Quelle mouche a bien pu piquer l’Assemblée la plus représentative que la Cinquième République ait connue depuis 1988 ?
Deux mois après le passage de la réforme des retraites à grand coup de 49.3, et quelques semaines seulement après l’échec de la tentative de référendum sur le sujet, le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT) à la chambre basse a déposé une proposition de loi visant à abroger la mesure phare du texte : le report de l’âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans.
Débattue le 8 juin prochain, la proposition n’a pas tardé à s’attirer les foudres de la majorité. Cette dernière évoque un texte faisant peser sur les finances publiques un surcoût de près de 22 milliards d’euros. Cet argument lui permet de justifier d’utilisation d’un texte peu connu du grand public : l’article 40 de la Constitution. Le texte interdit purement et simplement aux parlementaires de prendre des mesures aggravant les finances publiques. Oui, vous avez bien lu, et nous y reviendrons…
Un texte pro-Parlement
Ce n’est qu’un des multiples paradoxes de nos institutions : alors que la France vit dans un régime ayant fait de l’Élysée l’alpha et l’omega de son système politique, le principe de l’article 40 de la Constitution est propre aux régimes parlementaires.
Remontant au XVIIIe siècle, en Angleterre, l’idée d’une limitation du pouvoir de nuisance financière des parlementaires illustre une vision de ces derniers comme les garants de l’intérêt des contribuables.
Selon une résolution prise par le Chambre des Communes en 1713, « la Chambre ne prendra connaissance d’aucune proposition de dépense afférente à l’administration de l’État et ne donnera suite à aucun projet prévoyant l’allocation de subsides aux dépens des deniers publics… en dehors d’une recommandation de la Couronne ».
Notez bien la fin de ce texte, car elle révèle une logique qui perdure encore aujourd’hui.
Contre un texte obligatoire
Son champ d’application est toutefois marqué par une grande ambiguïté, puisqu’il vise les « propositions et amendements formulés par les membres du Parlement [ayant] pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
Notons que cet article vise tout texte ayant une portée obligatoire.
À titre d’exemple, les débats autour de la Loi de finances pour l’année 1962 avaient abouti à un amendement sénatorial enjoignant le gouvernement Pompidou à envisager une revalorisation des rentes des anciens combattants. Après avoir dégainé l’article 40, le gouvernement s’était finalement rangé derrière l’avis de la commission des finances, pour qui l’amendement ne faisait qu’inviter le gouvernement à prendre une mesure, donc sans que son caractère obligatoire ne soit reconnu.
En l’espèce, le groupe LIOT propose une grande conférence sur le financement du système de retraite, et se trouve donc dans une situation analogue. Le texte est obligatoire car en cas de vote, une telle conférence sera effectivement mise en place, et c’est de cette conférence que sortira soit une amélioration, soit une aggravation des charges publiques. Ici, ce ne sont donc pas les parlementaires qui provoquent cette aggravation potentielle.
Enfin, nous l’avons dit en introduction : l’article vise les textes provoquant une aggravation des charges politiques ou une diminution des recettes. Quid des baisses d’impôts ? Quid de la situation catastrophique des finances du pays depuis un demi-siècle ?
La réponse se trouve dans le mot « Parlement ».
Le gouvernement contre les parlementaires
En effet, le texte ne vise que les initiatives parlementaires, et à aucun moment les projets gouvernementaux.
Car tel est bien l’esprit de ce texte dont la mise en place a été initiée quelques années avant la chute de la Quatrième République et installé définitivement en 1958.
En pratique, l’article 40 constitue une rationalisation du régime parlementaire. Après un article 39 portant sur le droit d’initiative, l’article 40 vient procéder à une limitation directe de ce droit. Il s’agit donc d’une arme gouvernementale contre les parlementaires. Son utilisation ne dit pas autre chose, puisque si ce texte peut être opposé aussi bien par la commission des finances, la commission chargée de la proposition ou tout parlementaire, c’est bel et bien généralement le gouvernement qui décide in fine de son utilisation, même si les litiges sont portés devant le bureau de l’assemblée puis du Conseil constitutionnel qui fait office de juge de cassation.
En l’espèce, le bureau de l’Assemblée a déjà statué en faveur du groupe LIOT. Un groupe qui s’est fait un nom dans le paysage parlementaire depuis le début de cette nouvelle législature.
Un petit groupe qui monte
Créé à l’automne 2018 par une vingtaine de députés nationalistes corses, de gauche et d’anciens macronistes, le groupe LIOT revendique n’être ni dans la majorité ni dans l’opposition.
