés constitutionnels (article 40) ou infra-constitutionnels (ex : article 89 RAN).

Cela vaut aussi pour l’utilisation stratégique des énoncés constitutionnels par le gouvernement (article 49 al.3, article 44 al. 2 et 3 etc). Ce pouvoir d’interprétation par les acteurs politiques, dotant leurs interprétations d’une normativité politique, sera d’autant plus grand en l’absence de contrôle juridictionnel et en présence d’énoncés indéterminés.

Bien qu’un énoncé précis et clair ne supprime pas le pouvoir d’interprétation des acteurs politiques, il réduit sensiblement l’écart entre la norme et la règle en ce sens qu’il rend difficile une norme contredisant la règle de l’énoncé. Il faut aussi prendre un élément non-juridique : la présence d’une majorité relative. Celle-ci justifie une utilisation plus stratégique des différents énoncés constitutionnels dans la vie parlementaire, tant par le Gouvernement que par l’opposition.

 

Pour conclure, la question à se poser est au fond celle de l’abus de leurs utilisations par les acteurs politiques.

D’un côté, l’abus par le gouvernement des dispositions du parlementarisme rationalisé tend à fragiliser la faible confiance qu’il bénéficie, tant au niveau des parlementaires que de la population.

De l’autre, en interprétant très (trop ?) largement les conditions de la recevabilité financière et en adoptant des décisions politiques plus que juridictionnelles, l’opposition fragilise le système de vérification des pouvoirs et donc in fine, sa confiance à l’égard du gouvernement et de la majorité relative.

Au final, c’est une défiance généralisée et donc potentiellement des blocages répétés qui s’installent dans notre vie parlementaire.

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