L’agroécologie face à la réalité, entre idéologie et difficultés

L’agroécologie peine à s’imposer malgré la pression médiatique, mais quelles sont les raisons de cette difficulté ?

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L’agroécologie face à la réalité, entre idéologie et difficultés

Publié le 3 juin 2023
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L’agroécologie a pour vocation de libérer l’agriculture de sa dépendance aux apports exogènes, que ce soit en matière de produits de défense des cultures et des animaux, de moyens énergétiques de production ou d’utilisation d’éléments fertilisants.

 

Une méthode qui peine à s’imposer

Malgré la pression médiatique sans limite et des individus regroupés en associations diverses, dont une association paysanne dont on se demande si elle défend bien les agriculteurs, qui s’arrogent le droit de recourir à la violence pour imposer cette idéologie, les principes de l’agroécologie, synonymes de Bio dans l’opinion, ont du mal à s’imposer.

Les objectifs successifs affichés d’atteindre en Bio 15 % de la surface agricole utilisée en 2022 et 18 % en 2027 sont loin d’être atteints. Ainsi, sur les 26,8 millions d’hectares de surface agricole utilisée, la Bio ne couvre que 2,8 millions d’hectares soit 10,44 % en 2022.

Depuis la fin du confinement, une récession des achats Bio semble se confirmer. De plus, un phénomène de déconversion semble s’amplifier. En 2022 selon l’agence Bio, quelque 2174 producteurs ont opté pour la déconversion, avec une augmentation de 42 % sur un an.

La baisse de la consommation des produits Bio pousse même de grands groupes de l’agro-industrie, comme Lactalis, Cavac ou Bodin Volailles, à encourager les producteurs bio à se déconvertir.

Cette tendance mérite d’être étudiée avec soin pour envisager l’avenir.

Certes la Bio permet de se libérer (partiellement) de la dépendance aux sources exogènes d’intrants et d’être moins fragile aux fluctuations des cours des intrants chimiques, notamment importés (voir infra). Mais il est indéniable que les rendements en Bio sont largement inférieurs à ceux obtenus en agriculture dite intensive, tellement décriée. Les raisons sont connues, même si elles sont volontairement occultées. La production d’une récolte est proportionnelle à la masse végétale capable de capter l’énergie solaire et de transformer le CO2 capté par la photosynthèse des plantes en oxygène et en hydrates de carbone, bases élémentaires de toute alimentation, qu’elle soit humaine ou animale. Or, la masse végétale est proportionnelle à la quantité d’azote assimilable dans le sol. C’est ce qui explique que l’apport d’engrais minéraux azotés fabriqués chimiquement augmente les rendements de manière significative.

La source d’azote en Bio ne peut provenir que de la décomposition de la masse végétale (compost, fumier animal) ou de la récupération de l’azote stocké par les légumineuses. Mais une exploitation Bio en autarcie ne peut rivaliser en apports azotés avec ceux exogènes issus de la chimie, surtout lorsqu’ils sont accompagnés des éléments P (phosphore) et K (potassium) que la Bio s’interdit.

Les rendements en Bio sont aussi limités par l’absence d’herbicides sélectifs. Et les différents binages ou rotations de cultures ne permettent pas de contrôler les plantes invasives (datura, ambroisie, lampourde, etc.).

Les déconventions en Bio sont aussi accélérées par la récente suppression des primes de maintien qui venaient compenser la perte de rendement et l’augmentation des façons culturales et du coût de la main d’œuvre induits.

 

La dépendance de l’agriculture « industrielle »

Le mot « industrielle » est mis entre guillemets, car la dépendance est aussi sensible pour une exploitation de 20 hectares que pour une de 200.

En effet, le poste approvisionnement est très sensible aux fluctuations de prix, sensibilité augmentée par le décalage de cette fluctuation avec celle des prix de vente de produits. Quand une hausse du prix d’achat des intrants est concomitante avec une baisse de prix de vente, l’équilibre de gestion de l’entreprise est compromis. La guerre en Ukraine a fait s’envoler les prix des carburants et des engrais à un point tel que des agriculteurs se sont interrogés sur la rentabilité d’emblaver, tant l’incertitude de la volatilité des prix était considérable.

La situation au Sénégal est une illustration du phénomène. L’augmentation du prix des engrais azotés est telle que les producteurs ne peuvent suffisamment s’approvisionner, et la diminution de la dose accessible ne permet plus un rendement suffisant pour assurer la rentabilité de la culture.

Le programme « Plan Sénégal émergeant vert », adopté par l’État en 2019, subventionne l’achat d’engrais organiques Bio à hauteur de 50 % du prix. Mais comme le constate un agriculteur, « il faut entre 10 à 15 sacs d’engrais organiques en plus par rapport aux engrais minéraux pour une même parcelle. Et tous les ans, dès mars, les stocks deviennent insuffisants sur l’ensemble du pays »

Le directeur de l’horticulture au ministère de l’Agriculture du Sénégal évalue de 15 à 20 % la part d’engrais minéraux importés, problème qui touche également les engrais organiques qui sont importés à 60 %, surtout d’Europe.