Sans colonne vertébrale idéologique, il rappelle, pour le journaliste à La Croix Laurent de Boissieu, le groupe République et Liberté créé entre 1993 et 1997. Ce groupe comprenait des députés issus aussi bien du PS que du RPR, en passant par des communistes réunionnais. Il était présidé par un certain Jean Royer, candidat malheureux de l’ordre moral à l’élection présidentielle de 1974, élection où il avait été soutenu par plusieurs formations d’extrême droite.
Sans avoir une fourchette idéologique aussi large, le groupe LIOT rappelle son grand frère dans la mesure où il ne s’agit que d’un outil permettant à des élus n’appartenant à aucun groupe de bénéficier de moyens et de temps de parole dans l’hémicycle.
D’abord partagé sur les gouvernements d’Édouard Philippe, le groupe LIOT rejoint officiellement l’opposition après son remplacement par Jean Castex à l’été 2020.
Mais ce petit groupe de députés a surtout fait la Une de la presse politique avec le dépôt d’une motion de censure le 17 mars dernier qui recevra 278 voix sur les 289 nécessaires.
Aujourd’hui, la proposition d’abrogation du report de l’âge de départ à la retraite s’inscrit dans le cadre de sa niche parlementaire du 8 juin.
Un enjeu de survie pour la majorité
Le report de l’âge de départ à la retraite trônera sans doute dans l’Histoire comme une des principales mesures de l’ère Macron, et le vote de son annulation achèverait un quinquennat déjà agonisant.
Si, comme Laurent Sailly l’évoquait vendredi dans nos colonnes, le risque est mince, le jeu des navettes entre l’Assemblée et le Sénat risque de pourrir médiatiquement cette fin de session parlementaire.
On comprend bien l’enjeu politique de cette proposition de loi, expliquant sans doute l’acharnement de la majorité à éteindre cette proposition dans les plus brefs délais.
C’est au travers de telles épreuves que se révèle le visage des macronistes. On notera pêle-mêle : vote du pass vaccinal quand tous les pays abrogeaient les mesures répressives, discrimination d’une partie des français, bras d’honneur, condamnations de ministres, obstructions à la réintégration des soignants, contournement du parlement par « conseil de défense », « comités citoyens etc », « grenelle etc », utilisation bis répétas du 49.3, En effet, la vocation de l’assemblée parlementaire pose un sérieux problème à Monsieur Macron. On rappellera à ce « Mozart » de la finance les quelques 700 milliards d’euros qu’il a dilapidé. Ça détend à l’idée d’engager 22 milliards supplémentaires.
22 Mds., ça fait 6% du montant total des retraites, non ? Or 6% c’est justement le gain moyen en un an de la capitalisation par rapport à la répartition…
On commence à comprendre au bout de 60 ans que la V ème république n’est pas une démocratie
La démocratie c’est l’expression de la volonté du peuple, et celle ci est bafouée jour après jour par une petite clique minoritaire.
La Chine et la Russie sont couvertes d’opprobre par les droitsdelhommistes , mais au moins elles sont performantes sur les plans économiques et elles savent où elles veulent aller.
Il n’y a que dans les démocraties qu’un dirigeant peut se traîner à 30% d’opinions favorables sans être renversé par un putsch.
@MichelO
Bonjour,
Ce ne sont pas des démocraties donc. Dans une démocratie, on n’a pas de candidat déclaré élu avec moins de 4 voix reçues sur 10. C’est tout sauf de la démocratie.
Ayant cessé toute activité professionnelle à 68 ans, et profitant depuis 7 ans de ma très faible retraite de la sécu, je suis assez mal placé ( merci quand même à la capitalisation) pour donner un avis sur cette réforme des retraites. Cependant l’émotion soulevée régulièrement par cette arlésienne me suggère quelques réflexions:
– Parler d’assurance retraite ( autrefois assurance vieillesse) est déjà un abus de langage, la vieillesse n’étant pas un aléa assurable au même titre que la maladie qui peut survenir à tout instant avec des degrés de gravité très variables.
– Ensuite prolonger la durée de cotisation des personnes déjà en activité pour obtenir une retraite à taux plein (comme ils disent), ne serait-ce pas une modification du contrat (implicite et obligatoire) non signé en début d’activité?
– Et enfin, si nos énarques considèrent ( et nous garantissent) que la pérennité du système nécessite cette durée de cotisation allongée, pourquoi ne pas l’appliquer uniquement aux entrants dans la vie active en leur laissant bien évidemment la possibilité d’adhérer dès le départ à un autre système ( par capitalisation par exemple)?