Le Sénégal souhaite « développer l’agriculture agri-écologique pour se prémunir contre le changement climatique et les chocs conjoncturels ». Cependant, ce type d’agriculture étant hyper dépendant des intrants organiques, et au vu des difficultés précédemment développées, cet objectif semble difficilement atteignable.

 

Le précédent du Sri Lanka

Le Sri Lanka a été le premier pays au monde à passer, en avril 2021, à une agriculture 100 % Bio. Gotabaya Rajapaksa, alors président, avait interdit l’importation d’engrais et de produits chimiques. Dès les premiers mois, la production a chuté de 20 %. Il a fallu faire machine arrière six mois plus tard.

Au total, un tiers des terres cultivables ont été abandonnées dans le pays, après la tentative de passage à l’agriculture bio. Sans accompagnement ni stock suffisant d’engrais organiques sur l’île, les fermiers n’ont rien pu faire. Le pays a été confronté à des baisses de production, puis des pénuries, et enfin une flambée des prix.

En octobre 2021, Buddhi Marambe, professeur à la faculté d’agriculture de l’université de Peradeniya mettait en garde : « Sans s’appuyer sur des preuves scientifiques concrètes, et en appliquant cette réforme dans des temporalités trop courtes, l’agriculture biologique va droit dans le mur ». Ces propos lui ont valu d’être exclu de ce comité d’experts !

En Inde, le gouvernement a financé en 2004 un projet similaire dans la région de Sikkim. Ce reportage d’Arte est une apologie de la Bio, mais malgré les 13 années d’adaptation et autant de millions d’aides attribués par le gouvernement de cette région, qui représente 0,1 % des terres cultivables du pays, il y est reconnu que la production n’est pas suffisante pour nourrir la population. Au regard de ce reportage, on peut se demander combien d’écologistes accepteraient d’arracher les mauvaises herbes à la main, de mélanger la bouse de vache aux déchets végétaux pour faire du compost, et de l’urine de vache avec des orties pour « élaborer » de l’insecticide qu’il faut pulvériser tous les trois à cinq jours pour écarter les insectes. On y voit aussi les enfants de l’agriculteur gratter la terre à mains nues autour des plants de tomates… Difficile à extrapoler dans notre pays !

Copie d’écran de la vidéo Arte « Inde : Sikkim, l’expérience bio« 

 

Restons pragmatiques…

Sans renier la vocation de l’agroécologie à limiter les risques éventuels liés à l’utilisation des engrais et produits chimiques en agriculture, il est nécessaire de prendre en compte la vocation première et principale de l’agriculture : avec le concours de l’eau et des éléments contenus dans la terre arable et du recyclage de la biomasse tirer de l’énergie solaire, produire une nourriture suffisante en quantité et en qualité pour nourrir les populations. La chimie, la génétique, la mécanisation ont boosté les rendements.

Les agriculteurs ont démontré depuis plus d’un demi-siècle leur faculté d’adaptation aux progrès techniques, agronomiques et sociétaux. Malgré la disparition des trois quarts d’entre eux, ils ont permis de faire face à l’augmentation des besoins alimentaires d’une population croissante et en même temps ont permis d’abaisser des deux tiers la part alimentaire dans le budget des ménages.

Si la majorité d’entre eux ne se précipitent pas vers la Bio, si certains qui ont tenté l’expérience abandonnent, c’est sans doute qu’il existe des raisons majeures que veulent ignorer l’idéologie écologiste et les décideurs politiques.

Dans un contexte économique de paupérisation générale, on ne peut demander à des consommateurs de payer plus cher des produits biologiques ou demander à des producteurs de baisser leurs rendements et augmenter la pénibilité de leur travail sans que ces efforts soient justement et équitablement rémunérés.

 

Une obsession périlleuse

La volonté écologiste de supprimer toute pollution, réelle ou supposée, qui pourrait émaner de notre territoire conduit à des décisions très inquiétantes dont on mesure déjà l’étendue.

Pour protéger des centres-villes, on crée des ZFE qui interdisent au travailleur pauvre de prendre sa voiture exclue des normes, mais on tolère le gros SUV qui parcourt des milliers de kilomètres pour aller au ski ou à la plage…

Pour ne pas sentir la fiente de poule des élevages, on met une telle pression aux éleveurs que la production se délocalise et que près de 50 % de la viande de poulet que nous consommons est importée.

Pour protéger notre air, nos sols et les eaux qu’ils contiennent, on interdit aux agriculteurs des produits indispensables à la conduite rentable de leurs entreprises, mais on accepte des produits importés qui contiennent des résidus de ces produits interdits en France.

C’est ainsi qu’après les délocalisations des aciéries, des industries textiles, pharmaceutiques, automobiles, c’est maintenant la volonté agroécologique qui met en péril l’agriculture française. Ceci est gravissime, car la dépendance alimentaire est un danger majeur de déstabilisation sociale. Souvenons-nous des émeutes de la faim en 2008 dans de nombreux pays.

Ventre affamé n’a pas d’oreilles. Si la faim fait sortir le loup du3/ bois, elle pourrait faire sortir les Français de leur soumission.

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  • Sur ce même sujet le PS va utiliser son « droit de tirage » annuel pour créer une commission d’enquête parlementaire sur « l’incapacité de la France à maitriser les impacts des pesticides ». En parallèle 5 ONG attaquent la France en justice pour « carence fautive » dans la protection de la biodiversité en raison de l’utilisation massive de pesticides.

    • Cela s’appelle, hélas, « Etat de droit » ! comment les français ont-ils fait pour se laisser fourvoyer comme ça, se laisser mettre un anneau dans le nez et être conduits où l’ « on » veut qu’ils aillent ? La propagande de l’Etat dont les « appareils » sont trustés pendant des décennies par les mêmes « destructeurs structurels » de la France, a été massivement relayée par les médias … détenues par qui ? Poser la question c’est déjà un commencement de réponse. Et si l’on se donne les moyens et l’envie de réfléchir un peu au moins au delà de ses oreilles, ça pourrait bien « chauffer » entre les deux yeux !

  • N’oublions pas que lorsque les Français auront faim parce que les produits agricoles de base seront trop chers, ils se révolteront. Hors, quand un peuple se révolte, il se révolte uniquement contre les riches même si ces derniers ne sont en rien responsables de la situation. La NUPES a pour objectif la création d’une dictature du prolétariat en France, comme à Cuba ou au Venezuela où Mélenchon se rend si souvent et en vante les mérites. Alors, il faut encore appauvrir les Français. Lorsque le fruit sera mûr, les Français se révolteront et mettront écolos et LFI au pouvoir. Lénine a montré le chemin ; il suffit de le suivre.

  • Avec de telles décisions imbéciles on ne va pas mourir de chaleur, mais de misère économique, de faim, ou de froid (coût démentiel de l énergie) en cas de période de froid hivernal. Vive le lobby écologiste et toutes les associations qui vont avec !

  • « Ventre affamé n’a pas d’oreilles. Si la faim fait sortir le loup du bois, elle pourrait faire sortir les Français de leur soumission ». Vous avez dit « soumission » ? Comme c’est bizarre ! Mais qui les « soumet », les français, depuis quand et comment ? Mais, hélas, vous avez aussi écrit « si… » ! Il est très long – et très difficile – d’émerger d’une longue période de quelques décennies d’hypnotisme et d’anesthésie qui se poursuit – et de plus belle – de nos jours ! Les technologies modernes de divertissement et de propagande donnent du jeu, mais ne donne pas du pain, les deux « aliments » dont se nourrit la plèbe depuis des siècles !

  • Voilà bien un domaine où la contamination des idées réussit jusqu’ici à faire croire à l’inverse de ce qui était enseigné dans les écoles d’Agronomie et à pratiquement inverser l’enseignement de la physiologie végétale jusqu’au plus haut niveau, y compris celui de la recherche. L’INRA devient l’INRAE, le laboratoire d’Agronomie devient celui d’Agro-écologie. « On peut fertiliser un sol uniquement avec des matières organiques ». « On peut se passer de lutte chimique contre les parasites animaux et végétaux ».
    Or l’absorption des nutriments pas les poils absorbants des jeunes racines se fait par échanges d’ions. Les plantes ne prélèvent pas de matière organique. La richesse du sol en matières organiques augmente le pouvoir de production en nutriments et aussi le pouvoir de retenue des nutriments, qu’ils soient d’origine matière organique minéralisée et fournis sous forme d’engrais solubles. La difficulté pour les nitrates, forme stable de l’azote minéral, est qu’il ne peut être adsorbé par les argiles. Par contre, la matière organique peut l’héberger quelque temps. Il ne doit donc pas y avoir antinomie entre la recherche d’un taux élevé de matières organiques dans le sol et la fourniture de quantités ajustées de nitrates. De plus, puisque les cultures entraînent des exportations de matières, il faut compenser celles-ci par des importations, notamment en Phosphore et en Potassium.
    La théorie « bio » est donc fausse et son application ne peut conduire qu’à des échecs parfois rapides (voir l’exemple des mesures prises au Sri Lanka, qui devraient donner raison à ce Professeur qui ose dire la vérité.
    Nous vivons une époque dramatique au cours de laquelle le mensonge (parfois par omission) arrive à remplacer la connaissance réelle jusqu’au plus haut niveau de pouvoir. Il est temps que les scientifiques refusent d’être achetés et utilisés à des fins mensongères.

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