@C2MR
Bonjour,
La capitalisation est une hérésie pour les socialo-communistes : ils ne peuvent pas avoir leurs gros doigts dans tout le pot de miel.
Le système des retraites, de la santé et des soins et plus généralement celui des finances publiques est comme un patient dans un lit d’hôpital avec le personnel s’affolant tout autour en oscultant les ongles lui posant des bandages. Les administrateurs déclarent que le patient va parfaitement bien…mais les médecins posent des poches de sang qui se vident rapidement car personne n’a remarqué l’hémorragie fémorale. Évidemment, pour « sauver le système », il faut plus de poches donc plus de sang, donc plus de saignées.
Quand on voit comment le régalien est géré par l’Etat, on craint le pire quand l’Etat prétend gérer tous ce qui est en dehors et qui devrait normalement, plus économiquement et en mieux, être géré par le privé. On sait que partout dans le monde les régimes collectivistes ont lamentablement échoué, donc on ne voit pas comment ça pourrait mieux fonctionner en Europe et particulièrement en France où la population (malgré les beaux discours d’intention de dépenser l’argent des autres) est profondément individualiste!
Survivre après 60 ans est un aléa tout à fait assurable, ne faites pas le jeu de nos gouvernants en prétendant qu’il serait nécessaire que l’Etat et nul autre intervienne pour ce faire.
Non, la survie après ( et même AVANT) 60 ans n’est pas un aléa assurable, contrairement peut-être à la dépendance. La vie, à ce compte là est un aléa dès la naissance, la durée de vie n’est pas prédéfinie, même si, en adepte professionnel des statistiques, vous allez nous calculer une durée de vie statistiquement moyenne! La dépendance me semble (mais je peux me tromper) plus assurable puisqu’elle peut survenir même très jeune (maladie, accident) ou plus tard pour ceux qui ont « la chance »(?) de vieillir au-delà des 60 ans fatidiques!
Je ne calcule les moyennes qu’à partir de la distribution des probabilités individuelles. La vie d’un navire marchand est assurable, c’est la navigation maritime qui a conduit au développement des assurances, et le système fonctionne à la satisfaction générale depuis des siècles. Pourtant le naufrage peut survenir dès le premier voyage comme par suite du délabrement général de la structure au bout de plusieurs décennies.
Allez donc expliquer au Lloyd’s Register que leur métier, qu’ils exercent avec succès depuis 1760, n’est en fait pas possible. Ou si vous maîtrisez mal l’anglais, aux Français du Bureau Veritas qui va fêter son bicentenaire dans 5 ans…
Comparer l’assurance de navires à l’assurance de vies humains, voilà un raccourci intéressant! Il y a bien ( ou devrait y avoir) des contrôles techniques de la structure des navires avant délabrement total, pour la vie humaine, les contrôles techniques, les réparations ou échanges de pièces usées semblent un peu plus compliqués. Et parlant d’assurance, les organismes que vous citez pour les navires refuseraient certainement comme c’est le cas de beaucoup d’assurances privées de garantir des individus gravement malades ou pratiquant des activités dangereuses susceptibles de raccourcir fortement leur espérance de vie!
Les sociétés dont je parle évaluent les risques. Un assureur ne refusera pas de garantir un risque élevé s’il est certifié par la société de classification et si l’Etat ne le lui interdit pas. Il se contentera de fixer la prime en conséquence. Un bookmaker ne refuse les paris ni sur/contre les favoris ni sur/contre les outsiders ! Nous parlons bien du calcul de la prime en fonction du risque (et en fonction de l’indemnité à verser, en cas de décès ou en cas de non-décès pour la retraite). Ces calculs font intervenir les descriptions de l’aléatoire, qui sont relativement bien comprises depuis au minimum les Grecs (IVe siècle avant JC, cf. Contre Lacritos de Démosthène) et sont loin de s’arrêter à de seules moyennes. Encore une fois, en refusant d’admettre que l’on puisse décrire ces aléas d’une manière exploitable en assurance, vous offrez un boulevard à l’Etat pour les utiliser à manipuler les citoyens à son profit.
Donnez moi les prochaines combinaisons gagnantes du loto, ça ira plus vite, et vous apporterez ainsi la preuve que « Ces calculs font intervenir les descriptions de l’aléatoire, qui sont relativement bien comprises depuis au minimum les Grecs « .